14/11/2016
Le jeune homme blessé
Il pleut et le jeune homme (Eugène Marcuse), est cerné par la nuit (scénographie et lumières d’Yves Collet).
Il crève de solitude et peut-être de trouille car dans cette « saloperie de quartier », les « chasseurs de rats du vendredi soir » le guettent. Il redoute les « tringleurs organisés ». Il est un « peu étranger », et « ces cons de Français » se moquent de ses habitudes. Il est « presque sans argent » pour se payer une chambre, et tente d’accrocher l’attention d’un « camarade ». Il appelle, interpelle, parle, parle, comme si ce flux ininterrompu pouvait l’empêcher de mourir.
Est-il « en manque » ? Le corps est tordu de douleur, les gestes nerveux, les mains avides griffent l’air. A-t-il déjà été agressé ? Il dit qu’il « cogne vite et sans timidité » ? Mais il semble appeler à l’aide celui à qui il s’adresse. Il dit « qu’il faut qu’on se planque dans une forêt », il dit aussi qu’il se « fait descendre ».
Nous ne saurons jamais qui il est, ni ce qu’il fait, mais il nous bouleverse, ce jeune homme blessé, abandonné. Ce n’est plus un petit jeune homme égaré mais un saint Sébastien martyr.
Eugène Marcuse donne au texte de Bernard-Marie Koltès une résonance dérangeante, troublante. La proximité de l’acteur transmet au spectateur frisson et compassion. Jean-Pierre Garnier, le metteur en scène nous révèle un grand comédien.
Photo © D. R.
La Nuit juste avant les forêts de Bernard-Marie Koltès
Mise en scène de Jean-Pierre Garnier
Théâtre de Poche-Montparnasse
01 45 44 50 21
À 19 h du mardi au samedi
16:18 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, théâtre de poche-montparnasse, bernard-marie koltès, eugène marcuse. | Facebook | | Imprimer
08/11/2016
Vaclav Havel , le retour
Déclaré « ennemi de classe » dès son adolescence, condamné pour sa « résistance » au régime politique qui opprime son peuple, Vaclav Havel, a passé de nombreuses années en prison ou dans des emplois subalternes très surveillés. Il en a gardé de quoi nourrir ses écrits et son théâtre.
Dans sa pièce Audience il s’invente un double, l’auteur Ferdinand Vanek (Cédric Colas), comme lui interdit de scène et de publication. Pour gagner sa vie, il travaille chez un brasseur. Sladeck (Stéphane Fiévet), son supérieur hiérarchique l’a convoqué. L’homme est amical, patelin, prodigue en conseils. Il dit admirer le courage que ce changement de vie a dû induire dans la vie de son employé. Mais plus le chef est loquace, affable, plus l’ouvrier reste taciturne et froid. Plus il s’épanche, plus Vaneck se méfie. Sladek ouvre des bières, Vanek feint de les boire. Le contremaître n’est plus qu’un poivrot larmoyant, Vanek dignement, n’a pas cédé.
Le décor imaginé par François Cabanat reproduit la brasserie, avec ses caisses, sur lesquelles les spectateurs seront assis. En face d’eux, les tonneaux à livrer et le bureau vitré où le contremaître interroge Vanek et d’où il surveille tout et tous. Et quand Sladek s’écroule, Véra (Frédérique Lazarini) et Michael (Marc Shapira), très excités, introduisent les spectateurs dans leur nouvel appartement : un grand salon clair, orné d’une des œuvres de Miloslav Moucha, reproduite « en cascade » sur les murs.
L’action se joue au centre, comme dans une arène. Et c’est un combat de mots que le couple va livrer contre Vaneck. Ils vantent leur réussite, et étourdissent leur « meilleur ami », des prouesses qu’ils ont réalisées, tant socialement que sexuellement. Ils sont enthousiastes, diserts, épanouis, bien intégrés au système. Ils ont su « s ‘arranger ». Vaneck, par son intransigeance est resté « un plouc ». Ils sont exubérants et autoritaires et le pauvre Vanek ne pense qu’à fuir.
Les traits sont rapides et sûrs. Anne-Marie Lazarini vise juste dans le choix de ces textes, la direction des comédiens. La satire est parfaite. Elle était nécessaire dans un temps où les valeurs sont faussées, les idées corrompues, les héros hésitants. Avec un brin d’extravagance dans le choix de la composition musicale, elle nous entraîne dans un univers quasi surréaliste, baigné d’humour grinçant. Tout Vaclav Havel en quelque sorte.
Photos :© Marion Duhamel.
Audience et Vernissage de Vaclav Havel
Mise en scène d’Anne-Marie Lazarini
Théâtre Artistic Athévains
Jusqu’au 31 décembre
01 43 56 38 32
Mardi, mercredi, jeudi, 19 h
Vendredi, 20 h 30
Samedi, 18 h
Dimanche, 15 h
23:08 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, Histoire, humour, Littérature, Politique, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, théâtre des athévains, vaclav havel, anne-marie lazarini | Facebook | | Imprimer
23/10/2016
Un duo délirant
Tous les auteurs dramatiques vous le diront. Le plus difficile n’est pas d’écrire une pièce, le plus dur est de la faire jouer.
- Vous avez une tête d’affiche ? demande le directeur de théâtre. Car pour lui, pas de scène possible, si la distribution ne comprend pas au moins un(e) ou comédien(ne) une «tête d'affiche», « bankable », comme on dit maintenant.
Et le pauvre auteur dramatique d’attendre que le comédien pressenti daigne lire son manuscrit, ou que son agent accepte de lui transmettre.
- Vous avez la production ? demande la vedette.
Et ce jeu de bonneteau peut durer des mois, voire des années.
Pas étonnant que le jeune auteur qui s’ « appelle Vincent » (Sébastien Castro), use d’une autre tactique avec le comédien qu’il a choisi pour interpréter son personnage principal, François B., c’est-à-dire François Berléand, qui jouait Dom Juan et n’avait pas encore lu la pièce qu’il lui avait envoyée six mois auparavant.
Le comédien se trouve « aspiré » dans « l’univers fictionnel » de l’auteur et non seulement ne peut plus en sortir, mais il est rejoint par les personnages nés de la transposition du réel dans cet autre monde. Sont ainsi « aspirés » sa femme (Constance Dollé), et l’employée de maison (Inès Valarché).
Clément Gayet est l’auteur de Moi, moi et François B., un cauchemar kafkaïen, dans lequel les comédiens se heurtent aux « terrifiants pépins » (comme aurait dit Prévert) d’une réalité transposée.
Le metteur en scène, Stéphane Hillel, installe une perpétuelle inquiétude. Le décor d’Edouard Laug est judicieusement menaçant, les lumières de Laurent Béal en soulignent l’étrangeté et la musique de François Peyronny renforce l’angoisse.
Si François Berléand passe de fichus quarts d’heure, le public se laisse embarquer dans un fantastique très humoristique et suit allègrement les comédiens. François Berléand forme avec Sébastien Castro un duo délirant.
Le hiatus entre fiction et réalité semble hanter les dramaturges, cette saison, puisque Arnaud Denis dans Le Personnage désincarné, et Alexis Michalik dans Edmond jouent également sur ce thème et sur ses variations.
Est-ce à dire que notre époque confondrait les chimères et les certitudes ? Prendrions-nous les vessies pour des lanternes ?
Moi, moi et François B… de Clément Gayet
Théâtre Montparnasse
01 43 22 77 74
Mardi, mercredi, jeudi, vendredi, samedi : 21h
Samedi : 17h30 Dimanche : 15h30
16:44 Écrit par Dadumas dans culture, humour, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, théâtre montparnasse, françois berléand | Facebook | | Imprimer