30/04/2008
Une folle journée
Avec sa réputation de rêveur, Jean-Louis Bauer en surprendra plus d’un par sa nouvelle pièce. Une vie de château est une comédie musicale insolente et hilarante.
Jugez de la fable. Un Président (de la République) hyperactif, narcissique, cynique, et mal embouché, traque son épouse versatile et frivole, tandis que le Premier ministre, cerné par les manifs, est dépassé par les changements continuels d’emploi du temps. Survient alors un animateur de radio aux dents longues. Que voulez-vous qu’il advienne ?
Sur un rythme infernal, le Président fonce dans le mur. Sa femme virevolte, ses thuriféraires valsent, et son Premier ministre n’arrive pas à démissionner.
Les ambitions des uns font le malheur des autres, mais le bonheur des lecteurs, en attendant que les spectateurs hurlent de rire. Profitez de cette folle journée au « château », entre la Dame de chez Maxim’ de Feydeau et Les Prétendants de Lagarce.
Une vie de château, de Jean-Louis Bauer, Fayard, 12 €
17:29 Écrit par Dadumas dans Littérature, Politique, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Théâtre, littérature, politique | Facebook | | Imprimer
14/04/2008
Entre toutes les femmes
Sophie Artur nous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître : l’époque où les mamies s’appelaient « Bonne Maman » et n’étaient pas toujours des parangons de Bonté.
Dans la famille de Marie, la grand-mère était catholique intégriste : « Noël est une fête religieuse », - donc pas de cadeaux,- monarchiste : « le 14 juillet nous faisions maigre », raciste, antisémite. Marguerite, c'était la grand-mère, menait tout son monde au rythme des messes et des examens de conscience. Six filles et un fils, un mari militaire, Marguerite exigeait l’obéissance jusqu’à la soumission, et ne reculait devant aucune humiliation pour l’obtenir. Mais dans ses mains, le martinet et le cabinet noir étaient moins terrorisants que la menace de l’enfer éternel. Elle professait « l’horreur du corps », et étaient proscrits tous les mots qui le désignaient entre le cou et les genoux.
Justine Heynemann met son interprète en scène dans un bric-à-brac de malle, cantine, landau, tableaux décrochés, poupées, marionnettes, jouets d’enfants : grenier réel pour figurer celui de la mémoire, chaise houssée de toile écrue pour désigner la grand-mère qui n’offrait aucun pardon chrétien et punissait pour une peccadille. C'est l'évidence même ! Tout sonne juste. Sophie Artur est seule en scène, robe rouge, bouche gourmande et regard mutin. Elle a dû beaucoup souffrir. Il lui en a fallu du courage et du temps pour se libérer de tous les préjugés dont on l’avait guindée !
Entre toutes les femmes de sa famille, aujourd’hui, après avoir accompli son chemin de croix et trouvé celui de Damas, en grand-mère moderne, elle respecte la petite fille qui dort à côté, et à qui elle donnera un doudou, elle qui n’avait, pour se consoler que la pensée du Petit Jésus.
Naturellement, les jeunes penseront qu’elle exagère. Ils auront tort. Même si elles n’étaient pas toutes comme Marguerite, vous en avez sûrement connu, de ces aïeules intraitables qui vous massacraient une tendre jeunesse…
Aujourd’hui où l’on traîne un enfant chez le pédopsychiatre pour un cauchemar, et des parents devant les tribunaux pour une gifle, il est intéressant de comparer les deux mondes !
En ce qui concerne les rigueurs inhérentes à la condition des femmes, il paraîtrait que dans certains pays, on les considère encore comme impures et inférieures. Y aurait-il encore des traditions mutilantes ? Des opinions meurtrières et erronées ? Des inégalités ?
Je vous salue Mamie de Sophie Artur et Marie Giral
Théâtre La Bruyère
Depuis le 8 avril
01 48 74 76 99
16:45 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Théâtre | Facebook | | Imprimer
L’imagination en liberté
Cyrano n’était pas du tout celui que l’on pensait. Sa passion platonique pour sa cousine Roxane ? Une invention toute pure ! L’auteur loue « les jeunes garçons » qui, pour l’endormir, lui chatouillaient les cuisses « avec minoteries et délicatesse ». Sa mort au crépuscule dans les jardins d’un couvent parisien ? Une métaphore romantique. Cyrano mourut à trente-six ans chez un cousin à la campagne. Cependant, Rostand ne ment pas, il édulcore. Cyrano avait bien été assommé dans une rue parisienne sans qu’on sût si c’était un accident ou une attentat. Il avait aussi imaginé ces voyages dans la lune dont il entretient de Guiche pendant que, chez Rostand, Christian épouse Roxane. Seulement, dans la réalité, ces voyages étaient moins une fiction scientifique que le moyen de critiquer « l’orgueil insupportable des humains » et d’attaquer « les prêtres (qui) brident si bien la conscience des peuples. »
Cyrano était un libertin subversif, fin connaisseur de Giordano Bruno, Copernic, Galilée et « hérétiques », et autres apostats condamnés par l’Eglise romaine. Savinien de Cyrano de Bergerac entretient le rêve d’un « pays où l’imagination est en liberté ». Autant vous le dire tout de suite, ses écrits furent censurés, passant sous le manteau dans un cercle d’amis, on les publia bien après sa mort.
Benjamin Lazar les réunit à la scène pour jouer lui-même un spectacle qui se veut délicieusement archaïque. Une rampe de vraies chandelles éclaire le jeune Cyrano qui entre avec une lampe sourde à la main. À jardin, deux musiciens, Florence Bolton (dessus et basse de viole), et Benjamin Perrot (Théorbe, guitare et luth) : Instruments baroques bien entendu, accrochés à un portant. Ils vont accompagner le récit de Cyrano, le ponctuer, en souligner les épisodes en interprétant des « sarabandes », « musette », « prélude », « allemande », « bourrée » et autres, tous morceaux du xviiesiècle.
Benjamin Lazar raconte ses voyages. Il parle en accentuant « roi » en « roué », et en prononçant toutes les lettres, même les muettes, "les fumées", se dit les "fuméeeesss", comme le veut son maître Eugène Green. Le procédé peut paraître amusant, il devient vite artificiel et ralentit l'action. Dommage, car la mise en scène est soignée, subtile avec son jeu de lumières. Une telle profération met trop de distance dans la précieuse et insolente parole de Cyrano qui, par l’absurde, s’en prend aux rois, aux prêtres, à toutes les religions : si un chrétien « mange un mahométan », l’enfant à naître sera-t-il « un beau petit chrétien » ? Très actuelle aussi est la dénonciation de toute autorité, y compris celle des parents : - « Je voudrai bien savoir si les parents songeaient à vous quand ils vous firent ! » . Le droit de ne pas naître, vous connaissiez ? Et le droit, pour les fils de désobéir à la loi, puisque ceux qui les ont faites « étaient des vieillards ».
C'est donc un spectacle iconoclaste à conseiller aux commémorateurs et héritiers de mai 68... On pourrait affirmer que Cyrano les a inspirés.
Photos de Nathaniel Baruch
L’Autre monde ou Les États de la Lune d’après Savinien de Cyrano de Bergerac
Adaptation et mise en scène de Benjamin Lazar
Théâtre de l’Athénée-Louis Jouvet
Jusqu’au 26 avril
01 53 05 19 19
11:15 Écrit par Dadumas dans Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, théâtre | Facebook | | Imprimer