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12/12/2010

La marche de Bouzin

 

 

Il est beaucoup question de « mariage », ces temps-ci à la Comédie-Française : salle du Vieux-Colombier, avec Gogol, et salle Richelieu, avec Feydeau. Deux comédies brillantes que la troupe conduit avec brio.

Le sujet d’Un fil à la patte n’est pas original. Labiche, avec son Chapeau de paille d’Italie (1851) avait déjà montré un fiancé dans une situation très délicate. Mais chez Feydeau, les personnages sont plus complexes. Bois d’Enghien (Hervé Pierre), le noceur ruiné veut se renflouer par un riche mariage, mais il a un sacré « fil à la patte » qu’il ne peut pas dénouer. Il est toujours amoureux de Lucette (Florence Viala), une cocotte, qui ne cherche pas à se caser comme la plupart des demi-mondaines de l’époque. Le ressort de l’intrigue est dans cette contradiction. Ils s’aiment et ils doivent se séparer. Ce pourrait être Bérénice, mais l’enjeu n’est pas un empire, juste la dot d’une oie blanche, Viviane (Georgia Scalliet). La donzelle ne sait pas ce que le mari a « à faire » dans la maternité, elle trouve le divorce « très chic », et préférerait un « mauvais sujet » dont on porrait « citer les maîtresses » à ce monsieur qui n’a « jamais aimé qu’une seule femme, […] sa mère ». Ces paradoxes font sourire sa baronne de mère (Dominique Constanza), et réjouissent le public. Ils vont engendrer les quiproquos et le retournement final de situation.

On ne raconte pas une intrigue de Feydeau. On suit les personnages lancés dans la course folle qu’ils ont provoquée en croyant éviter un ennui. Et on admire les comédiens pétillants de drôlerie dans la peinture d’une société égoïste et prétentieuse. La distribution est éblouissante. Dix-huit rôles, sans compter les figurants, on voyait grand sous la Troisième république !

Florence Viala joue la séductrice tout en finesse chatoyante. Sous des airs naïfs, Giorgia Scalliet, donne à la pucelle, l’amoralité de la gourgandine. Elles ont la même taille de guêpe et le même battement de cils. Autour de la chanteuse adulée, la cour des admirateurs piaffe. Thierry Hancisse, le Général à la fois matamore et crapule, flamboie. Serge Bagdassarian est un Fontanet bouffon. Hervé Pierre compose un Bois d’Enghien fabuleux, véloce, infatigable. Guillaume Galienne est irrésistible, autant en Chenneviette l’écornifleur qui profite sans scrupule des bontés de la chanteuse, qu’en Miss Betting, l’institutrice un peu coincée de Viviane. Il incarne donc tour à tour les deux mondes qui se côtoient, se méprisent, et s’envient. Les nobles, leurs usages et les rites auxquels ils sacrifient, et le demi-monde qui s’est établi sur un argent pas très honnête. Entre eux, les domestiques balancent, frondeurs comme Jean (Jérôme Pouly) ou familiers comme Firmin (Christian Gonon).

Et puis, il y a Bouzin, le minable clerc aux chansonnettes stupides, contre lequel tous vont se liguer. Christian Hecq est inimitable. Il entre, se dandine, agile dans les moindres mouvements, électrique dans les sensations. On a beaucoup vanté le moon walk, il faut aujourd’hui glorifier le Bouzin walk ou, pour rester français, « la marche de Bouzin » au patrimoine du Théâtre. Il glisse, s’élève, suit la pente de l’escalier en remontant, puis ripe et coule vers le bas, élastique, oscillant. Sisyphe burlesque, il devient le héros incompris, le bien aimé du public mais le bouc émissaire des protagonistes. Le pauvre « en appelle à la postérité », ils lui répondent « au poste » ! Et ce n’est pas juste, il nous a tant fait rire !

On voudrait encore citer Claude Mathieu en Marceline ronchonne, Céline Samie en Nini sémillante, et surtout la précision avec laquelle, le metteur en scène, Jérôme Deschamps fidèle aux didascalies de l’auteur, dirige la troupe au millimètre près. Le décor de Laurent Péduzzi réplique sagement les salons puis le palier d’une maison bourgeoise. Les costumes de Vanessa Sannino sont d’une belle élégance, et Bruno Fontaine signe de jolis arrangements musicaux.

Qui a dit que la perfection n’était pas de ce monde ?

 

Un fil à la patte de Georges Feydeau

Comédie –Française, salle Richelieu

Jusqu’au 18 juin 2011

0 825 10 16 80

28/11/2010

Marions-les !

 

 

Mariage.jpgAujourd’hui comme hier, le mariage, est la grande affaire de la vie. En Russie comme partout, marier une jeune fille comme Agafia Agafonovna, fille de commerçant, (Julie Sicard) demande une grande connaissance de la société dans laquelle elle évolue. Jadis, les familles faisaient appel à une marieuse, dans L’Avare de Molière, Frosine se chargeait de cette recherche, dans Le Mariage de Gogol deux siècles plus tard, Fiokla Ivanovna, (Clotilde de Bayser) remplit le même office.

 Un à un les prétendants paraissent. Grotesques, vaniteux, imbus de leur situation sociale, leurs patronymes annoncent la farce (traduction d’André Markowicz) : Mamimine (Jean-Baptiste Malartre), officier d’infanterie à la retraite et snobinard de province, Omelette, (Nicolas Lormeau) huissier impatient, Chikine (Alain Lenglet) ancien marin portant beau, Kusmich Kapilotadov (Nâzim Boudjenah) conseiller surnuméraire indécis, Pépev (Yves Gasc), trop vieux pour être honnête. Ils sont consternants de laideur et de stupidité. Et cupides pour achever le tableau ! Dans la mise en scène de Lilo Baur, le décor de James Humphrey impose une séparation entre les classes et les sexes. Un mur à placards clôt la chambre étroite de Kapilotadov, à l’esprit borné. Le décor tourne, ouvrant sur le salon d’Agafia, les prétendants s'attroupent de l’autre côté de la porte, s’épient entre eux, guettent la fiancée par le trou de la serrure.

De l’autre côté, les femmes, la tante Arina Panteleïmonovna (Catherine Sauval) Douniachka (Géraldine Rodriguez) la bonne, conseillent la fiancée, et la marieuse, qui a lu La Fontaine préconise : « Si la tanche te rebute, prends du goujon ! »*

Marions-la ! Marions-les ! Fiokla se démène ! Mais Agafia est timide. Et Kusmich bien timoré.

 Alors intervient Plikaplov, (Laurent Natrella) dans le but de décider son ami Kapilotadov à convoler ! Il prétend « mener à bien cette affaire », il ne fera que « déshonorer une jeune fille ».

La société que peint Gogol est monstrueuse. Le mariage n’y est qu’un contrat d’intérêts. Les féministes du XIXe siècle y voyaient une « prostitution légale », et le tableau qu’en fait Gogol, apporte de l’eau à leur moulin. Il n’y est jamais question d’amour, mais de dot, de convenances, de revenus, d’avantages.

Les comédiens français y ajoutent un aspect clownesque. Enlaidis comme Clotilde Bayser, Nicolas Lormeau, ahuris comme Alain Lenglet, Nâzim Boudjenah, ils manient le burlesque jusqu’à la caricature. Ils sont fantastiques !

On choisit d’en rire, soulagés que cette société soit définitivement abolie.

Plus besoin de marieuse, aujourd’hui, nous avons les sites de rencontres sur Internet ! Et Big Brother saura faire le tri…

 

   photo :  Cosimo Mirco Magliocca.

* « La tanche rebutée, il trouva du goujon » (Le Héron),  

fable jumelle de La Fille. 

  « Certaine fille, un peu trop fière

  Prétendait trouver un mari 

  Jeune, bien fait, et beau, d'agréable manière

Point froid et point jaloux ; notez ces deux points-ci.

Cette fille voulait aussi 

Qu'il eût du bien, de la naissance

De l'esprit, enfin tout ; mais qui peut tout avoir ? »

 

 

 

 

Le Mariage de Gogol

Théâtre du Vieux-Colombier

Jusqu’au 2 janvier

01 44 39 87 00/01

19/02/2010

Le peuple des Évangiles

 

 

 

Vous savez tous que le Théâtre, en France, est né dans une église. À Saint-Benoît-sur-Loire, une aube de Pâques, au Xe siècle, les moines, déguisés en saintes femmes, ont joué la Résurrection du Christ dans la langue du peuple, afin que celui-ci en comprenne le Mystère Glorieux.

Ce mercredi des Cendres, en 2010, Dario Fo a fait entrer le peuple des Évangiles à la Comédie-Française avec Mystero Buffo qui raconte, à la manière des petites gens, les mystères lumineux, et les mystères douloureux tels qu’ils les ont vécus. Muriel Mayette, en les mettant en scène ressuscite la tradition du jongleur.

Catherine Hiégel, Véronique Vella, Christian Blanc, Alexandre Pavloff, Hervé Pierre, Stéphane Varupenne, Christain Hecq seront les jongleurs, conteurs de ces épisodes. Vêtus de noir, pantalon et pull (Costumes Virginie Merlin), ils évoluent sur une scène resserrée, nue et claire, devant un salle semi éclairée. Comme sur un tréteau, ils prennent à témoin le public, le sollicitent.

Catherine Hiegel ouvre le ban, expliquant ce qu’est un mystero buffo : « mystère grotesque », moyen d’expression du peuple, moyen de provocation, de libération.

Puis viendra Christain Hecq, pour raconter un mystère lumineux : la résurrection de Lazare, non pas tels que les évangélistes la disent, mais tel que le gardien du cimetière a pu la vivre, avec ses petits trafics, « Les miracles, ça marche très fort ! » et cette foule d’anonymes, badauds, convaincus, incrédules, râleurs, et vide-gousset…

Entre les deux récits, le fond de scène s’illumine, la salle s’éteint, (scénographie et lumières : Yves Bernard) et le Christ vit la Passion, dans des tableaux vivants et colorés empruntés à l’iconographie chrétienne, joués par les élèves-comédiens de la Comédie-Française : Camille Blouet, Christophe Dumas, Florent Gouëlou, Géraldine Roguez, Chloë Schumtz, Renaud Triffault, illustrés d’une musique d’Arthur Besson.

En marge de cet évangile apocryphe, Hervé Pierre nous enseignera la règle de Saint-Benoît, il sera aussi le jongleur final, celui par qui tout le théâtre peut commencer. Et nous apprendrons aussi avec Alexandre Pavloff comment le fou essaya de d’empêcher la Mort de prendre Jésus, comment les femmes retinrent Marie pour qu’elle ne voie pas à la crucifixion de son Fils, comment Marie y assista, chassa l’ange Gabriel, et comment Jésus lui demanda de se résigner…

Le Stabat Mater que joue alors Catherine Hiegel a de quoi bouleverser les plus mécréants.

Mais entre Gethsémani et Golgotha, Véronique Vella, Yves Gasc, Christian Blanc et Stéphane Varupenne racontent des épisodes plus païens et grotesques, fabliaux scatologiques, scènes d’inversion des rôles : l’énorme rire de Rabelais, l’érotisme de Boccace participent du théâtre de Dario Fo.

Les comédiens se plient avec bonheur à toutes les énormités.

On rit, on s’émeut, on comprend « comment ça s’est passé ».

 Iconoclaste Dario Fo ? Non au contraire, il sacralise le peuple.

 Il n’y a pas de blasphème dans ses tableaux gouailleurs, juste un immense amour de l’humanité.

 

 

 

 

Mystero Buffo et Fabulages de Dario Fo

Comédie-Française

Salle Richelieu

0825 10 16

Rencontres avec Dario Fo : 25 mars, 5 et 27 mai à l’Institut culturel italien.