10/02/2010
Acquitté !
Hier soir, j’étais juré. Juré dans un procès d’Assises.
- Non; on ne dit pas jurée. L’Académie française, toujours un brin phallocrate n’admet pas le féminin. Il est vrai que les juridictions furent créées par ce macho de Bonaparte.
Passons.
Donc nous étions jurés, avec quelque mille spectateurs du Théâtre de Paris. Et Robert Hossein nous refaisait le procès Seznec, réécrit par Olga Vincent et Éric Rognard.
Rien que le procès, pas l’enquête, qui de toute façon fut bâclée, conduite à charge contre un homme qui clamait son innocence. On accusait Guillaume Seznec d’avoir assassiné le conseiller général, son ami, Quéméneur qui avait disparu le 25 mai 1923…
Robert Hossein a reconstitué le prétoire (décor de Christian Vallat). À jardin, le président du tribunal (Pierre Doulens), l’avocat général (Éric Desmarestz), au centre, le greffier (Philippe Rigot) et devant lui, sur une table les deux pièces à conviction : la valise de Quéméneur, retrouvée au Havre, et une machine à écrire retrouvée chez Seznec (Philippe Caroit). Il nie qu’elle soit à lui. Sa bonne (Danik Patisson) confirme. Sa femme (Olga Korotyayeva) aussi. Il nie être allé au Havre, on ne croit que les témoins qui le reconnaissent. Pas les autres. À cour, Seznec entre deux gendarmes, et son avocat tentent d’apporter leur vérité à des débats partiaux.
La famille Quéméneur accuse : la sœur, Jeanne Quéméneur (Martine Pascal) tragiquement empaquetée dans des voiles de grand deuil (costumes de Martine Mulotte), et le beau-frère de la victime (Hervé Masquelier), patelin, et insidieux notaire.
Pas de cadavre, pas d’arme du crime, pas de preuves, pas d’aveux, mais un mobile fabriqué par la famille Quéméneur qui avait intérêt à ce qu’on déclare Quéméneur mort pour toucher l’héritage.
On n’entendit pas les témoins à décharge. On suivit les conclusions erronées de la police. Il est possible aussi que celle-ci ait fabriqué des pièces à conviction. Le commissaire (Joël Ravon) et l’inspecteur (Frédéric Anscombre) ont des gueules de faux témoin. On retrouvera cet inspecteur, sous l'Occupation : Bony, dirigea, avec le truand Henri Laffont la sinistre bande de la rue Lauriston, qu'on appelait la « Gestapo française ». Parmi les tortionnaires de juifs et de résistants, figurait, dit-on, « Charly l'Américain », le vendeur des voitures que Quemeneur et Seznec destinaient à l’U. R. S. S.
Un panneau s’ouvre au centre de la scène, au-dessus de la tribune où un journaliste (Jean-Paul Solal) conduit et commente le procès, comme un vrai conteur brechtien - peut-être Albert Londres qui dénonça le bagne et contribua à sa fermeture. Sur l’écran, le grand avocat Me Lombard, rappelle que « le doute doit bénéficier à l’accusé. »
Qu’advint-il en 1924 ? Guillaume Seznec fut condamné au bagne, à Cayenne, à perpétuité. Il bénéficia d’une remise de peine quand le bagne fut fermé et rentra chez les siens en 1947. Sans doute n’était-il pas tout blanc, lui et Quéméneur traficotaient. Mais rien n’établit sa culpabilité. Quéméneur ne reparut jamais ? Tant de personnes, chaque année, choisissent de disparaître !
Quatorze demandes de révision du procès examinées par la justice ont été rejetées. La dernière en 2008. On appelle ça « l’autorité de la chose jugée ». Son petit-fils aujourd’hui se bat encore pour réhabiliter la mémoire de son grand-père.
Robert Hossein nous distribua des jetons blancs (innocent) et des jetons noirs (coupable) pour rejuger Seznec. Nous, hier soir, nous l’avons acquitté.
Photo : Eric Robert
Seznec de Olga Vincent et Éric Rognard
Théâtre de Paris
01 48 74 25 37
Quelques livres sur l'affaire Seznec
L'affaire Quéméneur-Seznec de B. Rouz (éd.Apogée)
L'affaire Seznec de D.Langlois
Nous, les Seznec et Seznec, le bagne de D. Seznec (éd. R. Laffont)
une BD
Digout Jean-Marie L'affaire Seznec éd. de l'Homme en Noir
23:25 Écrit par Dadumas dans Histoire, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, histoire, justice, seznec | Facebook | | Imprimer
03/02/2010
Une femme assassin*
Les affaires criminelles ont beaucoup inspiré les auteurs dramatiques, soit au cinéma, soit au théâtre.
Marguerite Duras s’inspira du crime d’Amélie Rabilloud pour L’Amante anglaise, dont la première version s’intitulait Les Viaducs de la Seine-et-Oise. Henri-Georges Clouzot récrivit, en la modifiant, l’affaire Pauline Dubuisson pour La Vérité. Michel Vinaver rédigea, à partir de la même affaire, Portrait d‘une femme (1984). Mais il n’avait jamais accepté que la pièce fût portée à la scène en Île-de-France. Il autorise aujourd’hui Anne-Marie Lazarini à le faire.
L’astuce de François Cabanat, qui signe le décor et les lumières, est de réunir sur le même plateau, le temps de la représentation, des espaces et des temps différents, de 1944 à 1953, en discontinuité, sans que le spectateur n’ait à se demander où il est, ni quand la scène se passe. Une projection vidéo, en lettres, sur le mur du fond, l’aide à se situer. Tous les comédiens sont en scène, et circulent aisément, du rôle de témoin à celui de mère de l’accusée comme Sylvie Herbert, ou comme Gérald Chatelain, père, mais aussi, armurier ou docteur Schlessinger, séducteur de la coupable, Sophie Auzanneau (Jocelyne Desverchère) que la cour d’Assises va juger. Cédric Colas sera Cornaille le condisciple de Xavier, ou Colonna le rival. David Fernadez est Lachaud puis Haudebourg, Isabelle Mentré, Francine, la fiancée bien élevée, ou Claudette, la copine de Sophie.
La cour d'assises siège : juge (Claude Guedl) et avocat général (Bruno Andrieux) vêtus de rouge et d’hermine, juchés en hauteur, avec l’avocat de la partie civile (Jacques Bondoux). Remparts de la société, ils surplombent "le parquet". On y trouve l'avocat de la défense (Michel Ouimet), la barre des témoins à gauche, et le box de l’accusée à droite, qui dominent de quelques marches un rez-de-chaussée, ras la scène, sur lequel s’inscrivent, à gauche, la chambre de Sophie, et à droite la chambre de Xavier (Arnaud Simon), la victime, au premier plan. Au second plan, les parents Auzanneau sont assis sous le poirier de leur jardin. Au centre, une table et trois chaises figurent les cafés où les protagonistes se donnent rendez-vous.
Les déplacements sont précis, rapides. Le texte de Michel Vinaver est proche des minutes du procès. Il en restitue la sécheresse, l’inexorable enchaînement, l’épouvantable aporie.
Pourquoi l’a-t-elle tué, alors qu’elle avait refusé de l’épouser, et qu’elle le trompait ouvertement ?
L’accusée est vêtue de rouge, comme le juge et le procureur (costumes de Dominique Bourde). Elle ment, se contredit, change de version, mais conserve toujours une tranquille indifférence qui ronge le langage codé de la machine judiciaire et l'oppose au réel. Elle garde un masque impénétrable, et pourtant elle secoue ceux des autres.
Cette femme énigmatique s’explique mal ou pas du tout. Ce portrait est-il vraiment celui d’un assassin ? Condamnée aux travaux forcés à perpétuité, Pauline Dubuisson sera libérée huit ans plus tard, mais se suicidera en 1963.
La musique d’Hervé Bourde ajoute du mystère à l’atmosphère déjà oppressante du procès.
Michel Vinaver parlait de « l’opacité d’un procès », Anne-Marie Lazarini réussit à représenter sur scène l’inquiétante « opacité du monde ».
Photos : Marion Duhamel.
* Encore un mot sans féminin, mais là, on s’en féliciterait plutôt…
Portrait d’une femme de Michel Vinaver
Au Théâtre de l’Ouest Parisien (23 mars-1er avril)
Au Théâtre de la Criée à Marseille (6-10 avril)
Au Théâtre des Deux-Rives à Rouen (17-20 mars)
En Suisse (Neuchâtel, 9 février, Genève, 20-30 avril),
16:29 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, justice, michel vinaver, anne-marie lazarini | Facebook | | Imprimer
07/11/2008
La nuit du coup de couteau
Ils portent la même veste noire, coupe sobre, tissu sec, facture bon marché. Ils sont de la même famille sociale. Milieu modeste dont on s’élève par les cours du soir, et le travail. Tous ? Sauf une, Hélène, la narratrice (Laure Wolf), velours noir et revers de satin, la belle tentatrice, venue s’encanailler au Tropical Bar, un soir, le soir du crime…
Et aujourd’hui, ils sont là, réunis pour le procès. Le présumé coupable, Alex (Raphaël Leguillon), répète : « Ce n’est pas mon histoire ». Rebelle à toute discipline, il a déjà été placé en foyer. Ce soir-là, il a abusé du rhum et du shit, tous les témoins le disent. C’est un mauvais garçon, il attire les regards, enveniment les querelles. Le Père (Jean-Jacques Simonian) et la Mère (Virginie Volmann), s’interrogent, maladroits, dépassés, mais solidaires de leurs enfants, accompagnés de Frédéric, son frère (Anthony Breurec), l’un à côté de l’autre, côté jardin.
Côté cour, Germain, le frère de la victime (Arnaud Stéphan) : il est seul, il dit la dévastation de sa famille, sa souffrance, son chagrin. Il demande justice.
Entre les deux, au proscenium, une jeune femme, Cécile, (Flora Brunier), bénévole à la prison, elle y enseigne. Elle a été « émue » par Alex, enfermé dans ses refus, sa révolte suicidaire.
Maintenant, elle l’aime, et se demande s’il est « récupérable ». Elle sait que « ce n’est pas à la prison qu’on soigne », mais elle voudrait savoir s’il est « foutu », ou s’il n’est qu’un « accidenté ». Pourquoi, comment, a-t-il « franchi la ligne » ?
Nadia Xerri-L. l’auteur, a été bouleversée par un fait divers, et par l’attitude de l’accusé pendant les audiences : un assassin, sans doute, mais pas un Zucco. Alex ne reconnaît pas son crime, il n’avouera jamais. L’arme du crime n’a pas été retrouvée. Le doute s’installe. Pourtant, la nuit où Remi a été saigné à mort, il était le seul à en avoir un. Qui a frappé Rémi, la nuit du coup de couteau ? Quel rôle a joué Hélène, l’allumeuse, dans ce milieu qui n’était pas le sien ?
La mise en scène de l’auteur recrée une cour d’assises, avec un espace décliné en niveaux différents. L’accusé est debout sur la plus haute estrade, on n’ose pas dire l’échafaud, d’où partent deux « promenoirs » qui vont s’éclairer de rouge. De cette plate-forme, descendent symétriquement deux escaliers qui mènent au niveau des témoins, assis sur une banquette qui referme le tribunal d’une longue ligne sombre. Tout est noir. Seuls, les « promenoirs » vont s’éclairer du rouge des Assises. Quant aux personnages, le rare blanc qui éclaire leur costume vient du T-shirt ou de la chemise. Hélène porte un haut de satin rose provocateur.
Rien de réaliste dans ce tribunal, et pourtant, tout est conforme à l’angoisse qui en sourd. Pas de réalisme temporel non plus. Tout ce qui se dit ici est comprimé dans les trois minutes qui précèdent l’entrée de la Cour.
Chacun revit la soirée tragique, commencée dans l’allégresse d’un anniversaire, dans la joie du karaoké, des chansons d’Étienne Daho, de Dalida et de Johnny. Les acteurs habitent avec passion et rigueur un texte impressionnant.
Couteau de nuit parle avec talent de notre société de ses errances, de ses victimes, de ses désarrois. Ne manquez pas les représentations.
Couteau de nuit de Nadia Xerri-L
Jusqu’au 22 novembre
au Théâtre de la Ville/théâtre des Abbesses
01 48 87 54 42
ensuite en tournée :
1er-5 décembre au Théâtre universitaire de Nantes
11, 18 décembre à Montluçon
1301/09 à Châtenay-Malabry
29-31 janvier à Aix-en-Provence
4-6 février Évry
10-12 février Brétigny
17-21 mars Comédie de Saint-Étienne
25-27 mars le Volcan au Havre
17:59 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, justice, xerri-l | Facebook | | Imprimer