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12/03/2017

Tueuse et majestueuse

 

 

 

Marguerite Duras était fascinée par les histoires criminelles.

Bien avant la « transgression de l’écriture »[1] qui lui fit proférer (ou non) son « sublime, forcément sublime ! » à propos de l’affaire du petit Grégory, elle s’était passionnée pour celle d’Amélie Rabilloux, paisible retraitée, qui en 1949, avait tué et dépecé son mari. Dans Les Viaducs de Seine-et-Oise, en 1960, c’était le couple qui tuait une cousine. Elle reprit ce thème dans un roman L’Amante anglaise, en 1967, puis dans la pièce éponyme créée en 1968.

Les deux créations scéniques étaient signées Claude Régy.

Théâtre, théâtre du Lucernaire, Marguerite Duras, Thierry Harcourt, Judith Magre, Jacques FrantzAujourd’hui, c’est Thierry Harcourt qui relève le défi. Il a réuni une distribution d’élite. Sur le plateau nu, l’interrogateur (Jean-Claude Leguay) sonde d’abord le mari Pierre Lasne (Jacques Frantz), cherchant à cerner les circonstances de l’assassinat de la cousine sourde et muette qui vivait avec le couple. Peu à peu se dessine le portrait d’une femme si étrange, Claire Lasne (Judith Magre), que le spectateur n’attend plus qu’elle.

L’amante anglaise ? La menthe anglaise ou la mante… pas religieuse mais meurtrière ? 

Enfin elle est là, assise, immobile, calme, sans regret ni remords, tueuse et majestueuse. De sa voix posée, elle parle, flegmatique, mais sans jamais répondre aux questions. Car un mystère demeure. Si la tueuse a dépecé le corps, une fois son forfait accompli, qu’a-t-elle fait de la tête ? « Où a-t-elle trouvé la force ? » Et pourquoi a-t-elle tué ? Nous ne le saurons pas. L’énigme imprègne le spectateur, le pénètre et le trouble. Est-elle folle ? A-t-elle voulu se venger d’une vie médiocre et sans amour ? Mais alors, pourquoi sur la cousine ? Nous ne saurons pas non plus qui l’interroge : un policier ? Un magistrat ? Un psychanalyste ?

Cependant, le charme vénéneux de la pièce est immense. Comédiens et metteur en scène distillent le texte de Marguerite Duras comme un troublant sortilège.

 

 

 

L’Amante anglaise de Marguerite Duras

Théâtre du Lucernaire

01 45 44 57 34

du mardi au samedi à 19 h

dimanche à 15 h

 

[1] - En 1985, à la demande de Serge July, Marguerite Duras se rend à Lépanges-sur-Vologne pour le journal Libération. Le 17 juillet 1985, elle signe dans Libération une tribune, qui pointe la culpabilité criminelle de Christine Villemin. L'article est précédé d'un avertissement, « La transgression de l'écriture », rédigé par Serge July.

À ce jour, le crime n’a toujours pas été élucidé.

02/10/2011

Réécritures


 

La contrée de l’enfance est souvent, pour un auteur une inspiration rémanente, Marguerite Duras y a largement puisé son inspiration. Elle a aussi souvent repris ses récits, pour en modifier, la forme, le point de vue, la portée. Et ses réécritures successives, en approfondissant les personnages, détaillant les événements, ont aussi quelquefois changé de genres. Ainsi, ce conte, Ah ! Ernesto, des années 70, devint-il, un film, Enfants, en 1984, puis fut publié en roman La Pluie d’été en1990, avant de passer à la scène en 1993.

La version qu’en donne aujourd’hui Emmanuel Daumas rend limpide un texte dense qui ne craint ni les analyses psychologiques ni les études sociologiques. La Pluie d’été raconte la vie d’une famille de marginaux à la fin des années cinquante, à Vitry, quand la banlieue se transforme.

Les immigrés, la Mère slave (Claude Mathieu),  Emilio le Père (Christian Gonon) italien, vont quitter leur logement précaire dont le toit laisse passer la « pluie d’été » pour de solides HLM. C’est aussi le monde de l’enfance qu’il faudra quitter pour Ernesto (Jérémy Lopez), et Jeanne (Adeline d’Hermy). Pas tellement « vert paradis », cet univers-là, pour Duras, mais plutôt « noir enfer des terreurs enfantines », puisqu’ils redoutent d’être « abandonnés » par des parents dépassés par leur progéniture et les difficultés de la vie de prolo. Leur âge est incertain. « Entre douze et vingt ans » pour Ernesto, « entre onze et dix-sept » pour Jeanne. Les prénoms fluctuent, et les cinq autres frères et sœurs sont désignés par les termes « brothers et sisters ». Les parents vivent des « allocations », lisent des livres trouvés, vivent dans un bric-à-brac récupéré de gazinières, lavabos, tables,  tuyaux, seaux, chaises. Ils ne se plaignent pas, et s’aiment tant, que l’inceste ne semble pas les culpabiliser.

Dans cette curieuse famille, les enfants ne sont pas scolarisés. Et quand on s’aperçoit qu’Ernesto a appris à lire tout seul, qu’on l’envoie à l’école, il y restera à peine une journée, car, dit-il : « on y apprend des choses qu’on ne sait pas. »

Il s’aperçoit vite que « le monde est loupé », avant de se lancer à la poursuite du vent. Deux personnages témoins complètent le récit : l’Instituteur (Éric Génovèse) émerveillé des possibilités de l’enfant, et une Journaliste (Marie-Sophie Ferdane), qui n’en croit ni ses yeux, ni ses oreilles.

Les comédiens alternent, récits et dialogues dans un enchaînement cadencé. Une chanson de Souchon « Allo, Maman, bobo ! », dit avec humour les blessures. Puis la subtile À la claire fontaine rappelle les rêves enfantins. La jeune pensionnaire, Adeline d’Hermy, est rayonnante, Jérémy Lopez surprenant, Marie-Sophie Ferdane savoureuse, et que dire des sociétaires ? Ils sont parfaits.

La réussite est totale.

 

 

 

Pluie d’été de Marguerite Duras

Théâtre du Vieux-Colombier

Jusqu’au 30 octobre