23/11/2009
Les millions des autres
Isidore Lechat (Gérard Giroudon) brasse des affaires. Lesquelles ? On ne sait pas vraiment, sauf qu’il possède des actions partout, qu’il est aussi patron de presse et utilise son journal comme « levier ». Plusieurs fois failli, il s’est toujours relevé. Il compte et il pèse ses relations au poids de leurs millions. Il brasse « ces millions à pleines mains ». Les « millions des autres », sont devenus les siens. Il a, dit-on, été, « servi par les événements ». Il est « vaniteux, gaspilleur, inconsidéré, menteur », mais c’est un « honnête homme » affirme sa femme. D’ailleurs, s’il était « une canaille, est-ce qu’il serait l’ami d’un et même plusieurs ministres ? »
Cette question vous fait rire ? Vous pensiez à des affaires récentes ? Mais quel mauvais esprit ! Octave Mirbeau écrivit Vauperdu, la première version de Les affaires sont les affaires en 1900 et la pièce fut reçue à la Comédie-Française en 1903. Serait-ce que ces profiteurs cyniques, existent toujours ? Quelle époque !
Ils n’ont que mépris pour les humbles, et ne fréquentent les grands que dans la mesure où ils peuvent rapporter quelque chose. Ainsi, Isidore Lechat paie volontiers les dettes de son fils Xavier (Clément Hervieu-Léger) à condition que ses fréquentations lui ouvrent les portes d’un ministère. Il consent à effacer les dettes du Marquis de Porcelet (Michel Favory) si l’aristocrate consent à marier son fils ruiné à la fille Lechat richement dotée. Il reçoit en son château Gruggh (Gilles David) et Phinck (Nicolas Lormeau) porteur d’un projet de grands travaux, parce qu’il sait qu’il va les rouler. Là « où il y a des affaires, il n’y a pas d’honneur. »
Il humilie ceux qui le servent, jardinier, intendant. Il demande une obéissance absolue à son secrétaire Lucien Garraud (Adrien Gamba-Gontard) et n’a aucun égard pour sa femme (Claude Mathieu). On a rarement construit personnage plus odieux. Et la révolte de sa fille Germaine (Françoise Gillard) apporte enfin au spectateur un espoir de le voir changer.
Malgré la fin atroce de son fils, et la dislocation de la famille, le manipulateur continue à régenter. Pour qui ? Pour quoi ? L’affairiste est devenu un monstre.
Le décor de Gérard Didier, dans la mise en scène de Marc Paquien, ne suggère guère le « château bâti par Louis XIV », et la nudité des lieux n’évoque pas les nouveaux riches. Un peu de brillant, de superfétatoire auraient aidé le spectateur à comprendre plus vite la situation. Ici, tout repose sur les acteurs. Gérard Giroudon compose un Lechat épatant, méchant et rigolard, une personnalité qui écrase toutes les autres. (Clément Hervieu-Léger) s’est fait un personnage d’adolescent ricaneur, à la fois insolent et timoré. Face au père bulldozer, il plie, mais ne rompt pas. Michel Favory qui joue trois rôles, oppose un calme grave, une noble fierté. Claude Mathieu, femme bafouée, mère meurtrie, joue juste. Françoise Gillard s’impose par la dureté.
La comédie finit en tragédie. Mais le capitalisme ne s’avoue jamais vaincu. Après Le Roman d'un Trader, Donogoo, et maintenant Les Affaires sont les affaires, vous ne pourrez pas dire qu'on ne vous avait pas informés de ses dangers !
Les affaires sont les affaires d'Octave Mirbeau
Théâtre du Vieux-Colombier
jusqu'au 3 janvier 2010
01 44 39 87 00/01
14:30 Écrit par Dadumas dans Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, littérature | Facebook | | Imprimer
18/11/2009
Hommage à Gérard Philipe
C’était un jour de Sainte-Catherine. Il y a cinquante ans. Nous avons brutalement appris qu’Avignon venait de perdre son prince.
Nous n’en sommes pas encore consolés. Chaque fois qu’on évoque Gérard Philipe, des vagues de tristesse nous envahissent.
Comédien génial, hommes exceptionnel, il avait mis son talent au service du théâtre que nous aimons entre tous : le théâtre populaire.
En juillet dernier, la maison Jean Vilar a consacré un numéro spécial* à l’acteur.
Du 24 au 29 novembre, la Maison Jean Vilar, la ville d’Avignon et l’Opéra-Théâtre d’Avignon et des pays du Vaucluse vont saluer sa mémoire.
Ce sera d’abord une « évocation », par les images : photos d’Agnès Varda, projection de documentaires et de films. Du 24 novembre au 19 décembre.
Du 25 au 28 novembre, le soir, à 19 h dans les salons, Philippe Avron, Henry Moati et Arlette Téphany joueront En scène dans un quart d’heure !, un spectacle d’une heure suivi d’une collation et d’un échange entre les spectateurs et les comédiens, comme au temps du TNP de Vilar.
Michel Bouquet fera partager ses souvenirs le samedi 28 novembre.
Et, le dimanche 29, grande projection du Rouge et le Noir à l’Opéra-Théâtre.
Un bel hommage…
* Cahiers de la Maison Jean Vilar, 5 €.
18:00 Écrit par Dadumas dans exposition, Film, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, cinéma, exposition | Facebook | | Imprimer
16/11/2009
Les gogos de Donogoo
Donogoo-Tonka fut d’abord un « conte cinématographique », en 1920. Jules Romains n’y avait ménagé ni le changement de lieux, ni le nombre de figurants. Pièce essentiellement masculine elle fut jouée au théâtre. On y retrouvait Bénin (Patrick d’Assumcao), Lamendin (Jacques Fontanel) et Lesueur (Pierre Trapet), trois des compères du roman Les Copains (1913), dont le rire rabelaisien résonnait encore. On y découvrait Monsieur Le Trouhadec (Jean-François Guillet), type de l’universitaire médiocre, gonflé de prétentions, timoré et rancuneux : « insuffisant géographe » et « suffisante fripouille ». Ce personnage devint récurrent et fut « saisi par la débauche », en 1923 et se maria en 1925.
Donogoo raconte une mystification internationale, une manipulation planétaire, soutenue par une banque, nourrie par « la réclame » (on ne disait pas encore la pub), et avalée par tous les crève-la-faim un peu nigauds en mal d’enrichissement rapide et de revanche sociale. Les gogos de Donogoo-Tonka, partis pour faire fortune sur la (mauvaise) foi d’intrigants sans scrupules, vont transformer une erreur scientifique en vérité. Elle est donc toujours d'actualité.
Jacques Fontanel donne en Lamendin, une sorte d’autocrate en puissance que les événements révèlent à lui-même. D’abord irrésolu, égayé par les circonstances, « je trouve cela d’une absurdité insondable, mais je marche ! », il se nommera sans vergogne « gouverneur » de Donogoo, ville qu'ont fondée les hommes de bonne volonté, las d'errer dans ce pays, sans la trouver. Ainsi, la soif du pouvoir métamorphose-t-elle les hommes.
Jean-Paul Tribout, qui met en scène, s’est réservé le rôle du cynique Margajat, patron d’une banque véreuse qui, dans une « époque défavorable », conduit l’opération financière et exploite autant la crédulité de pauvres bougres que celle des actionnaires cupides. Il le montre brillant, plus joueur que méchant.
On lui pardonne volontiers de finir la représentation sur la prise de pouvoir de Lamendin, et non sur l’arrivée des femmes, car il réussit la gageure de faire jouer une quarantaine de rôles, par huit comédiens qui assument de deux à huit rôles chacun.
Le professeur de psychothérapie biométrique Ruffisque (Eric Chantelauze), sorte de gourou autoritaire, se transforme en aventurier actif, comme Pierre Trapet, Laurent Richard, Patrick d’Assumcao ou Xavier Simonin.
Le décor (Amélie Tribout) n’est pas en reste avec ses ingénieuses fenêtres coulissantes qui ouvrent sur des bibliothèques, des paysages, des étagères de bistrot, des comptoirs d’échoppes. L’action court de Paris en Amérique du Sud, et visite les ports interlopes et les spéculateurs de toutes nationalités. Elle précède la crise de 1929, et, la pressentant, préfigure celle que nous connaissons. Elle parle aussi du « besoin de confiance » de l’Homme, et des escroqueries à grande échelle.
Pas besoin d’aller chercher très loin pour rompre la distance entre fiction et réalité. Samedi dernier, au Champ-de-Mars, des jeunes gens naïfs, se sont fait épingler… Et redonner Donogoo aujourd'hui semble nécessaire.
Chers enfants de tous pays, précipitez-vous à Donogoo afin de rester lucide…
Donogoo de Jules Romains
Théâtre 14 jusqu’au 2 janvier 2010
01 45 45 49 77
21:09 Écrit par Dadumas dans humour, Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : théâtre, littérature | Facebook | | Imprimer