10/01/2006
De mémoire de Rose
Federico Garcia Lorca peint, à travers Doña Rosita la soltera ou Le Langage des fleurs, juste avant La Casa de Bernada Alba,« le drame de la bigoterie espagnole ». Des femmes prisonnières, victimes jusqu’au sacrifice suprême, mais aussi bourrelles de leurs filles, de leurs sœurs ou d’elles-mêmes, Rosita est une des plus bouleversantes.
Rosita, s’est fiancée à son cousin qui part pour l’Amérique. Elle a promis de l’attendre. Mais il tarde à revenir et la soltera (fille non mariée) devient solterona (vieille fille). Rosita vit avec ses serments et le langage des fleurs. Elle sait tout de la rose mutabilis, rouge sang à l’aurore et qui se décolore avant, au soir, de s’effeuiller. Elle ne saura rien de la vie.
Rosita, la petite rose, est restée « sérieuse », comme cette Doña Austrégésile du Soulier de satin. Comme elle qui aurait eu le temps de « se marier et d’être veuve deux ou trois fois » au lieu d’attendre Diego Rodriguez, Rosita a donné sa foi.
Diego Rodriguez revient, lui. Mais Rosita a été trahie, le fiancé en a épousé une autre. Elle l’a appris, mais elle a continué à jouer le rôle de la fidélité. La mémoire de Rose est gardienne de l’amour, conforme à l’image vertueuse qu’on exige de la femme espagnole. « Attendre », en espagnol, se dit esperar. Et l’espoir poursuit Rose « comme un loup moribond qui serrerait les dents pour la dernière fois ».
Elle était belle. Elle a laissé faner sa jeunesse et lit sa décrépitude dans le regard des jeunes gens, les enfants de ses compagnes d’école. Le temps a passé, sa tante est ruinée. Il faut vendre la maison, la quitter. Mais il reste l’amour de la nourrice, aussi fort que celui de la tante, il reste la solidarité des femmes, veuves et célibataires.
Garcia-Lorca date subtilement le passage du temps : fin du XIXe siècle par la robe aux « manches à gigot », ensuite des jupes évasées, et au dernier acte, la « mode 1910 ». Tout est nuance chez le poète. Les fiancés s’enlacent, s’embrassent pudiquement, se détachent doucement l’un de l’autre. Les couleurs pâlissent, les musiques s’assourdissent, les âmes s’étiolent. Les roses s’effeuillent sans jamais s’être épanouies et les femmes prennent le deuil.
Jean-Jacques Préau avait signé en 1992, avec Carlos Pradal, une très belle traduction de Mademoiselle Rose pour Michel Cerda.
Matthias Langhoff a choisi celle de Luis del Aguila. Mais pourquoi y mêler une farce pour marionnettes de 1933, connue sous le titre de Petit Retable de Don Cristobal, elle-même tirée d’une autre pièce guiñolesca de 1922 qui n’a qu'un prénom de commun avec Doña Rosita ? Cet assemblage disparate casse toute émotion. C’est regrettable. Agaçant aussi d’apparenter au dernier acte déménagement et bombardement, même si dans les aphorismes populaires le déménagement vaut un incendie, le départ de ces femmes, pour déchirant qu’il soit, ne ressemble pas au bombardement de Guernica.
Heureusement, Évelyne Didi est la nourrice, sensuelle et tendre comme une vraie mère. Elle voit ce que cachent les bonnes manières. Elle incarne avec constance, « celle qui doit donner du courage dans ce deuil sans mort ». Elle est le double exact de la tante qu’Agnès Dewitte joue un peu coincée par une éducation bourgeoise et cachant un cœur énorme sous une apparence revêche. Jean-Marc Stehlé est savoureux en oncle botaniste plus attentif à ses fleurs qu’aux femmes de la maison. Et Emmanuelle Wion, la délaissée, fière et palpitante émeut tous les cœurs.
C’est pour cette troupe, avec ses musiciens, que vous irez voir Doña Rosita, la célibataire.
14:10 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre | Facebook | | Imprimer
01/12/2005
Rappariement impossible
Mère et fils, comédie nocturne de Joël Jouanneau
Ils s’arrachent des aveux en s’arrachant le cœur. Lui, le fils (David Mambouch), réfute les pieux mensonges que sa mère (Marief Guittier) a échafaudés. Il saccage la maison comme Verschueren (Christian Ruché), son père, a saccagé la vie de cette mère, dure, sèche et ardente, qui se défend seule contre les clabauderies d’un village.
Mère et fils grelottent de solitude dans le « blanc banquise » d’une commune rurale à l’âme très noire que le metteur en scène, Michel Raskine, contraste avec talent.
Joël Jouanneau n’en avait pas fini avec Saint-André, ce village tourangeau du côté de Pinget. Son Verschueren (Christian Ruché), hâbleur, vulgaire et rondouillard est tout droit sorti du Bourrichon, comédie rurale, tandis que la mère et son fils appartiennent à la tragédie grecque.
Ces deux univers impossibles à rapparier laissent le spectateur perplexe, mais offrent aux comédiens des rôles extraordinaires.
On retrouve Marief Guittier bouleversante et Christian Ruché goguenard, on découvre David Mambouch, un jeune comédien aux riches diaprures, de l’étoffe dont on fait les grands.
21:55 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre | Facebook | | Imprimer
30/11/2005
Pas fou, le Feydeau !
Il connaît parfaitement les personnages qui amusent : les cocottes affamées de respectabilité, les bourgeoises vertueuses tentées par le vice, les oncles (ou les tantes) à accent, les jeunes gens dévergondés, les pères nobles prêts à vendre leur progéniture, les jeunes bonnes rabrouées, et le cocuage, surtout le cocuage !…
Ça nous est bien égal qu’il manie l’autocitation !
Jean-Louis Martin-Barbaz, dirige sa vingtaine de comédiens comme un chef d’orchestre inspiré.
Passé le début un peu laborieux, la machine s’emballe avec l’arrivée du Prince (Patrick Simon), suivi de près par le truculent Van Putzeboum (Hervé Van der Meulen), et quand Marcel (Jean-Christophe Laurier) entreprend de calculer le prix d’une journée de loyer, c’est du délire… Il faut dire qu’Amélie (Émilie Cazenave) a du chien, et que sa voix gouailleuse rappelle notre singulière Arletty.
Théâtre Silvia Monfort jusqu'au 15 janvier 2006
18:30 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | | Imprimer