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15/12/2013

L’Amour lui-même

 

 

Elle nous avait ravis quand elle avait adapté Le Loup, d’après Les contes du Chat perché (Marcel Aymé) pour la scène du studio. Aujourd’hui, Véronique Vella nous enchante avec sa Théâtre, Musique, Comédie-française, mise en scène de Psyché cette « tragédie-ballet » signée Molière, Corneille, Quinault, Lully que la Comédie-Française gardait dans son répertoire et ne donnait que par « fragments ».

Vous connaissez bien sûr Vénus (Sylvia Bergé), mais l’aviez-vous imaginée en belle-mère ? Car, pour son fils, l’Amour lui-même (Benjamin Jungers) « il est temps de sortir de cette longue enfance », et pour montrer son indépendance, le rebelle tombe amoureux de la belle Psyché (Françoise Gillard), dont Vénus est jalouse !

Elle n’est pas la seule. Les sœurs de la donzelle, Aglaure (Coraly Zahonero) et Cidippe (Jennifer Decker) sont prêtes à tout pour s’en débarrasser quand deux beaux partis, Cléomène (Félicien Juttner) et Agénor (Pierre Hancisse) jeunes princes à marier, les délaissent pour Psyché.

Aidé de Zéphire (Jérôme Pouly), et se faisant passer pour un monstre, l’Amour enlève Psyché, au grand désespoir du roi son père (Laurent Natrella) qui voyait en elle « le doux espoir de (sa) vieillesse ». Psyché découvre avec « le feu » qu’elle ne connaissait pas, que ledit monstre est le plus joli garçon de l’Olympe et s’abandonne à cet « excès d’amour ».

Vénus « impitoyable mère » et voix superbe, sépare les amants. Heureusement Jupiter (Claude Mathieu) intervient : « laisse-toi vaincre aux tendresses de mère », et comme il fait de Psyché une « immortelle »,  tout s’achève en ballets et chansons.

Dans cette version, Vincent Leterme remplace Lully et dirige au piano les chœurs et la musique, avec Véronique Briel, tandis qu’Elliot Jenicot a dirigé le travail chorégraphique. La scénographie de Dominique Schmitt et les toiles peintes d’Anne Kessler implantent l’action dans un cosmos original et souriant. Les chœurs, en redingote bleu royal et chapeaux melons assortis entourent les amoureux de blanc vêtus, Vénus impériale, rutile en pourpre (costumes de Dominique Louis), tandis que Jupiter avec sa cape de soie noire ressemble à Mandrake le magicien.

Le monde tourne comme le centre de la scène, dans les ombres et les lumières de Patrick Méeüs. C’est un éblouissement de soleils et de nuits.

Le charme opère. On les adore ! On est conquis.




 Photo © Brigitte Enguérand

Psyché  de Molière, Corneille, Quinault

www.comedie-francaise.fr

Tél. 0 825 10 1690

 

 

 

 

 

24/11/2013

Une vraie princesse !

 

  

Hans Christian Andersen écrivit, avec La Princesse au petit pois, est de ses contes les plus courts. Un peu plus de 2000 signes, soit pas plus de trois minutes de lecture. Une bénédiction pour les parents qui lisent encore des histoires à leurs enfants afin qu’ils s’endorment en toute sérénité !

Comment, avec aussi peu de texte créer un spectacle d’une heure ? Antoine Guémy, Édouard Signolet et Elsa Tauveron réussissent la gageure avec brio. L’adaptation est un art. Ils en ont compris toutes les finesses.

Théâtre, Comédie-Française, Littérature, Jeunesse, Andersen, humour, Le conte d’Andersen commence ainsi : « Il y avait une fois un prince qui voulait épouser une princesse, mais une vraie princesse. » À quoi reconnaît-on une « vraie princesse » ? Est-ce à son langage châtié ? À son maintien impeccable ? À sa grande culture ? NON.  Seule, la « vieille reine » le sait qui mettra un petit pois sous vingt matelas et vingt édredons afin d’éprouver la finesse de la peau de celle qui, un soir d’orage, se présente au palais, et qui ressemble plus à une pauvresse qu’à la princesse qu’elle dit être.

Mais en attendant ce fameux soir, les trois adaptateurs s’engouffrent dans la phrase suivante : « Il fit donc le tour du monde pour en trouver une, et, à la vérité, les princesses ne manquaient pas ; mais il ne pouvait jamais s’assurer si c’étaient de véritables princesses ; toujours quelque chose en elles lui paraissait suspect. » Et leur imagination nous entraîne dans un voyage initiatique inspiré du Zadig de Voltaire, et des Mille et une nuits.

Le Prince (Jérémy Lopez) a des allures de petit garçon timoré sous le regard admiratif de ses parents : la Reine (Elsa Lepoivre) vêtu de rouge vif est une jeune reine battante et le Roi (Eliott Jenicot), en culotte vaguement bavaroise (costumes : Laurianne Scimemi), un souverain gaillard. Ils sont « heureux », satisfaits de leur vie et d’eux-mêmes et se demandent si leur enfant ne serait pas « stupide » ou « attardé » quand il déclare être « à l’envers d’heureux ». Une seule solution : l’envoyer courir le monde à la recherche de « la plus belle des princesses », à condition que ce soit, bien sûr une « vraie princesse » (Georgia Scalliet).

Édouard Signolet assure la mise en scène avec une inventivité  amusante. Roi, Reine et Princesse interprètent les nombreux personnages  que le Prince rencontre et, chacun à leur tour, empoigne le rôle du conteur. La scénographie de Dominique Schmitt, est astucieusement transformable à vue, avec une trappe dans le tréteau et des cubes empilables. Le Prince parcourt le monde, échappe à tous les dangers, et revient, dépité,
 à son point de départ. Les lumières d’Éric Dumas façonnent la diversité des univers et l’arrivée de la « vraie Princesse ». Les comédiens sont excellents et cultivent un humour décalé et subtil.

C’est joyeux et cruel, terriblement absurde et donc, humain.

« Et ceci est une vraie »… pièce de théâtre… Un vrai cadeau pour les fêtes !

 

Photo © Cosimo Marco Magliocca

 

 

La Princesse au petit pois d’après Hans Christian Andersen

Adaptation de Antoine Guémy, Édouard Signolet et Elsa Tauveron.

Studio de la Comédie-Française

Jusqu’au 5 janvier à 18 h 30

01 44 58 98 58

0 825 10 1680

www.comedie-francaise.fr

 

 

13/10/2013

“I must be cruel, only to be kind” (Hamlet, I, 4)

 

Quand on vous parle d’Hamlet, vous imaginez les remparts d’Elseneur, les salles du château, la chambre de la Reine, le cimetière où repose le pauvre Yorick et qui va recevoir la blanche Ophélie. Comédie-Française, Théâtre, Shakespeare, Mais, puisque le propre des grandes œuvres est d’être universel, Dan Jemmett et son scénographe (Dick Bird) la transposent dans une temporalité plus récente : « plus proche de (leurs) souvenirs de jeunesse ». Il dit encore : « Certaines grandes séries télévisée présentent parfois des situations de trahison, des règlements de comptes, des dilemmes dignes des plus grandes tragédies ». Et les grands crimes ne sont plus que des faits divers.

Pour cette Tragédie d’Hamlet, le metteur en scène, Dan Jemmett a voulu un lieu clos, unique : la salle d’un « club-house » d’escrime, avec des coupes trophées sur la up-gallery,  une double porte battante au centre optique, une piste de danse au proscenium, à jardin, les toilettes pour les hommes, celles de femmes à cour et, au fond, à droite, un bar. Fondamental le bar, car on picole beaucoup chez Claudius (Hervé Pierre) le tenancier, gin et whisky surtout et la reine Gertrud (Clotilde de Bayser) n’est pas la dernière  à lever le coude. Très important aussi,  à gauche, de l’autre côté de la porte, le juke-box et ses tubes des années 70, dont les sons, tonitruants ou sirupeux, accompagnent les fêtes de Gertrud et Claudius. Les souverains y attirent leurs invités, conseillers, ambassadeurs, courtisans (Laurent Natrella, Éric Ruf, Elliot Jenicot). Hamlet (Denis Podalydès) y tue Polonius (Gilles David), y rencontre son spectre de père (Éric Ruf, sublime), s’y bat en duel avec Laërte (Jérôme Pouly) et y meurt après un duel truqué. Les comédiens (Éric Ruf, Laurent Natrella, Benjamin Lavernhe) y représentent Le Meurtre de Gonzague. Ophélie (Jennifer Decker) se suicide dans les toilettes, et on l’enterre dans la cave ! Des duettistes Rosencrantz et Guildenstern, chargés d’espionner Hamlet, ne reste que Rosencrantz (Elliot Jenicot) et son « chien savant », marionnette de peluche noire qui ouvre sa gueule rose pour recevoir les billets que Claudius distribue allègrement à ses féaux. Car il les manipule tous, le vilain roi adultère, usurpateur et criminel !

Regardez la photo de l’acte III, Claudius, à genoux, vient de reconnaître que son « crime est fétide », il se demande si on peut « trouver le pardon quand on profite du crime », et Hamlet pense « c’est le moment d’agir », pour venger son père, mais suspend son geste, car le tuer quand il est en prière l’enverrait « au ciel ». Hervé Pierre a, jusque-là, exprimé une telle satisfaction, une telle jouissance à palper le corps de sa Reine et les billets de banque, qu’on se demande s’il est sincère. Et Denis Podalydès, qui jouait un Hamlet plus amer que mélancolique, « puritain » affolé par la sexualité de sa mère, brusquement, se métamorphose.

Remarquez les tonalités des verts des costumes (Sylvie Martin-Hyszka). On habillait Judas en vert dans les Mystères, et les bouffons en vert dans les comédies. Ici, celui qui joue le fou va-t-il tuer le roi ? Dans le reflet soyeux sur le broché de la redingote du roi, les revers rouges de la chemise de Hamlet, la symbolique du vert souligne la grande ambiguïté des personnages : « I must be cruel only to be kind », dira Hamlet à sa mère. « Kind » s’opposant à « cruel », Yves Bonnefoy le traduit par « juste », alors que F.V. Hugo le traduit simplement par « bon », d’autres par « tendre ».

Hamlet n’est ni bon, ni tendre, ni juste. Il souffre. « Et tout le reste est silence. »

 

 

 

 

 

Photo : © Cosimo Mirco Magliocca

 

 

La Tragédie d’Hamlet de Shakespeare

Traduction de Yves Bonnefoy

Comédie-Française, salle Richelieu

Du 7 octobre 2013 au 12 janvier 2014

Réservation : 0825 10 16 80