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22/10/2013

Sacré William !

 

 

- Je ne comprends pas votre mauvaise humeur. Ce n’est pas la première fois que nous voyons un classique « dépoussiéré » !

- Dépoussiéré ? Transposer la chronique du XIIIe siècle d’un Danemark convoité par le royaume de Suède dans un « club-house » du XXe, c’est travestir les enjeux politiques qui se profilent derrière les querelles intestines. Dépoussiéré ! Vous voulez dire « dénaturé » ! Dans ce lieu unique et complètement fermé où se joue la « tragédie », où se trouve l’espace scénique ouvert que propose Shakespeare ? Ce voyage qui va des remparts d’Elseneur aux différentes salles du château, de la chambre de la Reine à la plaine, au cimetière et retour au château ? On  enterre Ophélie dans la cave du club ? Et vous n’êtes pas étonné d’y trouver le crâne de Yorick ? Ce n’est plus une tragédie, c’est une farce, une parodie de potache ! Dépoussiéré ! Vous voulez dire « dégradé » !

- Ah ! Je reconnais bien là votre démesure ! Tout de même,  il me semble qu’Hamlet n’était pas si mal interprété.

- Heureusement ! C’est vrai, et là, vous avez raison, les comédiens ne sont pas en cause. Denis Podalydès est un Hamlet poignant, Eric  Ruff, qu’il soit le fantôme du feu Roi, le premier comédien, ou Fortinbras, joue la grandeur, la noblesse et atteint le sublime. Hervé Pierre est parfait en Claudius, usurpateur hypocrite, manipulateur repu, conspirant la mort de ses adversaires, Alain Lenglet fait un Horatio fidèle en qui on a confiance, Jérôme Pouly donne le ton exact du frère protecteur, du fils respectueux puis de l’homme exaspéré de désespoir. Gilles David est un Polonius convaincant, et Elliot Jennicot pourrait donner un Rozencrantz irréfutable, si son compère Guildenstern n’avait été transformé en marionnette pour numéro de ventriloque !

- Mais vous savez bien que Rozencrantz et Guildenstern ne sont que des marionnettes entre les mains du Roi.

- Vous oubliez qu’ils sont aussi manipulés par Hamlet. Et que ce dernier leur fait avouer qu’ils sont aux ordres de Claudius. Et qui le premier mange la grenouille ? « the gentle Guildenstern » comme l’appelle la Reine ! « Monseigneur, on nous a fait venir » avoue-t-il. Décision solitaire ? Pas du tout, mais après un aparté où Rozencrantz lui demande « Qu’en dites-vous ? ». Car ce couple de « clowns » aristocratiques, forme avec le couple de « clowns » populaires, les fossoyeurs, les personnages qui donnent la respiration comique entre les scènes tragiques.

- Comique ?

- Les discussions, socio-physico-politico-mystiques, empreintes de bon sens ou teintées d’absurde, commentent et éclairent les événements, et souvent, redonnent le sourire au spectateur. Rappelez-vous Rosencrantz et Guilderstern sont morts de Tom Stoppard. Voilà un Britannique, - d'adoption, d'accord, mais ce sont les plus fidèles - qui, en 1966, avait bien compris l’importance de ces personnages secondaires.

- J’y vois surtout des personnages ballottés par les puissants et contraints d’obéir à leurs caprices.

- Bien sûr ! Et c’est en eux que le plus humble des spectateurs peut se reconnaître. C’est l’essence même de leur rôle. À moins qu’on n’ait pas les moyens de payer deux comédiens, - ce qui ne me semble pas être la raison au Français - je ne vois aucune logique à supprimer Guildenstern ! Aucune de faire de la Reine une pocharde !

- Le remords peut-être… Ou la conscience de sa culpabilité.

- Et d’autre part, je me demande pourquoi, après avoir vu Ophélie absorber des barbituriques dans les toilettes des dames, on garde le récit de sa mort, « drown’d », « in the weeping brook ». On pouvait se contenter de « muddy death », au point où on en était ! 

- Vous avouerais-je que je vous rejoins sur cette représentation d’Ophélie. La voir se dénuder sans pudeur m’a choqué.

- Eh bien ! Pas moi, voyez-vous ! Car je vois en elle une fille devenue folle parce que séduite et abandonnée. Ses chansons sont claires : « Let in the maid, that out a maid/never departed more », puis, plus loin : « before you tumbled me/You promised me to wed », et le galant répond : « I ha’done », « thou hadst not come to my bed ». Elle s’est donnée à Hamlet, c’est évident. Elle a transgressé l'interdit de son père et de son frère. Et Hamlet l'a repoussée après être venu l'adorer. Les lettres, les serments, les caresses, puis, plus rien : "le couvent!" dit-il... Son désarroi tourne à l'obsession. N'oubliez pas que parmi les fleurs qu’elle offre, dans cette scène, il y a la rue. La rue à fleurs jaunes, plante réputée abortive…

- Là, c’est vous qui « déformez »…

- À peine ! Mais soyez tranquille, ce sacré William survivra au massacre. Depuis des siècles, il en a vu d’autres. Et nous avons, pour nous, les souvenirs vivaces des Hamlet mis en scène par Vitez, Huster et Chéreau. Autrement plus poétiques, plus fidèles à l'auteur et à son traducteur.

- Oui, tout n’est pas pourri dans ce royaume !




23/01/2013

Charlotte l’iconoclaste

 

 

Les théâtreux de tous bords vous ont parlé de longuement et sérieusement de « la crise du personnage. Mais ceux qui la vivent, les comédiens, qui doivent « construire leur personnage », s’appuient rarement sur des discours théoriques.

Charlotte Rondelez, comédienne, metteur en scène est passée à l’écriture pour l’exprimer, avec To be Hamlet or not, un comédie créée au festival d’Avignon 2012, et que le Poche-Montparnasse accueille dans sa nouvelle salle. Dans ses sombres limbes, en dessous de la grande salle où se joue Le Mal court, le personnage d’Hamlet (Aymeric Lecerf) en voit de toutes les couleurs.

Le pauvre Hamlet a assez de revivre toujours, depuis 1598, la même histoire tragique où il entraîne dans la mort, sa mère (Pauline Devinat), son meilleur ami Laërte (Julien Le Provost), son oncle Claudius (Paul Canet ) après avoir tué Polonius, le père de la belle Ophélie (Pauline Devinat),  laquelle s’est suicidée. Avouez qu’on rêverait d’une meilleure destinée !

Mais comment en changer, quand votre auteur est mort depuis près de quatre siècles ? Et si Hamlet ne veut pas mourir, il n’a plus d’existence dans cette histoire-là. Or, « disparaître, ce n’est pas être libre », et « choisir sa vie ce n’est pas l’effacer ». En trouver une autre ? Ce devrait être possible lui affirme un certain Pip matelot à bord du baleinier Pequod dans Moby Dick d’Herman Melville, opinion confirmée par le Chat du Cheshire tout droit sorti d’Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll.

Facile à dire puisque sur scène, Céline Espérin joue les deux rôles ! Car To be Hamlet or not est avant tout une histoire de comédiens, réunis par la volonté de Charlotte Rondelez, metteur en scène et auteur, sur un plateau octogonal de bois clair, avec quelques éléments de costumes et quelques accessoires.

théâtre de poche-montparnasse,hamlet,charlotte rondelezPaul Canet (Claudius, Godot, Fred, Stéphane, un passant), Pauline Devinat (Ophélie, Alice, Julie, Judith, Gertrude, une passante), Céline Espérin (Horatio, Pip, le Chat du Cheshire), Lydie Höderling, Camille, Ophélie), Julien Le Provost (Laërte, Champy, Amalric, Alex, un passant) veulent nous raconter Hamlet  mais Hamlet ne veut plus de tragédie.

Certains diront que c’est impossible car des chroniques historiques du Danemark ont inspiré Shakespeare et que les auteurs plongent souvent dans la réalité pour trouver leurs sources. Ainsi, nous a-t-on appris que Lewis Carroll eut pour modèles les trois soeurs Liddell dont l'une se prénommait Alice, qu’Herman Melville fut de ces marins qui donnaient un nom aux cachalots qu’ils poursuivaient, et qu’un baleinier sombra après l’assaut d’un cachalot géant.

Et Godot dans tout ça ? Lui qu’on attendait déjà du temps du Faiseur  de Balzac, n’est-il pas las de faire croquer le marmot aux comédiens qui l’attendent toujours « ailleurs » ? Et cette Lydie Höderling, échappée d’un livre envoyé au pilon, que fait-elle dans notre réalité?théâtre de poche-montparnasse,hamlet,charlotte rondelez

Là n’est pas la question…

Dans sa quête du réel, Charlotte Rondelez croise les époques, mêle les histoires sans perdre ses comédiens, virtuoses de la transformation.

On s’amuse beaucoup, n’en déplaise aux pisse-froid, gardiens de la « bonne littérature », qui ne manqueront pas de s’offusquer de l’horrible « mélange des genres ».

Charlotte l’iconoclaste les aime, ces personnages éternels qui vivent encore pour nous une fois le livre refermé, le rideau tombé sur les scènes classiques ou quand le noir, dans les autres, nous annonce qu’on ne les verra plus.

Pourtant, lorsque Hamlet aura parcouru les siècles, accepté des rencontres impossibles, qu'iil se sera mesuré à ses fantômes et à ceux des autres fictions,  il reprendra naissance, trouvera une autre voie.

Laquelle ?

Je ne vais tout de même pas tout vous raconter. Allez-y, et vite, soyez les premiers aux premières…


Photos : © Alexandre Guerrero

 

To be Hamlet or not, de Charlotte Rondelez

Théâtre de Poche-Montparnasse

Du mardi au samedi à 20 h

01 45 44 50 21