13/09/2013
La vie d’artiste
La troupe de Gennaro (Jean-Jacques Blanc) s’est installée dans une ville balnéaire : Bagnoli. Leur impresario, Alberto de Stefano (Thibaut Lacour) escomptait que les gens en villégiature se presseraient à leur spectacle. Mais « les gens viennent pour prendre le frais », et la représentation a été un échec. D’autant que la jeune première, Viola (Gwénaël Ravaux) enceinte jusqu’au yeux a été sifflée, et Vincenzo (Philippe Vermeulen) a été rossé par un spectateur. Avec l’aide du souffleur Attilio (Jean-Marc Bihour), Gennaro fait répéter un autre spectacle pour le soir, et Florence (Yvette poirier) prépare les spaghettis. Car ils n’ont pas les moyens d’aller au restaurant. Or, on n’a pas le droit de faire la cuisine dans les chambres, ni la lessive. La vie d’artiste n’est pas rose du tout. Et les ennuis commencent !
Pour Alberto aussi. Sa maîtresse, Bice (Raphaëlle Lenglare) lui apprend qu’elle est enceinte. Et comme c’est un galant homme, il décide d’aller demander sa main. Mais Bice lui cachait qu’elle était mariée au Comte Carlo Tolentano (Pierre Gondard), et ce dernier le prend très mal. Pour sauver sa bien aimée du déshonneur, Alberto simule la folie et c’est au commissariat que l’affaire de dénouera.
Cette farce mêle le rire et la tendresse comme Eduardo de Filippo sait si bien le faire et la mise en scène enjouée de Patrice Pelloquet donne au spectacle une dimension de fête populaire. Yvette Poirier, Hervé Gouraud, Patricia Varnay pétillent de verve dans les rôles secondaires.
Bref, on s’amuse et cette soirée efface, pour un temps, les tristes réalités de la rentrée.
Photos : © E. Lizambard
Homme et galant homme d’Eduardo de Filippo
Traduction de Huguette Hatem
Théâtre 14
01 45 45 49 77
14:16 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, humour, Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, théâtre 14, de filippo, pelloquet, hatem | Facebook | | Imprimer
12/09/2013
Zelda, celle qui avait du talent*
Ils étaient jeunes, beaux, riches, célèbres et ils s’aimaient. Mais ils n’eurent pas beaucoup d’enfants et ne vécurent ni longtemps, ni heureux. Scott Fitzgerald (Julien Boisselier) avait-il épousé en Zelda (Sara Giraudeau) l’héroïne de ses romans ? Ou s’inspirait-il de Zelda pour composer ses personnages en puisant dans le journal intime de sa femme ? Et eut-il une liaison homosexuelle avec Ernest Hemingway (Jean-Paul Bordes) ?
Renaud Meyer à la fois auteur et metteur en scène peint le trio mythique avec habileté et ne nous cache rien des faiblesses de chacun. Sara Giraudeau est bouleversante dans cette incarnation de femme fragile, incomprise, souvent allumeuse, quelquefois naïve, toujours trouble-fête. Elle se veut rebelle mais cède aux injonctions de l’homme qu’elle adore. Il lui vole des nouvelles et lui impose de couper des chapitres entiers de son roman Save the waltz (1932) pour les verser dans le sien Tender is the night (1934). Jean-Paul Bordes s’est fait une belle tête de faux-jeton à moustache, et Julien Boisselier joue les charmeurs. Du grand hôtel de New York au bord de la Riviéra, le couple s’aime et se déchire, et Hemingway sème son venin. Costumes de Dominique Borg et scénographie de Jean-Marc Stehlé donnent à l’histoire la vraisemblance des années folles.
En 1924, Scott boucle Zelda à la maison quand elle a une aventure avec Edouard Jozan. Puis, quand lui, s’amourache de Sheilah Graham, il la fait admettre en clinique psychiatrique. Pourquoi s’étonner qu’elle sombre dans la schizophrénie ? « Trouble bipolaire » dira le Docteur Irving Pine. « Harcèlement moral » diront d’autres, dont Gilles Leroy dans Alabama Song. Où était le scandale ? Du côté de Zelda qu’on jugea « folle » ou de Scott à qui on pardonnait son alcoolisme ? Qui a détruit l’autre ? Qui avait du talent ?
Scott meurt en 1940, à Hollywood, complètement décavé, Zelda en 1948 dans l’incendie de l’hôpital où elle est internée.
Le dernier acte de Zelda et Scott transfigure cette sombre période, en représentant Zelda seule, prisonnière d’une malle capitonnée, le corps torturé d’un corse. On sait sa passion pour la danse et à quels excès elle soumettait son corps pour devenir une danseuse exceptionnelle. La démesure était son ordinaire. La scénographie de Jean-Marc Stehlé (sans doute sa dernière) métaphorise à la fois les efforts de Zelda, sa souffrance et son inextinguible amour.
Trois musiciens : Xavier Bornens à la trompette, François Fuchs à la contrebasse et Aidje Tafial aux percussions (Manhattan Jazz Band) accompagnent magnifiquement ce drame, et quand Sara Giraudeau chante : Everybody loves my baby un ravissement saisit les spectateurs.
* Celle qui avait du talent, titre d'une nouvelle de Zelda Fitzgerald (1930)
Photos : © Lot
Zelda et Scott de Renaud Meyer
Du mardi au samedi à 21 h
Samedi : 15 h
Théâtre La Bruyère
01 48 74 76 99
18:15 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, Littérature, Musique, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, théâtre la bruyère, fitzgerald | Facebook | | Imprimer
25/05/2013
La faute à Voltaire !
La pièce de Saadallah Wallous, Rituel pour une métamorphose, qui entre au répertoire de la Comédie-Française tient des Mille et une nuits par son univers, de la parabole politique par la situation dramatique, du drame shakespearien par le foisonnement des intrigues secondaires, du roman de mœurs par l’analyse du comportement des hommes et du conte voltairien par l’ironie. L’œuvre frappe par sa richesse. Il n’est donc pas étrange que les avis divergent sur le spectacle. Car, vous savez bien qu’« il y a tant de gens qui aimeraient mieux être aveugles que de voir tout ce qu'ils voient. »[1] Et si ce Rituel ne métamorphose pas les spectateurs, il suscite discussion et réflexion.
Comment se débarrasser d’un homme qui vous déplaît car son pouvoir empiète sur le vôtre ? Certains n’hésiteraient pas à utiliser le poignard contre le prévôt, Abdallah (Denis Podalydès). Mais pas le Mufti (Thierry Hancisse) ! Il suffit de connaître les faiblesses de son adversaire, de lui tendre un piège et de laisser agir quelque complaisant comme le chef de la police Izzat (Laurent Natrella), un subalterne qu’on peut ensuite récuser.
Hypocrisie ? Non ! Stratégie normale pour un responsable religieux traditionnaliste face à un laïc. Entre des adversaires politiques, nous avons vu le traquenard fonctionner, mais ici, nous sommes à Damas, au XIXe siècle, et le religieux fait la loi.
Abdallah est facile à coincer, puisque marié à Mou’mina (Julie Sicard), il se livre « à la débauche » avec Warda la prostituée (Sylvia Bergé) dont il est amoureux. Il se soumet à tous ses caprices, allant même jusqu’à la coiffer de son turban vert, « insigne de sa dignité ». Crime abominable qui lui vaut une arrestation en flagrant délit, une exposition publique et un emprisonnement avec sa complice.
Comment le sortir de là, le scandale étant consommé ? Il suffit au bon apôtre, - j’ai nommé le mufti -, d’écouter les plaintes des notables qui se jugent déshonorés par « les mercenaires de la police ». Il propose alors de remplacer en catimini, Warda, par Mou’mina, la légitime, de faire passer le chef de la police pour un abruti, et de l’incarcérer.
Injustice ? Non, solidarité de classe ! On louera même votre « grandeur d’âme ». Et l’immunité des puissants sera respectée.
Le gouverneur (Bakary Sangaré) est crédule et surtout très lâche. Il « n’aime pas les problèmes », les geôliers corrompus ferment les yeux. Mais un grain de sable s’est introduit dans la friponnerie bien agencée. Mou’mina a accepté d’entrer dans les manigances du mufti à condition d’obtenir sa répudiation. Une fois libre, la voilà qui rejoint Warda et, sous le nom de Almâssa, devient la prostituée que tous les mâles désirent. Le mufti lui-même, brûle d’amour pour la pécheresse ! Ils en sont « ensorcelés ». Quant à Abdallah, dont le nom signifie «serviteur de Dieu », convaincu de son péché, il fait pénitence et, pour expier sa « honte », prend la robe de bure et va, en mendiant, prêcher la parole divine dans Damas.
L’espace scénique s’inscrit dans un arc de cercle, et la scénographie Sam Collins dessine un vaste salon aux parois opaques d’un rouge brun que les lumières fulgurantes de Marcus Doshi rendent translucides par instants. Des praticables appuyés à ces murs installent de larges divans ou jettent des passerelles de la rue à la prison, de la geôle au bordel, des lieux de pouvoir aux lieux plus intimes. Les murs sont hauts, les portes sont closes. Les personnages se débattent dans une société fermée. Les costumes de Virginie Gervaise sont sobres et suggèrent l’Orient où les codes sociaux sont exigeants. Dans la mise en scène de Sulayman Al-Bassan, les comédiens tiennent formidablement plusieurs rôles, Denis Podalydès passe du tendre Abdallah au méchant Cheikh Muhammad, Laurent Nutella est mercenaire puis notable, comme Nâzim Boudjenah, Elliot Jenicot, Marion Malenfant, Louis Arene, tous les personnages sont essentiels et doubles dans cette fresque.
Comment rétablir l'ordre et la crainte de Dieu dans Damas quand la prostitution atteint les hommes ? Quand l'amour est revendiqué par ceux qui devraient l'étouffer ? Il ne reste plus qu’à déchaîner les fanatiques pour châtier LA coupable qui a transgressé les interdits, celle qui revendique la liberté et qui clame qu’elle ne veut « posséder personne. » Qui est responsable ? Le mufti qui lance sa fatwa ou la femme qui refuse de plier ? « La faute à Voltaire » aurait dit Gavroche ! Elle y laisse la vie. Abdallah aussi qui veut « ne rien vouloir ». Malheur aux faibles ! Et « Gloire à moi ! », conclut Dieu.
Est-ce que l’auteur, Saadallah Wallous, ne serait pas un peu blasphémateur ?
Pourtant on n’arrête pas la sédition et Almâssa après avoir bravé son père, défie le mufti, pour « sortir de la puanteur de cette mare » et devenir « une mer cristalline ». Elle affronte son frère et les autres exaltés : « Désormais je suis un conte, je suis une obsession, un désir, une tentation ».
Nous savons comment, partout, et pas seulement en Syrie, des séides tentent d’étrangler la liberté. Le combat contre « l'infâme »n’est jamais fini. Il nous concerne tous.
Photo : © Cosimo Mirco Magliocca
Rituel pour une métamorphose de Saadallah Wallous
Traduction et collaboration Scénique Rania Samara
Entrée au répertoire de la Comédie-Française
salle Richelieu
0825 10 1680
www.comedie-francaise.fr
09:18 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, Histoire, Poésie, Politique, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : théâtre, comédie-française, saadallah wallous, syrie | Facebook | | Imprimer