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12/12/2012

La violence et le sacré

 

 

Vlad Troitskyi est l’hôte, pour quelques jours encore, du Théâtre de la Ville et de son théâtre associé, le Monfort. Dans ce dernier, il a donné Le Roi Lear-prologue, qui s’inspire du début et de la fin de la pièce éponyme de Shakespeare. On y reconnaît les trois filles, les deux ingrates et la triste Cordélia, mais quelque chose est pourri dans le royaume de Lear, et ce qu’on partage sur scène relève de la mafia. Vlad Troitskyi est un maître de la mise en scène et sa troupe ukrainienne est stupéfiante.

Sous les masques de Natalia Marinenko, les bandes rivales s’affrontent, au rythme  des musiciens du DaskhaBrakha : Marko Halanevych,  Nina Garenetska, Iryna Kovalenko, Olena Tsybulska. Quand tous les liens filiaux sont rompus, Cordélia renvoyée, quand Lear erre sur la lande et qu’il devient la marionnette du Fou, le plateau se peuple d’étranges créatures, incarnées par des comédiens magnifiquement dirigés : Natalka Bida, Daria Bondareva, Dmytro Iaroshenko, Ruslana Khazipova, Roman  Iasynovskyi, Dmytro Kostyumynskyi, Viktoriia Lytvynenko, Iasynovska, Solomiia Melnyk, VolodymyrMinenko, Anna Nikityna, Igor Postolov, Vyshnya, Zo. Pas de dialogues, mais des chants, des rixes, des danses qui renvoient à Shakespeare et, par le jeu de la distanciation aux luttes éternelles des hommes avides de pouvoir.

Dans Le Viï-le roi terre, Vlad Troitskyi adapte un texte de Klim qui s’inspire lui-même de Nicolas Gogol. La nouvelle initiale emprunte aux contes fantastiques d’un « monde archaïque ». Elle est tissée de superstitions païennes et de rites d’une « vieille église » qui les a accommodées pour mieux asservir les âmes villageoises. La femme y est sorcière, et les hommes brutaux.

Des voix légères flottent dans une futaie suspendue où la lumière est rare. Les deux étudiants revenus au pays natal s’y risquent à tâtons. Une noce déboule avec ses danses, une sorcière au seuil de la mort réclame une disciple, un possédé vaticine. La violence et le sacré s’allient pour détruire les hommes. La pitié vient des persécutés, comme dans l’étonnant tableau où la sorcière berce le possédé pour le calmer, et où l’étudiant étreint tendrement la sorcière. Mais la fraternité est à réinventer. Les icônes qui épient les humains finiront dans les flammes (création vidéo : Maksym Poberezhskyi, Oleksii Tyschenko).

Les musiciens du DaskhaBrakha  se mêlent aux comédiens : Pierre-Antoine Dubey, Bartek Sozanski,
Anatolii Cherkov, Nataliia Halanevych, Tanya Havrylyuk,
Dmytro Iaroshenko, Roman Iasinovskyi,
Ruslana Khazipova, Dmytro Kostiumynskyi,
 Solomiia Melnyk, Volodymyr Minenko, Tetyana Vasylenko, Kateryna Vyshneva, Nataliia Zozul. Les « portes de l’enfer » s’ouvrent. La sorcière mourra, et l’un des étudiants y perdra la vie.  On reste pétrifié devant la beauté sauvage de l’ensemble.

 

 

Théâtre de la Ville

Jusqu’au 14 décembre

01 42 74 22 77

Créé au  Théâtre Vidy-Lausanne
COPRODUCTION Théâtre de la Ville-Paris – Festival Passages, Metz

Avec le soutien de  Ukrainian Art Project, Fondation Landis & Gyr

Viï – le roi terre est dédié à René Gonzalez.

 

29/11/2012

Le mal aimé

 

 

Les Lepic ont trois enfants. L’aîné s’appelle Félix, et quand Mme Lepic parle de lui, elle dit « mon Félix ».  Ernestine, la fille, vit dans l’ombre de sa mère. Quant au troisième, Mme Lepic l’appelle : Poil de Carotte ». Jules Renard, l’auteur, ajoute « Elle donne ce petit nom d'amour à son dernier-né, parce qu'il a les cheveux roux et la peau tachée. »théâtre,jules renard,lucernaire,pilorgé

Dans beaucoup de famille, le « petit dernier » est l’enfant gâté. Pas chez les Lepic. Ils ne connaissent pas la tendresse, car d’un mariage mal assorti est née une haine silencieuse. M. Lepic (Michel Pilorgé), est un homme taciturne, Mme Lepic (Annie Monange, ou Brigitte Aubry) insatisfaite, drapée dans sa dignité s’ingénie à contrarier son mari, en manipulant Poil de Carotte (Morgane Walther) qu’elle terrorise.

Le roman Poil de Carotte (1894) était composé de chapitres courts et cruels. En l’adaptant avec Antoine en 1900, Jules Renard, recentra les scènes autour de ces quatre protagonistes. Il supprima le parrain, Félix et Ernestine en tant que personnages. Mesura-t-il aussi l’odieuse méchanceté de Mme Lepic en effaçant les scènes avec Honorine la vieille servante ? Il fit de la nouvelle servante Annette (Alexia Papineschi) au lieu d’ Agathe, le personnage plein de bon sens et de générosité qui va permettre le rapprochement de M. Lepic avec ce fils mal aimé auquel le père  redonnera enfin son vrai prénom : François.

Michel Pilorgé, qui met aussi en scène avec Jean-Philippe Ancelle, compose un M. Lepic, bourru, résigné d'abord mais qui s’ouvre à l’amour paternel avec émotion et maladresse. Morgane Walther campe un adolescent rebelle, disert et attachant. Les scènes qui les réunissent sont d’une belle intensité.

Le décor (Gérard Roveri) est sobre et suffit à évoquer la vie de petits bourgeois campagnards rivés à leurs prérogatives.

« Tout le monde ne peut pas être orphelin » dit Poil de Carotte, mais tous les enfants qui, aujourd’hui, tyrannisent leurs parents devraient bien réfléchir à la condition qui leur aurait été faite au siècle dernier.

 

 

photo : © Photo Alessandro Manna. 

Poil de Carotte  de Jules Renard

Théâtre du Lucernaire

www.lucernaire.fr

01 45 44 57 34

Du mardi au samedi à 18 h 30

Depuis le 28 novembre

16/11/2012

Mémoires d'un grenier

 

 

Il existe à Paris des lieux chargés d’histoire et peu connus du grand public. Ainsi, le grenier de ce fameux Hôtel d’ Hercule, où fut conduit après son forfait, Ravaillac, l’assassin de Henri IV. Balzac y situe son court roman Le Chef-d’œuvre inconnu, prétexte à disputer de l’art et des artistes.

Car telle est sa vocation. Jean-Louis Barrault y abrita sa jeune compagnie en 1934 et en fit un lieu ouvert à tous les courants artistiques de l’époque. Le groupe Octobre y répéta avec Prévert et Picasso y vécut de 1937 à … Là-dessus les historiens ne sont pas d’accord, certains disent 1945, et la plaque, à l’entrée annonce 1955. Mais tous s’accordent pour dire qu’il y créa Guernica, dont les dessins préparatoires ornent encore les murs.

Vous aviez reconnu… le grenier des Grands-Augustins.

Pour le faire revivre, Alain Casabona, secrétaire général du Haut conseil de l’éducation artistique et culturelle, écrivain, pianiste de renom et maître des lieux, y organise souvent des concerts, des lectures, des conférences. Cette année, il a eu l’idée du Théâtre. C’est ici,  raconte quelques-uns des grands moments du grenier. Ravaillac (Christophe Gauzeran) y affronte la colère du jeune Louis XIII (Juliette Croizat), Balzac (Olivier Balzuc) et Delacroix (Christophe Gauzeran) bataillent à propos de l’inspiration artistique, et Picasso (Olivier Balzuc) débat avec Dora Maar (Sarah Vernette).

Comment relier ces époques ? Alain Casabona a demandé le témoignage de la Poutre qui, depuis la construction de l’hôtel, soutient l’édifice, observe et juge tous ceux qu’il a abrités. Elle est la mémoire du grenier. Cette idée dramaturgique est d’autant meilleure que pour incarner ce personnage hors du commun, une actrice rare, Charlotte Rampling, a accepté l’enjeu. Elle est merveilleuse de finesse, d’ironie, de sagesse.

Je ne vous dirai rien de la mise en scène, vous me jugeriez partiale, puisque celui qui la dirige s'appelle François Leclère. Mais ce n’est pas une raison parce qu’il est mon fils de taire que je l’admire. Je ne vais pas laisser non plus à des plumes tout miel et tout fiel de distiller des malveillances.

Deux représentations seulement pour l’instant, uniquement sur invitations, mais on se prend vite à rêver plus.

En attendant, lisez le texte et espérez…

 

 

C’est ici  d’Alain Casabona, préface de Jacques Lassalle, éditions Triartis, 10€

 Au Grenier des Grands-Augustins, 7 rue des Grands-Augustins, les lundis 12 et 19 novembre, à 19 h 30.