03/12/2013
Science et conscience
Fritz Haber (Xavier Lemaire) était un chimiste allemand qui mit sa science au service de l’industrie, si bien qu’il permit de fabriquer des engrais afin de nourrir la planète, et des gaz asphyxiants pour faire mourir l’ennemi.
Pour la première utilisation il reçut le Nobel en 1918, mais comment accepter la seconde. Sa femme, Clara Immerwahr (Isabelle Andréani), chimiste elle-même est révoltée par les premiers essais, à Ypres, en 1915, sur le front de la Somme, d’un gaz mortel baptisé « ypérite ». D’où ce cri désespéré qu’elle lance à celui en qui elle avait toute confiance : « Qui es-tu Fritz Haber ? ». Elle ne reconnaît plus le jeune chimiste, prénomme Jacob, brillant chercheur qu’elle a épousé et qui, pour se faire accepter dans la société allemande, s’est converti au protestantisme, et la confine au foyer alors qu’elle était la première femme à recevoir un doctorat en chimie.
Elle argumente de la morale, « science sans conscience n’est que ruine de l’âme » comme le disait Rabelais. Elle raisonne, il impose, elle supplie, il ordonne, elle pleure, il ricane. En une nuit, seront détruits quinze ans de confiance, de bonheur construit sur des affinités, une ascension sociale partagée. Il est devenu un Prussien intraitable, et il ne voit plus en elle qu’une « mama » juive. Il part vers d’autres expériences. « Un savant appartient au monde en temps de paix et à son pays en temps de guerre. » affirme-t-il. Elle se suicide.
L’auteur, Claude Cohen montre l’affrontement du couple dans cette effroyable soirée. Lui aveuglé de nationalisme hautain, elle, admirable d’humanité. La mise en scène de Xavier Lemaire nous plonge au cœur du désarroi de cette femme. Les lumières de Stéphane Baquet les isolent autour d’une table encore dressée. Il porte fièrement l’uniforme, elle est vêtue d’un gris fané (costumes de Rick Dijkman), en deuil de ses illusions. Dans la petite salle où ils jouent, pas un battement de cils n’échappe au spectateur.
Après l’ypérite, Haber mit au point un puissant insecticide, le zyklon B, et même s’il n’en connut pas les applications que les nazis en firent, la pièce de Claude Cohen pose de vraies questions sur la science.
Photos © Laurencine Lot
Qui es-tu Fritz Haber de Claude Cohen
Théâtre de Poche-Montparnasse
Du mardi au samedi à 21 h, dimanche à 17 h
01 45 44 50 21
17:40 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, Histoire, Science, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, poche-montparnasse, isabelle andréani, xavier lemaire, claude cohen | Facebook | | Imprimer
07/02/2009
Théâtre à risques
L’endroit est désert. Berthe (Katia Tchenko) pense qu’ils sont en avance et Edmond (Jacques Brunet) qu’ils auraient dû suivre le conseil de Tristan Bernard : « Venez armés ! ». Car le théâtre est en piteux état. Les fauteuils sont défoncés, le balcon lézardé, le public rare. Heureusement, Martine (Letti Laubiès), l’ouvreuse, est souriante.
Un second couple entre. Franck (Xavier Lemaire qui met aussi en scène), a reçu une invitation de son copain Rodolphe pour assister à la représentation de L’Alpenage, le dernier chef d’œuvre de Knobst, auteur, metteur en scène et propriétaire de cette salle décrépite… Il traîne au spectacle sa compagne, Claire (Laurence Breheret), qui préfèrerait se coucher de bonne heure.
Elle est fatiguée, Claire. Fatiguée de faire bouillir la marmite, car Franck est un comédien au chômage. Un autre chômeur les rejoint. Un certain Laurent (Benjamin Brénière), ami de l’ouvreuse, qui ne « supporte plus d’être sans emploi ». Laurent est mal élevé. Edmond ne le supporte pas. Franck l’apostrophe. Le ton monte. Des craquements sinistres y répondent. Le balcon se fend, le sol s’écarte, « l’accès aux loges est fermé », la grille de sécurité bloque la sortie et le rideau de fer est coincé. Il faut de la témérité pour se risquer au théâtre aujourd’hui !
Cette fable de Jean-Loup Horwitz peint non seulement le délabrement d’un théâtre mais celui de toute notre société. Les relations humaines sont rongées par le mépris qui éclabousse l’un, l’envie qui noircit l’autre. L’angoisse s’installe chez les personnages. Elle reflète celle qui étreint aussi les vrais spectateurs, lesquels ne savent plus, dans la salle, s’ils peuvent encore rire de ceux qui sont sur scène. L’effet de miroir déconcerte et les comédiens sont d’un naturel suspect… Et pourtant, c'est une comédie.
Le public entre dans l’intrigue. Enfin, Knobst (Guy Moign) paraît, dans un brouillard de plâtre, et la situation s’éclaire.
Nous ne vous dirons pas bien sûr comment tout se résout, car il faut y aller….
L’Alpenage de Knobst
Comédie de Jean-Loup Horwitz
Jusqu’au 7 mars
Théâtre 14
01 45 45 49 77
19:16 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, xavier lemaire, théâtrer 14, horwitz | Facebook | | Imprimer