17/05/2007
Un parapluie-chapiteau
Le rideau de soie grise s’envole et l’étoffe de nos songes s'éveille. Un étrange carrosse aux dorures baroques s’avance, mu par une créature singulière qui chante du Vivaldi (Maria Sendow) et, au centre du plateau se balance un écheveau de cordes animées comme les tentacules d’une gigantesque pieuvre. Des cordes ? Mais alors le mot fatal serait autorisé sur une scène de théâtre ? Le mot y est proscrit, pas la chose, et nous ne pouvons appeler « ficelles » ces longs et lourds serpents qui ébranlent la réalité comme celle « invisible et sacrée » que Claudel appelait Providence et les Grecs « destin ».
James Thiérrée qui transgresse allégrement le réel peut bien aussi lever les tabous du vocabulaire !
L’homme qui se hisse hors du monceau de cordes, c’est lui. Il n’a plus de voix, et pourtant, il clame son inquiétude : un violon lui prête ses sonorités déchirantes. Il brandit une photo. Il mime. On le comprend. Il cherche sa femme et sa fille (Kaori Ito et Satchie Noro). Les spectateurs les voient apparaître, disparaître, taches rouges et légères sur un fond noir. Mais lui, ne les voit pas. Les battements excessifs de son cœur assaillent le corps entier. Car c’est ainsi dans l’univers que crée James Thierrée. Il montre les angoisses de l’homme aux prises avec un corps qui ne lui obéit plus, des objets qui résistent, des accessoires qui s’anéantissent, un ami (Magnus Jakobsson) qui vous lâche et vous agresse, des femmes aimées qui s’affranchissent, une autre qui provoque, et des éléments qui ne se soumettent plus au réel. Face à ce chaos, l’homme seul, terrifié, incrédule, tente de résister, de survivre et même d’imposer sa volonté. Il succombe mais essaye encore, et, Sisyphe éternel revient toujours. Les spectateurs se reconnaissent en lui et rient... comme leurs parents riaient en regardant Charlot.
Tout s’enchaîne dans une déambulation onirique et le public sous hypnose accepte les machines incongrues, les crochets gigantesques, les boîtes crâniennes qu’on dépoussière, les coquillages géants habités par des bernard-l’hermite audacieux, les bouleaux baladeurs, les insectes phénoménaux, les vagues de velours. Les lumières de Jérôme Sabre suivent le héros de la chambre au salon et de la rue à la rizière.
Disparues les contraintes de la scène ! Venu du cirque avec ses compagnons, James Thierrée défie la pesanteur et brave la logique, mêlant danse, pantomime et acrobatie. Après un duel épique où l’offensé choisit la paille de riz pour arme, un ballet de gerbes agitées par les protagonistes engendre une danse acrobatique sur un manège extravagant et s’achève par un concert d’instruments hétéroclites… Puis la soie noire d’un gigantesque parapluie se tend sur des baleines improbables, le chapiteau du cirque se dresse pour un peuple d'enfants éblouis. Alors la joueuse de volant frappe de sa raquette une balle emplumée et provoque en retour une grêle en retour de blancs bouquets de ces jouets surannés et charmants. Et c'est fini... Déjà !
Dur d’atterrir dans le quotidien après ce merveilleux voyage en Poésie.
Au revoir parapluie
James Thierrée
Théâtre de la Ville
du 16 au 30 mai
location 01 42 74 22 77 (mais c'est complet)
22:00 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : Théâtre, danse, cirque | Facebook | | Imprimer
14/05/2007
Au revoir
Ce matin, nous nous sommes réunis pour dire adieu à Emmanuelle Marie : une comédienne éblouissante dans Cut, une auteure d’une rare maîtrise dans Blanc où elle liait subtilement la finesse d’écriture aux brutalités de la vie. Elle vivait avec générosité, avec enthousiasme, soucieuse des autres d’abord. Et pourtant, elle cultivait l’insolence et l'extravagance. Elle savait que la vie était trop courte pour l’empaqueter de fausses pudeurs et d’hypocrisie.
Je me rappelle le regard émerveillé de son petit garçon, Félix, qui l’applaudissait le soir de la première de Cut que son compagnon, Jacques Descorde avait mis en scène. Elle avait aussi une petite fille, Lola, ange blond qui lui insufflait tant de forces pour combattre la maladie. Nous étions nombreux pour qu’ils ne se sentent pas seuls dans le chagrin. Et le violoncelle pleurait, comme dans Blanc.
Elle avait quarante-deux ans. Pourquoi cette injustice ?
Sa pièce, Blanc, vient d’être nommée aux Molières, et peut-être, ce soir y sera-t-elle couronnée. Alors, à toi Emmanuelle, qui croyais au ciel, permets-moi de te dire, comme l’Aînée de Blanc : « Je ne t’ai pas oubliée jamais. »
15:00 Écrit par Dadumas dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Théâtre, littérature | Facebook | | Imprimer
01/05/2007
May fait ce qui lui plaît
May (Geneviève Mnich) a toujours été une femme effacée, docile, respectueuse des convenances. Elle a obéi à Toots son mari (Jean Haas) et élevé ses enfants, maintenant installés à Londres où ils font carrière. Les vieux époux y sont invités. May accompagne Toots sans joie ni tristesse, résignée à subir la froideur des enfants, l’étonnement des petits-enfants : " Qui c’est, ces vieux ? " demande la petite-fille. Difficile de ne pas s’apercevoir des erreurs sentimentales de sa fille Paula (Lisa Schuster) et de son fils Bobby (Antoine Basler), marié à Hélène (Maya Borker) jalouse de tout le monde. Mais que faire ? Que dire quand l’époux se réjouit d’être heureux « comme au bon vieux temps » ?
Brutalement, May se retrouve veuve. Elle qui avait subi sa vie va pouvoir enfin « faire seulement les choses qu’[elle] aime ». Mais comment faire accepter cette liberté à ses enfants ? Bobby s’étonne qu’elle fume et Paula ordonne « Crois en moi, vieille femme ! » avant de la charger de parler à son amant, Darren (Patrick Catalifo). May avait toujours essayé de ne « faire de peine à personne », et quelquefois avait pensé au suicide.
Imprévisible May ! Ah ! Les Pères de l’Église avaient bien raison de se méfier de la femme, cet être pervers ! Toutes des salopes ! Même Maman ! May fait ce qu’il lui plaît, et Darren aime le plaisir qu’elle lui apporte. Scandaleuse May qui vole l’amant de sa fille, gaspille ses économies en billets d’avion, accepte que sa fille la frappe et refuse le veuf qui voudrait vieillir avec elle. « Elle ne se sent pas prête à devenir vieille », et préfère tout quitter : enfants, amant, maison, pour un « immediate boarding », seule, mais vivante, enfin… Et qu'importe si ce n'est pas pour longtemps !
Pour sa saison consacrée aux « mères », Didier Bezace a adapté le scénario de Mother d’Hanif Kureishi. Après la « maman bohème » de Dario Fo, révoltée sociale, May est une figure de femme ordinaire qui brise les tabous sans éclat, dans l’intimité. Les acteurs sont tous excellents. La scénographie de Didier Bezace et Jean Haas joue habilement avec l’espace. Des cloisons mobiles le divisent ou le multiplient, façonnant les lieux sous des angles différents, souvent surprenants, mais toujours acculant chacun des personnages à la solitude morale. Intelligente manière de nous montrer que personne ne peut vivre à la place de l’autre.
Théâtre de la Commune d’Aubervilliers
location : 01 48 33 16 16
jusqu’au 3 juin
Rencontre avec Hanif Kureishi le 3 mai après la représentation
16:54 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Théâtre | Facebook | | Imprimer