28/09/2007
Avant le Mariage
Dans la troisième salle de la Comédie-Française, Jean Liermier donne aux Sincères de Marivaux, un petit air de Villégiature, revue par Eric Rohmer. Nous sommes, comme dans Le Genou de Claire au bord de la mer, dans une maison de vacances : Bretagne ou île d’Atlantique. Il ne manque pas une canne à pêche, ni une petite laine pour supporter les matins frais (scénographie de Philippe Miesch). Quand on ouvre la porte, entrent le bruit du ressac et le rire des mouettes avec les lumières d'Yves Bernard.
La Marquise (Cécile Brune) qui est veuve, semble avoir trouvé dans Ergaste (Alexandre Pavloff), l’homme idéal pour se remarier. Elle reproche à Dorante (Christian Cloarec), trop de complaisance, et pas assez de sincérité. La belle Araminte (Sylvia Bergé) qui aime Ergaste, s’en dépite. Deux valets effrontés : Lisette (Julie Sicard), et Frontin (Pierre Louis Calixte) s’en mêlent, et aident leurs maîtres à sonder la sincérité des cœurs.
C’est cruel, et ironique, subtilement interprété. Un succulent hors d’œuvre avant le mariage. Celui de Figaro, bien sûr !
Les Sincères de Marivaux
Studio Théâtre de la Comédie-Française
Du 27 septembre au 18 novembre
A 18 h 30
01 44 58 98 58
14:55 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Théâtre, littérature | Facebook | | Imprimer
Figaro en excellence
Après l’époustouflante Confrérie des farceurs (voir note du 21/09), la Comédie-Française donne un Mariage de Figaro éblouissant.
Rappelons-nous toujours que Le Mariage de Figaro, est aussi intitulé La Folle Journée et que l’individu Figaro (Laurent Stocker, impétueux) qui lutte contre son seigneur, contre le droit coutumier et le droit écrit, apparaît comme un rebelle. Anne Ubersfeld qualifiait la pièce de Beaumarchais, de « première pièce romantique ». Christophe Rauck, le metteur en scène à qui nous devons, ces années passées, un inoubliable Dragon de Schwartz, et un insigne Revizor de Gogol, a tout perçu de l’atmosphère de la pièce et de la profondeur des personnages.
Le trouble de la Comtesse (somptueuse Elsa Lepoivre) devant Chérubin (Benjamin Jungers fragile et tendre) n’est plus un simple attendrissement mais un véritable émoi sensuel qui laisse pressentir La Mère coupable. L’agilité joyeuse de Figaro cache un vrai désespoir. De l’audace respectueuse de Suzanne (délicieuse Anne Kessler) monte une vraie révolte, et les appétits du Comte (Michel Vuillermoz redoutable de puissance) révèlent une vraie perversité. Les revendications de Marceline (Martine Chevalier digne et douloureuse) exposent les justes doléances que la révolution entendra.
Car le sujet du Mariage est bien l’abolition de ce droit féodal nommé « droit de cuissage » par le peuple, droit qui permettait au seigneur de goûter la primeur de tous les fruits de son domaine, y compris le fruit défendu. Michelet écrivit des pages sublimes sur les humiliations faites ainsi aux paysans. Et ces fêtes autour de la cérémonie du mariage, ces déguisements, ces chansons, ces danses, ce toro de fuego, traduisent parfaitement l’affolement des esprits et des corps.
Le metteur en scène mène Michel Robin (Brid’oison), Christian Blanc (Antonio ), Bakary Sangaré ( Bartholo), Grégory Gadebois (Bazile), Prune Beuchat (Fanchette), Dominique Compagnon (l’huissier), Pédrille (Nicolas Djermag) et Gripe-Soleil (Imer Kutlovci) comme un corps de ballet autour des protagonistes. Avec des entrées par la salle, des sorties par l’avant-scène, des rideaux qui s’abattent à l’allemande, des robes qui s’envolent (costumes de Marion Legrand) , tout s'enchaîne allegro ma non troppo autour d'un Figaro en excellence.
Et Beaumarchais se passe fort bien de Mozart…
Le Mariage de Figaro de Beaumarchais
Comédie-Française
0825 10 16 80
On lira avec profit le N° 2 des Nouveaux Cahiers de la Comédie-Française entièrement consacré à l'oeuvre de Beaumarchais, 10 €
12:55 Écrit par Dadumas dans Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, théâtre | Facebook | | Imprimer
27/09/2007
Les rapports dont Teja fut l’objet
Maintenant que la Yougoslavie n’existe plus, et que les républiques qui la composaient sont devenues autonomes, les dissidents ont pris leur revanche. Et Théodore Kraj (Jean-Marie Galey) auteur censuré sous Tito, est devenu rédacteur en chef de La Nouvelle Serbie. « Nommé par quelqu’un » pour restructurer l’entreprise, tapi dans un bureau triste (André Acquart pour le décor, André Diot pour les lumières), il semble dépassé par les responsabilités et en devient parano.
Les auteurs refusés par son prédécesseur le harcèlent, l’ancien directeur organise un charivari dans le bureau voisin, sa secrétaire (Muranyi Kovacs) déprime et voici que se présente un inconnu « bizarre », porteur d’une serviette de cuir et traînant une énorme valise, et qui semble mieux le connaître que quiconque puisqu’il l’appelle « Teja » ainsi que le nommait sa mère.
Le « camarade Luca » (Jean-Pierre Kalfon),
ne présente aucun manuscrit, mais il sort de la serviette des livres reliés : Discours, Recueil du pays natal perdu, Petites scènes, Rencontres et Entretiens et annonce qu’il y a encore un Drame. « Je me suis efforcé d’être un professionnel », dit-il. Teja admire, lui qui n’a publié que deux livres. « Ce ne sont pas mes livres », dit Luca « Ce sont tes livres. » Car, pour Luca, policier en retraite, Teja, a été sa « mission habituelle » pendant dix-huit ans. Il n’a fait « qu’enregistrer et transcrire les bandes». Semblable à l’inspecteur de la Stasi, qui dans La Vie des autres de Florian Henckel espionnait un dramaturge et finissait par le protéger, Luca a transformé les rapports dont Teja fut l’objet en « œuvres », celles qui ne pouvaient être publiées sous Tito. Curieux syndrome que celui qui transforme le bourreau en ange gardien.
Stephan Meldegg se souvient des premières pièces de Havel qu’il a montées (et même jouées) en France, dès 1975, Audience, Pétition même hors du Théâtre La Bruyère. Il n’a pas oublié que Vaclav Havel avait été « condamné au nom du peule » mais « quand le peuple a donné son avis, il l’a élu président ». Dans Le Professionnel, l’auteur serbe Dusan Kovačevič (non, ce n’est pas le footballeur),y fait explicitement référence. Même ironie pour peindre l’absurdité du monde communiste, le système policier, les persécutions stupides, l’embrigadement des âmes pures, l’engrenage de la délation et de la haine. Le Professionnel est une pièce magistrale. La perfection du dialogue et les rouages de la satire donnent à l'oeuvre la charpente politique forte.
De plus, ici, l’auteur décrit une relation bouleversante. Le dossier de police est devenu « dossier littéraire » grâce à un personnage absent dont Luca parle sans cesse, son fils. Chassé de l’université à cause de l’intérêt qu’il portait à la pensée de Kraj, ce fils chéri a dû s’exiler pour pouvoir enseigner. Mais avant, il a éduqué le père maladroit : « Nous, les pères, ce qu’il ne faut pas dire, on le dit toujours à temps, et ce qu’il faut dire, on le dit toujours en retard, ou jamais. » Et Luca rend à Teja la montre de son père, les lettres de sa mère, et tous les objets que le jeune auteur a semés au cours de ces dix-huit annés de pérégrinations : parapluies, chapeaux, jumelles, lapin de peluche, moufle, etc. Une valise entière d’objets devenus fétiches… Il le débarrasse du gêneur véhément (Jérôme Le Paulmier) qui rend Teja agressif. Pour quelles raisons ?
Ah ! on ne va pas quand même tout vous dévoiler ! Allez-y vous-même ! Profitez de la démocratie. Jean-Pierre Kalfon et Jean-Marie Galey la défendent avec un art prodigieux.
Le Professionnel de Dusan Kovacevič
adaptation d’Anne Renoue et Vladimir Cejovič
publié à L'âge d'homme
Théâtre Rive Gauche 01 43 35 32 31
10:50 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Théâtre | Facebook | | Imprimer