12/01/2008
Romantique à jamais
Qu’est-il arrivé à la jeune Catherine Friedeborn (Julie-Marie Parmentier) ? Jeune et jolie jeune fille, dévouée à son gentil vieux père Théobald Friedeborn (Fred Ulysse), un bourgeois débonnaire de Heilbronn, la voici devenue l’esclave docile qui, sans mot dire, suit Frédéric, comte Wetter von Strahl (Jérôme Kircher). Théobald (Fred Ulysse) porte plainte. Frédéric n’y comprend rien. Comme une grande mystique, frôlant le martyre, elle essuie toutes les rebuffades sans broncher, accepte de recevoir le fouet, d’entrer au couvent, s’il ne veut plus la voir, et même de traverser les flammes pour lui complaire.
On rêve souvent sa vie chez Kleist. Hombourg ou Wetter von Strahl ont le rêve prémonitoire. On cherche l’amour absolu, qui transcende la vie et un être qui puisse « prendre tous les noms du monde » comme le dira Éluard. Et des visions oniriques désignent l’élu ou l’élue. Des signes mystérieux l’annoncent, des révélations merveilleuses permettent « la cueillaison d’un Rêve au cœur qui l’a cueilli » comme l’écrira Mallarmé. Car le désir d’amour est éternel et infini. D’autres poètes avant Kleist, d’autres après lui, chanteront cette énigme du sentiment qui transforme les Hommes. Mais n’est-ce pas depuis les romantiques qu’on affirme qu’une « vie sans amour, c’est la mort » ?
La Petite Catherine de Heilbronn d’Heinrich von Kleist est un conte, avec ses méchants : Fribourg (Gilles Kneuzé), Georges (Arnaud Lechien), sa semi sorcière Cunégonde, baronne von Thurneck (Anna Mouglalis) et son âme damnée Rosalie (Bérangère Bonvoisin). Naturellement, il y a les gentils, la servante au grand cœur, Brigitte (Evelyne Didi), l’ami fidèle Gottschalk (Tom Novembre), et le père noble, l’empereur (Jean-Claude Jay). Il y a la vierge farouche, Catherine, et le Chevalier, Frédéric. Et surtout, la Providence qui assemble si bien les faits et les choses et résout l’ordalie avant que le sang de l’innocent ne soit versé…
La scénographie de Nicky Rieti, se compose d’éléments mobiles, constructions gothiques, qui s’assemblent, se rompent, se détruisent, s’agglomèrent dans une pénombre savamment éclairée par André Diot. Ces blocs en ruine évoquent les burgs d’Outre-Rhin magnifiés par les dessins de Victor Hugo. La Nature pénètre dans cet espace fantastique orchestrée par une bande son et musique de Pipo Gomes.
De la mise en scène d’André Engel naît un superbe envoûtement. Chaque comédien donne à son rôle la tonalité Sturm und Drang qui fait de la représentation un modèle du Romantisme. Aucune petite insolence anachronique ne peut détruire le sortilège, La Petite Catherine de Heilbronn reste romantique à jamais…
La Petite Catherine de Heilbronn d’Heinrich von Kleist
Jusqu’au 23 février
Odéon-Berthier à 20 h
01 44 85 40 40
17:41 Écrit par Dadumas dans Littérature, Poésie, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, poésie, théâtre | Facebook | | Imprimer
11/01/2008
Classé X
Après le Cabaret des mers, la Comédie-Française installe un cabaret coquin pour deux semaines au Studio. Véronique Vella a « imaginé, organisé » ce spectacle musical. Elle l’interprète également avec trois complices : Florence Viala, Laurent Natrella et Clément Hervieu-Léger.
Mines gourmandes des demoiselles, clins d’œil farceurs des damoiseaux. De la sévérité dans la tenue, tailleurs classiques, noir de rigueur. L’érotisme est dans le texte. Et comme disait (à peu près) Aragon « mieux vaut le terme cru que l’impropriété ». Lui qui chanta Le Con d’Irène s’y connaissait (si l’on peut dire). Véronique Vella invite aussi Baudelaire et l’ami Théo (Gautier), Verlaine, Apollinaire, Breton, Pierre Louÿs, Genet, Calaferte, Gainsbourg et Ferré. On y trouve aussi des femmes : Sappho, Louise Labé, et la délicate Lucette Marie-Sagnières.
Le décor est sobre, sans doute puisé dans les réserves : tapis d’Orient, tentures de velours frappé cramoisi, hauts tabourets, méridienne pastel. Jean-Louis Cortès signe les arrangements pour clavier. Et c'est gagné !
On n’imaginait guère de redécouvrir le C’est extra de Léo Ferré, susurré par deux séducteurs en goguette qui se comptent leurs exploits. Œil de velours pour Laurent Natrella, satisfaction souriante de Clément Hervieu-Léger. : L’effet est garanti. Véronique Vella en fausse ingénue dans le Ah ! Vous dirais-je maman détourné est épatante, Florence Viala en sous-maîtresse, surprenante.
Textes inconnus, textes bien connus, les métaphores foisonnent, le vocabulaire est somptueux, et comme il s’agit de « donner du plaisir », les quatre comédiens atteignent toujours leur but.
Oreilles pudibondes s’abstenir. L’enfer des bibliothèques*, ou curiosa, est toujours classé X !
*Visitez, sur le même thème d’exposition de la BNF
Cabaret érotique
Jusqu’au 20 janvier
Studio de la Comédie-Française
Du mercredi au dimanche à 20 h 30
01 44 58 98 58
A partir du 30 janvier, Guillaume Gallienne reprend au Studio Le Divin Jongleur de Dario Fo : un autre plaisir !
13:10 Écrit par Dadumas dans cabaret, Littérature, Poésie, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Cabaret, Théâtre | Facebook | | Imprimer
10/01/2008
Vive Voltaire
Arnaud Denis qu’on avait applaudi la saison passée avec Les Revenants d’Ibsen a, cette saison, engagé sa compagnie, les Compagnons de la chimère, dans l’aventure d’une adaptation de Voltaire, magistralement écrite par Jean Cosmos. Et c’est un grand moment de théâtre. À l’heure des foules moutonnières, des fanatiques de tous bords qui nous empoisonnent l’existence, il faut des gens sacrément intelligents pour faire rire en dénonçant l’arbitraire.
Il faut aussi imaginer la mer, la guerre, un palais, le couvent, à partir du plateau nu. Les lumières de Laurent Béal assombrissent les murs, grillagent les cellules, « gothisent » le mur du fond en vitrail. Avec la scénographie de Mirjam Fruttiger, les voiles claquent au vent, la Rance coule vers son estuaire, les paravents d’argent de Versailles cachent les turpitudes, et la belle Saint-Yves meurt comme Atala.
Douze comédiens interprètent une trentaine de rôles. Arnaud Denis, ne se contente pas de mettre en scène, il joue le rôle titre, et sa jeunesse, son ardeur, sa prestance font du Huron, un personnage exemplaire. L’orphelin élevé par des indiens sauvages, retrouve sa famille, est baptisé, éduqué, trahi, sauvé. Chantre de la « loi naturelle », il mène le combat contre l’hypocrisie. Autour de lui, Jacques Ciron donne au prieur de Kerkabon l’allure d’un brave prêtre. Monique Morisi, joue Crédule, vieille fille dont la sentimentalité combat la dévotion, et Romane Portail, prête sa beauté à Mademoiselle Saint-Yves, avec une passion qui émeut les spectateurs autant que les protagonistes. Géraldine Azouelos, est Henriette, dame de Cour, courtisane et maquerelle à ses heures. C’est elle qui livre la vertueuse Saint-Yves à l’abominable Saint-Pouange à qui Jonathan Bizet donne une onctuosité sournoise. Et bien sûr, il y a Jean-Pierre Leroux, qui administre la compagnie et endosse sur scène plusieurs rôles, metteur en scène-conteur, évêque, sergent, Gordon. Avec lui, Alexandre Guanse, tour à tour, régisseur, soldat anglais, laquais, jésuite, père Toutatous, déménageur, médecin. Citons encore Denis Laustriat : l’abbé Saint-Yves, Stéphane Peyran (le fils du Bailly, le garde breton, le gouverneur de la Bastille), Sébastien Tonnet (le jésuite, l’officier anglais, le commis, un déménageur, un médecin).et Geoffroy Veraghaenne : le Bailly de Saint-Malo.
La troupe mène d’un train d’enfer le voyage de Saint-Malo à Versailles et retour. L’ironie de Voltaire légère passe dans un dialogue acéré et soutient un raisonnement sans failles.
L’œuvre était polémique au XVIIIe siècle. Il se pourrait bien qu’elle le redevienne… « Écrasons l’infâme ! » aurait dit Voltaire. Vive Voltaire!…
L’Ingénu, d’après Voltaire, adaptation de Jean Cosmos
Vingtième Théâtre
à 21 h 30
01 43 66 01 13
Depuis le 9 janvier, jusqu’au 2 mars
17:25 Écrit par Dadumas dans Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, théâtre | Facebook | | Imprimer