19/01/2006
Une si jolie plage
Nous étions assis sur le rivage du monde de José Pliya
Le ciel affiche un bleu intense balayé de promesses orageuses. Le soleil au zénith blanchit le sable qu’on devine brûlant sous les sandales de la femme qui, de dos, contemple au-delà de la crête des dunes. Le ressac de la mer brise le silence. L’air est immobile, comme elle, qui se tient muette et raide. Denis Marleau, qui met en scène ce texte de José Pliya excelle à installer cette paix de commencement du monde et le malaise qui va la déchirer.
Car dans cette beauté naturelle les laideurs de l’Homme n’en éclatent que mieux. La femme regarde au loin. Que regarde-t-elle ? Les amis à qui elle a donné rendez-vous ne sont pas arrivés. La plage est déserte. Un homme aux « muscles racoleurs » semble en être le gardien et le maître. Il lui signifie que la plage lui est interdite. Elle n’a pas, lui dit-il « la bonne couleur ». Mais lui-même est noir, comme elle. Elle ne comprend pas. Elle revient au pays, et quand elle était enfant, cette plage était publique. Il lui ordonne de quitter les lieux. Elle argumente. Il menace. Elle résiste. Il pose un ultimatum. Ses amis qui la rejoignent s’effraient de son entêtement et l’abandonnent. Mais elle s’obstine.
Et, quand enfin elle le vainc, elle s’en va. Impuissante devant toutes les ségrégations, elle reconnaît qu’il n’y a « pas d’issue ». A jamais séparés par leurs couleurs, leurs sexes, leurs origines sociales, ou leurs itinéraires, les préjugés, les familles, ces êtres coincés dans leurs rôles , le noir, le blanc, le quarteron, le blanc s'acharnent à simplement constater, sans jamais dépasser leurs peurs ni leurs rancunes. Leurs intelligences se heurtent à des traditions aussi obtuses que confuses. Et le message est désespéré.
Nicole Dogué donne à son personnage la ténacité d’une Antigone devant la force bestiale et la lâcheté ordinaire qu’incarnent Rudy Sylaire, Mylène Wagram et Éric Delor.
Le spectacle trouble les certitudes des spectateurs, et c’est bien ce que voulait l’auteur.
Théâtre de la Cité internationale
01 43 13 50 50
Texte édité à l'Avant-Scène Théâtre, collection des Quatre-Vents, 12 €.
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10/01/2006
De mémoire de Rose
Federico Garcia Lorca peint, à travers Doña Rosita la soltera ou Le Langage des fleurs, juste avant La Casa de Bernada Alba,« le drame de la bigoterie espagnole ». Des femmes prisonnières, victimes jusqu’au sacrifice suprême, mais aussi bourrelles de leurs filles, de leurs sœurs ou d’elles-mêmes, Rosita est une des plus bouleversantes.
Rosita, s’est fiancée à son cousin qui part pour l’Amérique. Elle a promis de l’attendre. Mais il tarde à revenir et la soltera (fille non mariée) devient solterona (vieille fille). Rosita vit avec ses serments et le langage des fleurs. Elle sait tout de la rose mutabilis, rouge sang à l’aurore et qui se décolore avant, au soir, de s’effeuiller. Elle ne saura rien de la vie.
Rosita, la petite rose, est restée « sérieuse », comme cette Doña Austrégésile du Soulier de satin. Comme elle qui aurait eu le temps de « se marier et d’être veuve deux ou trois fois » au lieu d’attendre Diego Rodriguez, Rosita a donné sa foi.
Diego Rodriguez revient, lui. Mais Rosita a été trahie, le fiancé en a épousé une autre. Elle l’a appris, mais elle a continué à jouer le rôle de la fidélité. La mémoire de Rose est gardienne de l’amour, conforme à l’image vertueuse qu’on exige de la femme espagnole. « Attendre », en espagnol, se dit esperar. Et l’espoir poursuit Rose « comme un loup moribond qui serrerait les dents pour la dernière fois ».
Elle était belle. Elle a laissé faner sa jeunesse et lit sa décrépitude dans le regard des jeunes gens, les enfants de ses compagnes d’école. Le temps a passé, sa tante est ruinée. Il faut vendre la maison, la quitter. Mais il reste l’amour de la nourrice, aussi fort que celui de la tante, il reste la solidarité des femmes, veuves et célibataires.
Garcia-Lorca date subtilement le passage du temps : fin du XIXe siècle par la robe aux « manches à gigot », ensuite des jupes évasées, et au dernier acte, la « mode 1910 ». Tout est nuance chez le poète. Les fiancés s’enlacent, s’embrassent pudiquement, se détachent doucement l’un de l’autre. Les couleurs pâlissent, les musiques s’assourdissent, les âmes s’étiolent. Les roses s’effeuillent sans jamais s’être épanouies et les femmes prennent le deuil.
Jean-Jacques Préau avait signé en 1992, avec Carlos Pradal, une très belle traduction de Mademoiselle Rose pour Michel Cerda.
Matthias Langhoff a choisi celle de Luis del Aguila. Mais pourquoi y mêler une farce pour marionnettes de 1933, connue sous le titre de Petit Retable de Don Cristobal, elle-même tirée d’une autre pièce guiñolesca de 1922 qui n’a qu'un prénom de commun avec Doña Rosita ? Cet assemblage disparate casse toute émotion. C’est regrettable. Agaçant aussi d’apparenter au dernier acte déménagement et bombardement, même si dans les aphorismes populaires le déménagement vaut un incendie, le départ de ces femmes, pour déchirant qu’il soit, ne ressemble pas au bombardement de Guernica.
Heureusement, Évelyne Didi est la nourrice, sensuelle et tendre comme une vraie mère. Elle voit ce que cachent les bonnes manières. Elle incarne avec constance, « celle qui doit donner du courage dans ce deuil sans mort ». Elle est le double exact de la tante qu’Agnès Dewitte joue un peu coincée par une éducation bourgeoise et cachant un cœur énorme sous une apparence revêche. Jean-Marc Stehlé est savoureux en oncle botaniste plus attentif à ses fleurs qu’aux femmes de la maison. Et Emmanuelle Wion, la délaissée, fière et palpitante émeut tous les cœurs.
C’est pour cette troupe, avec ses musiciens, que vous irez voir Doña Rosita, la célibataire.
14:10 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre | Facebook | | Imprimer
10/12/2005
Théâtre en zone de tir
- Théâtrogrammes de Jean-Paul Alègre
- Vingt-six textes de théâtre à lire, vingt-six scènes à jouer, "pour essayer d'introduire un peu de mieux dans tout ce qui va mal", partager des moments d'humour, s'interroger sur l'absurdité de nos comportements, et surtout, ne jamais désespérer des hommes.
- "Vaste programme !" aurait dit le Général...
- Et vous, qu'est-ce que vous en dites ?
- L'Avant-Scène Théâtre, Quatre-Vents, 12 €
17:50 Écrit par Dadumas dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre | Facebook | | Imprimer