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22/01/2016

Mathilde est revenue

 

 

Le Retour au désert de Bernard-Marie Koltès est un retour à la France provinciale des années 1960. Dans une ville, « à l’est de la France », où précise-t-on, il y a « une garnison », la maison des Serpenoise, bien close, entourée de hauts murs et d’un jardin, est déjà en émoi.

Madame Queuleu (Isabelle Sadoyan), le vieille gouvernante, apprend à Aziz (Kheireddine Lardjam), le domestique « toutes mains », que Mathilde (Catherine Hiegel), la sœur d’Adrien (Didier Bezace) va revenir d’Algérie, après quinze ans d’absence.

L’Algérie n’a pas encore acquis son indépendance, et, si Adrien complote pour qu’elle reste française, avec ses amis, Sabon (Philippe Durand), Borny (Stéphane Piveteau) et Plantières (Louis Bonnet), notables irréprochables le jour et OAS la nuit, Mathilde a compris qu’il fallait se sauver.

Théâtre, B.-M. Koltès, Arnaud Meunier, Didier Bezacz, Catherine Hiegel,C’est l’aube, « les rues sont dangereuses », et pourtant, Mathilde arrive, sans mari, mais avec deux grands enfants, Edouard (Cédric Veschambre) et Fatima (Nathalie Matter).

Adrien est un vieux renard. Il a déjà capté une bonne part d’héritage, et d’un air bonhomme lui tend les bras, souhaitant qu’elle ait « de bonnes intentions ». Mais elle refuse de feindre, se raidit, s’oppose à toute réconciliation. Mathilde est revenue et elle a « quelques vieux comptes à régler », non seulement avec son frère, mais avec Plantières, qui, en 1945, a fait d’elle une victime de l’épuration. Et ce n’est pas sa nouvelle belle-sœur, Marthe (Elisabeth Doll), bigote et poivrote, son neveu Mathieu (René Turquois) trentenaire jamais sorti de l’ombre de son papa, qui peuvent apaiser son ressentiment.Théâtre, B.-M. Koltès, Arnaud Meunier, Didier Bezacz, Catherine Hiegel,

Bernard-Marie Koltès connaît bien ces familles bourgeoises provinciales cousues de secrets, gangrenées de haines rancies et de préjugés ardents. Il peint avec acuité la société française, avec ses antagonismes farouches, ces instincts de classes. Ses personnages sont odieux et pourtant attachants. Mathilde est exaspérante, Adrien est détestable, ils expriment des inimitiés profondes, irrationnelles et inguérissables. Catherine Hiegel et Didier Bezace forment un couple diabolique. Le Retour au désert est une pièce maintenant classique, tant le texte noir et grinçant est inoubliable.

Arnaud Meunier en explore habilement les thématiques avec une scénographie de Damien Caille-Perret. Les panneaux de verre coulissent sur un jardin : pelouse verte et recoins sombres. Les lumières de Nicolas Marie distinguent l’intérieur et l’extérieur et révèlent ou masquent la rue, la terrasse, le salon, les chambres. Le passage de l’un à l’autre se fait naturellement, et les comédiens circulent avec aisance dans ces espaces. Le rythme est soutenu, haletant . La vidéo (Pierre Nouvel) suggère le mystère, avec le fantôme de Marie (Emilie Capliez) la première femme d’Adrien, errante parmi les arbres, douloureuse et véhémente.

Mais, qu'elle projette les mots désignant les moments de la journée : « sobh » (l’aube), « zohr » (midi), « ‘açr » (l’après-midi », « « magrib » (le soir », « ‘icha » (la nuit), le moment « al-ïd ac-caghir » (la fin du ramadan) est-ce justifié, en France, en 1960 ? Pourquoi choisir le moment de la journée et pas le déroulement de l'action ? Théâtre, B.-M. Koltès, Arnaud Meunier, Didier Bezacz, Catherine Hiegel,Car entre le moment où débarque le Grand parachutiste noir (Adama Diop), cherchant « les femmes », et la dernière séquence, où Madame Queleu nous raconte l’accouchement de Fatima, plus de neuf mois se sont écoulés depuis le retour de Mathilde.

Le secret est devenu « scandale », et les jumeaux dont elle accouche, sont « magnifiques », mais… « noirs » ! Ils « vont foutre le bordel dans cette ville » et devant Romulus et Rémus réincarnés, Mathilde et Adrien prennent la fuite.

Les Pieds-Nickelés « fascistes », amis d’Adrien, ont tué non seulement les Arabes, Aziz et son ami le cafetier Saïfi (Rias Gahmi), mais aussi Mathieu, alors... Edouard « quitte la terre ». Les guerres détruisent tout, qu’elles soient internes, dans les familles, ou extérieures. Et les responsables évitent les châtiments.

La pièce date de 1988. Le Grand parachutiste noir déclarait : « Il faut d’abord porter le trouble si on veut la sécurité. » Le monde a-t-il changé ?

 

Photos : © Sonia Bacet

 

Le Retour au désert de Bernard-Marie Koltès

Théâtre de la Ville

01 42 74 22 77

Jusqu’au 31 janvier.

Dimanche 24 janvier, rencontre avec l’équipe artistique à l’issue de la représentation.

En tournée au théâtre des Célestins (Lyon) du 3 au 11 février,

à Caen les 24 et 25 février

et à Lons-Le-Saunier le 29 février.

20/01/2016

Le combat d'Odette

 

Théâtre, Danse, Andréa Bescond, Eric MétayerElle s'appelle Andréa Bescond. Elle a commencé la danse à trois ans. Elle a remporté des concours, travaillé aux États-Unis, joué dans de nombreuses comédies musicales puis, est passée au théâtre avec Éric Métayer, dans Les 39 marches (2010), pièce pour laquelle elle fut nommée Révélation féminine aux Molières.

À ses talents d’interprète, elle ajoute aujourd’hui celui d’auteur avec Les Chatouilles, ou la Danse de la colère. Elle raconte l’enfance brisée d’une petite Odette à qui un pédophile, ami de ses parents faisait… des chatouilles.

Éric Métayer la met en scène sur un plateau nu, avec juste la chaise vide du psychanalyste dans l’axe optique. L’effet est saisissant. La bande son de Vincent Lustaud permet d’imaginer le lieu. Jean-Yves de Saint-Fuscien règle les lumières, les pénombres et les noirs autour d’Andréa Bescond.

Théâtre, Danse, Andréa Bescond, Eric MétayerRetenez bien son nom. Cette fille a du génie. Elle est tour à tour, l’enfant, le prédateur salace, la mère bornée, la prof de danse aimable et aussi ses élèves, la jeune femme de trente ans qui tente de se reconstruire, Manu le gars de la cité, Noureev descendu de son poster, la chorégraphe qui psychanalyse et l’analyste qui observe, le directeur de casting, Kacy la concurrente, le commissaire « pas délicat » qui enregistre sa plainte, et tous ses adjoints heureux de traîner enfin le pédophile aux Assises. Elle prend des accents divers, des timbres différents avec une aisance extraordinaire.

Elle sait faire rire et pleurer avec une virtuosité incroyable. Elle danse classique, ou moderne et même hip hop, elle dit l’innocence, la peur, le désespoir, l’injustice, la haine, la douleur à vous en bouleverser jusqu’à l’âme.

Comme son héroïne, Odette, elle danse pour sortir le drame de son corps. Elle le plie, l’arc-boute, roule, se relève, tombe encore et toujours renaît. Le combat d’Odette est celui, incessant, d’une jeune femme qui n’admet pas qu’il y ait « 75000 viols par an en France et autant concernant seulement les enfants », et qui veut qu’on écoute la parole de ces victimes.

C’est beau, pudique, impressionnant.

 

 

Photo : © Karine Letellier

 

 

Les Chatouilles, ou la Danse de la colère d’Andréa Bescond

Théâtre du Petit-Montparnasse

Du mardi au samedi à 21 h, samedi : 16 h 30

01 42 22 77 74

www.petitmontparnasse.com

 

 

Garder le secret

 

 

Théâtre, théâtre de poche-montparnasse, Zweig, Caroline Darnay, Alexis Moncorgé En Malaisie, l’amok est l’être, qui fou de rage, peut commettre n’importe quel forfait. C’est cette forme d’ivresse qui saisit le jeune médecin (Alexis Moncorgé), devant l’attitude d’une femme inconnue, qui, dans le village perdu où il exerce, vient lui demander de la débarrasser du fruit d’un adultère. Non parce qu’il réprouve l’acte. Il a déjà rendu ce service. Mais parce qu’il la trouve orgueilleuse et méprisante.

Il la désire. Elle se refuse. Elle fuit. Il la suit. Elle aura recours à une faiseuse d’anges, et mourra d’une hémorragie qu’il ne pourra arrêter. Elle lui fera jurer de « garder le secret ». Et il fera tout pour que « personne ne le sache ».

Dans une semi-obscurité, il confesse la tragédie qui a bouleversé son destin. Il est seul en scène, et la nuit rougeoie dans le lointain (Lumières de Denis Koransky). Une cloche tinte. Il est à bord d’un bateau quittant les Indes. Il s’est isolé car « il ne supporte plus les hommes. » Il nous raconte son histoire.Théâtre, théâtre de poche-montparnasse, Zweig, Caroline Darnay, Alexis Moncorgé

Quelques malles empilées servent de décor, une toile opaque, clôt le fond de scène. La scénographie de Caroline Mexme est sobre. Le comédien est seul, tout repose sur lui, et Alexis Moncorgé libère les ondes puissantes d’un désespoir qu’il ne peut dominer.

Caroline Darnay, qui le met en scène, l’enveloppe d’ombres mouvantes. La bande sonore de Thomas Cordé crée un monde oppressant, et quand dans sa colère, le narrateur « serre le poing contre un dieu misérable », il nous entraîne dans sa malédiction.

Alexis Moncorgé qui signe aussi l’adaptation, donne ici le meilleur de la nouvelle de Zweig.

 

 

 

Amok d’après Stefan Zweig, adaptation d’Alexis Moncorgé.

Photo : © Christophe Brachet

 

 

Théâtre de Poche-Montparnasse

du mardi au samedi à 19h, dimanche à 17h30
01 45 44 50 21

www.theatredepoche-montparnasse.com