08/11/2016
Vaclav Havel , le retour
Déclaré « ennemi de classe » dès son adolescence, condamné pour sa « résistance » au régime politique qui opprime son peuple, Vaclav Havel, a passé de nombreuses années en prison ou dans des emplois subalternes très surveillés. Il en a gardé de quoi nourrir ses écrits et son théâtre.
Dans sa pièce Audience il s’invente un double, l’auteur Ferdinand Vanek (Cédric Colas), comme lui interdit de scène et de publication. Pour gagner sa vie, il travaille chez un brasseur. Sladeck (Stéphane Fiévet), son supérieur hiérarchique l’a convoqué. L’homme est amical, patelin, prodigue en conseils. Il dit admirer le courage que ce changement de vie a dû induire dans la vie de son employé. Mais plus le chef est loquace, affable, plus l’ouvrier reste taciturne et froid. Plus il s’épanche, plus Vaneck se méfie. Sladek ouvre des bières, Vanek feint de les boire. Le contremaître n’est plus qu’un poivrot larmoyant, Vanek dignement, n’a pas cédé.
Le décor imaginé par François Cabanat reproduit la brasserie, avec ses caisses, sur lesquelles les spectateurs seront assis. En face d’eux, les tonneaux à livrer et le bureau vitré où le contremaître interroge Vanek et d’où il surveille tout et tous. Et quand Sladek s’écroule, Véra (Frédérique Lazarini) et Michael (Marc Shapira), très excités, introduisent les spectateurs dans leur nouvel appartement : un grand salon clair, orné d’une des œuvres de Miloslav Moucha, reproduite « en cascade » sur les murs.
L’action se joue au centre, comme dans une arène. Et c’est un combat de mots que le couple va livrer contre Vaneck. Ils vantent leur réussite, et étourdissent leur « meilleur ami », des prouesses qu’ils ont réalisées, tant socialement que sexuellement. Ils sont enthousiastes, diserts, épanouis, bien intégrés au système. Ils ont su « s ‘arranger ». Vaneck, par son intransigeance est resté « un plouc ». Ils sont exubérants et autoritaires et le pauvre Vanek ne pense qu’à fuir.
Les traits sont rapides et sûrs. Anne-Marie Lazarini vise juste dans le choix de ces textes, la direction des comédiens. La satire est parfaite. Elle était nécessaire dans un temps où les valeurs sont faussées, les idées corrompues, les héros hésitants. Avec un brin d’extravagance dans le choix de la composition musicale, elle nous entraîne dans un univers quasi surréaliste, baigné d’humour grinçant. Tout Vaclav Havel en quelque sorte.
Photos :© Marion Duhamel.
Audience et Vernissage de Vaclav Havel
Mise en scène d’Anne-Marie Lazarini
Théâtre Artistic Athévains
Jusqu’au 31 décembre
01 43 56 38 32
Mardi, mercredi, jeudi, 19 h
Vendredi, 20 h 30
Samedi, 18 h
Dimanche, 15 h
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30/03/2013
Concerto en bleu
Jean Echenoz, dans son Ravel retrace les dix dernières années du musicien et le montre fragile mais fringant, toujours élégant, distant et susceptible.
Anne-Marie Lazarini, aime les auteurs qui « sont capables de toucher la réalité du bout d’un doigt pour qu’elle existe » et elle met en scène le roman (avec très peu de coupures). Une narratrice (Coco Felgeirolles) et un narrateur (Marc Schapira) se relaient. Ils accompagnent un Ravel (Michel Ouimet), tout de blanc vêtu (costumes de Dominique Bourde). Le plateau baigne dans un bleu atemporel et apaisant qui laque le piano, les maquettes, le transat, la carcasse réinventée d’une Peugeot, le fauteuil club, une baignoire, le bastingage du France, tous les accessoires (décors et lumières de François Cabanat).
Andy Emler, au piano, est le soliste de ce « concerto en bleu ». Il a composé My own Ravel avec des rythmes qui évoquent Ravel, des extraits des œuvres du maître, et des musiques qu’il aimait : Gershwin et Stravinsky. Il illustre et soutient ainsi le parcours des dix dernières années de Ravel, de la gloire au crépuscule.
Nous découvrons Ravel dans sa thébaïde de Montfort-L’Amaury, nous le suivons dans son voyage transatlantique sur le paquebot France, sa tournée aux U. S. A., sa fascination pour le jazz, ses insomnies, son ennui chronique. La narratrice devient Hélène Jourdan-Morhange, Marguerite Long, Ida Rubinstein. Le narrateur, joue aussi Georges Jean-Aubry, le commandant du France, son ami Zogheb, ou Wittgenstein, mais toujours sur le mode du récit : « il », et jamais « je ».
C’est une très judicieuse manière de mettre entre l ‘action et le comédien cette distance conforme au personnage Ravel qui ne montre jamais d’émotion, ne doute jamais de lui. Cependant, le succès fleurit là où le musicien ne l’attendait pas : ce Boléro, cette partition « qui s’autodétruit » et qui « marche extraordinairement. »
Puis vient la douloureuse descente aux enfers de la maladie, l’inquiétude impuissante de ses amis, la mort.
Anne-Marie Lazarini a su donner à sa transposition le mystère qui entoure le secret et la magie du compositeur. Parmi les créations théâtrales de la saison, celle-ci est un heureux miracle.
Photos : © Lot
Ravel de Jean Echenoz d’après le roman paru aux éditions de Minuit
Adaptation et mise en scène d’ Anne-Marie Lazarini
Théâtre des Artistic-Athévains
01 43 56 38 32
depuis le 27 mars jusqu’au 5 mai, puis du 15 novembre au 22 décembre
Tout Echenoz
(week-end de lectures, films, concert, exposition, causerie, librairie)
le samedi 13 avril à partir de 12 h
et dimanche 14 avril à partir de 14 h
www.artistic-athevains.com
23:38 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, Littérature, Livre, Musique, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : théâtre, littérature, artistic athévains, echenoz, anne-marie lazarini | Facebook | | Imprimer
03/02/2010
Une femme assassin*
Les affaires criminelles ont beaucoup inspiré les auteurs dramatiques, soit au cinéma, soit au théâtre.
Marguerite Duras s’inspira du crime d’Amélie Rabilloud pour L’Amante anglaise, dont la première version s’intitulait Les Viaducs de la Seine-et-Oise. Henri-Georges Clouzot récrivit, en la modifiant, l’affaire Pauline Dubuisson pour La Vérité. Michel Vinaver rédigea, à partir de la même affaire, Portrait d‘une femme (1984). Mais il n’avait jamais accepté que la pièce fût portée à la scène en Île-de-France. Il autorise aujourd’hui Anne-Marie Lazarini à le faire.
L’astuce de François Cabanat, qui signe le décor et les lumières, est de réunir sur le même plateau, le temps de la représentation, des espaces et des temps différents, de 1944 à 1953, en discontinuité, sans que le spectateur n’ait à se demander où il est, ni quand la scène se passe. Une projection vidéo, en lettres, sur le mur du fond, l’aide à se situer. Tous les comédiens sont en scène, et circulent aisément, du rôle de témoin à celui de mère de l’accusée comme Sylvie Herbert, ou comme Gérald Chatelain, père, mais aussi, armurier ou docteur Schlessinger, séducteur de la coupable, Sophie Auzanneau (Jocelyne Desverchère) que la cour d’Assises va juger. Cédric Colas sera Cornaille le condisciple de Xavier, ou Colonna le rival. David Fernadez est Lachaud puis Haudebourg, Isabelle Mentré, Francine, la fiancée bien élevée, ou Claudette, la copine de Sophie.
La cour d'assises siège : juge (Claude Guedl) et avocat général (Bruno Andrieux) vêtus de rouge et d’hermine, juchés en hauteur, avec l’avocat de la partie civile (Jacques Bondoux). Remparts de la société, ils surplombent "le parquet". On y trouve l'avocat de la défense (Michel Ouimet), la barre des témoins à gauche, et le box de l’accusée à droite, qui dominent de quelques marches un rez-de-chaussée, ras la scène, sur lequel s’inscrivent, à gauche, la chambre de Sophie, et à droite la chambre de Xavier (Arnaud Simon), la victime, au premier plan. Au second plan, les parents Auzanneau sont assis sous le poirier de leur jardin. Au centre, une table et trois chaises figurent les cafés où les protagonistes se donnent rendez-vous.
Les déplacements sont précis, rapides. Le texte de Michel Vinaver est proche des minutes du procès. Il en restitue la sécheresse, l’inexorable enchaînement, l’épouvantable aporie.
Pourquoi l’a-t-elle tué, alors qu’elle avait refusé de l’épouser, et qu’elle le trompait ouvertement ?
L’accusée est vêtue de rouge, comme le juge et le procureur (costumes de Dominique Bourde). Elle ment, se contredit, change de version, mais conserve toujours une tranquille indifférence qui ronge le langage codé de la machine judiciaire et l'oppose au réel. Elle garde un masque impénétrable, et pourtant elle secoue ceux des autres.
Cette femme énigmatique s’explique mal ou pas du tout. Ce portrait est-il vraiment celui d’un assassin ? Condamnée aux travaux forcés à perpétuité, Pauline Dubuisson sera libérée huit ans plus tard, mais se suicidera en 1963.
La musique d’Hervé Bourde ajoute du mystère à l’atmosphère déjà oppressante du procès.
Michel Vinaver parlait de « l’opacité d’un procès », Anne-Marie Lazarini réussit à représenter sur scène l’inquiétante « opacité du monde ».
Photos : Marion Duhamel.
* Encore un mot sans féminin, mais là, on s’en féliciterait plutôt…
Portrait d’une femme de Michel Vinaver
Au Théâtre de l’Ouest Parisien (23 mars-1er avril)
Au Théâtre de la Criée à Marseille (6-10 avril)
Au Théâtre des Deux-Rives à Rouen (17-20 mars)
En Suisse (Neuchâtel, 9 février, Genève, 20-30 avril),
16:29 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, justice, michel vinaver, anne-marie lazarini | Facebook | | Imprimer