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03/02/2006

Sous le charme


Pygmalion de Bernard Shaw
Vous connaissez tous l’histoire d’Eliza Doolittle, la marchande de violettes des faubourgs de Londres, que les leçons de phonétique, de syntaxe et de savoir-vivre du professeur Higgins transforment en duchesse. Si on a un peu oublié le film d’Asquith (1938), on se souvient parfaitement de celui de Cukor (My Fair Lady) avec Rex Harrison et Audrey Hepburn. Nicolas Briançon donne, au théâtre Comédia, de la comédie surannée, une délicieuse mise en scène qui éclaire d’un jour nouveau le personnage de Higgins que joue Nicolas Vaude.

Figurez-vous un jeune homme insolent, ergoteur, si imbu de son érudition, qu’il joue les singes savants en public, si immodeste qu’il en devient grossier, en un mot insupportable. Alors, Danièle Lebrun exprime une tendresse faussement scandalisée, mais secrètement fière, à être la mère de cet ange rebelle qui déverse des paradoxes dans les salons, histoire de choquer la bonne société et de l’épater, elle.

Barbara Schulz est le charme incarné, même sous ses oripeaux criards, elle ne peut être vulgaire. Henri Courseaux en Pickering médiateur, Odile Mallet en gouvernante sévère, Jean-Claude Barbier en père Doolittle, tous donnent à la soirée un état de grâce prodigieusement soutenu par les splendides décors à transformations de Jean-Marc Stehlé et les ravissants costumes de Michel Fresnay.

Théâtre Comédia
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14:15 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre |  Facebook | |  Imprimer

26/01/2006

Courage et fidélité





Ostrovski, un don de Sobel


En 1966, Bernard Sobel nous faisait découvrir Cœur ardent d’Ostrovski, un auteur méconnu en France, et qui pourtant ,vingt ans avant Tchekhov, peignait en Russie, la province déstabilisée par l’abolition du servage, rongée par les préjugés, minée par l’émergence d’une nouvelle classe : la bourgeoisie qui savait faire fructifier l’argent quand les hobereaux ne savaient que le dépenser et s’endetter. Quant aux sentiments humains, ils étaient universels, les mêmes que chez nous aujourd'hui : la jalousie, le mépris, la haine déchiraient la société tandis que l’amour, le courage et l’espérance tentaient de la rendre meilleure. A Gennevilliers, il y eut L’Abîme, La Forêt (qu’André Barsacq avait créée), et récemment Innocents et coupables. Toujours l’enchantement se renouvelait.
Aujourd’hui, avec Dons, mécènes et adorateurs Bernard Sobel nous révèle un chef d’œuvre, traduit par André Markowicz. Comme dans Innocents et coupables nous retrouvons le monde du théâtre en province. Sacha est une jeune actrice très douée (Chloé Réjon l’est, nous le savions déjà), mais c’est un cœur pur, elle a refusé la « protection » du Prince (François Clavier) qui se venge en exigeant que le directeur du théâtre (Gaëtan Vassart) ne renouvelle pas son contrat. Sacha et sa mère criblées de dettes, sans ressources autres que les « bénéfices » de certaines représentations, sont aux abois. Le talent ne suffit pas. Le courage non plus. Survient un mécène adorateur, Velicatov (Éric Caruso) qui l’entoure d’attentions, la couvre de cadeaux, trace le sillon de sa « carrière », sans exiger qu’elle renvoie Piotr le « fiancé » (Vincent Minne). La fidélité se déplace. Entre son art et sa rigueur morale, Sacha choisit.
Pour figurer les divers lieux de l’action, juste quelques malles sur le plateau nu que des panneaux, en descendant des cintres vont  limiter ou ouvrir sur la profondeur, différente suivant l’endroit. Pas de poudre aux yeux, pas de prétentieux et ruineux décor. Une seule concession : la scène du départ à la gare, façon Vie parisienne comme si Sobel se moquait de nos propres clichés. Toute la richesse du texte passe par les comédiens que Bernard Sobel dirige avec maestria. Il faudrait les citer tous. Thomas Durand le fonctionnaire désabusé, Éric Castex le tragédien grandiloquent, Isabelle Duperray, la comédienne apprivoisée, Laurent Charpentier le compagnon de beuveries, Jacques Pieiller le vieil adorateur ruiné devenu accessoiriste. Chaque personnage a son maintien, chaque voix sa tessiture. Celle, si posée, presque accablée d’Éric Caruso, vous étreint, et le grain inimitable d’Elizabeth Mazev contribue à l’émouvante composition de la mère, toute en sensibilité débordante qu’elle contient mais dont le bouillonnement franchit par instants les limites de la bienséance qu’elle s’impose. Entre la mère et la fille des scènes tendres et âpres conduisent sans violence à la décision finale. Du grand art. On en reparlera dans les études psychanalytiques (si les psy, bien sûr, lisent autre chose qu’Hamlet).
Ce sera la dernière mise en scène de Sobel à Gennevilliers, théâtre qu’il a créé, conçu jusque dans l’architecture des salles, et qu’il anime depuis plus de quarante ans, avec courage et fidélité. Il ne faut pas que ce soit le chant du cygne. Il y a encore tant de pièces qu'on ne connaît pas et que lui, s'est donné la peine de lire.




Jusqu’au 4 février
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18:02 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : théâtre |  Facebook | |  Imprimer

Royaume en déshérence


 

En amour, les belles paroles ne suffisent pas. Seules comptent les preuves. Vous avez déjà vu La Tragédie du roi Lear.Vous avez déjà lu les commentaires infinis sur le vieux roi qui, se contentant du roucoulement des mots doux, a maudit sa fille Cordélia et l'a déshéritée au profit de ses aînées : Goneril et Régane, ces garces qui vampirisent leur père et hâtent sa décrépitude avant de le précipiter dans la folie. Cordélia tente de le sauver. Elle en meurt. Le royaume tombe en déshérence.

Vous savez que l’écrasant rôle de Lear, couronnement d’une carrière d’acteur, est magistralement tenu par Michel Piccoli. Je ne vous parlerai donc pas de lui, ni du fidèle Kent interprété par Gérard Desarthe qui rayonne de force et de courage, ni de Jean-Claude Jay qui joue un Gloucester aussi poignant que Lear, ni de Jérôme Kircher qui est Edgar le fils maudit bouleversant de tendresse, ni de Jean-Paul Farré, génial bouffon. Ni de Gérard Watkins, ni de Rémy Carpentier, « enfin toute la bande »…
Car, dans la mise en scène d’André Engel, il s’agit bien des règlements de comptes sanglants d’un gang des années 20 ou 30 dont Lear aurait été le « parrain ». Sans doute le choix du metteur en scène a-t-il été inspiré par le lieu, ce hangar-atelier congruent aux luttes de clans banalisées par les films américains. Certes, les féodaux cruels et avides de Shakespeare peuvent être jugés comme des malfaiteurs, et « Lear est rapproché », écrit Daniel Loayza. Mais une tragédie est-elle faite pour rapprocher ses personnages des hommes ordinaires que nous sommes ? Ou pour que nous, les hommes médiocres, nous approchions des dieux ?
Disons encore que l’utilisation de ce décor est parfaite, et qu’on retrouve avec émotion l’espace élisabéthain, posé latéralement, à cour, avec sa upper gallery, pour les scènes extérieures, sa in-gallery pour les scènes intimes et l’immense plateau où se déchaînent les éléments du ciel contre la prétention humaine.
On oublie alors l’époque pour ne garder que l’image de l’orgueil abattu.
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Aux Ateliers Berthier/théâtre de l’Odéon
01 44 85 40 40

 

12:25 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre |  Facebook | |  Imprimer