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02/05/2017

Défendre la France

 

 

 

 

On parle beaucoup « défendre la France » ces temps-ci. Et certains accusent « les élites » de tous les maux ?

Les élites ?


France, langue française, Histoire, littérature, politiqueLe mot « élite » aurait-il changé de sens ?

On m’a toujours appris que « l’élite » était l’ensemble des personnes les meilleures de la société. Qui, on ? Mon institutrice qui, - n’en déplaise à un ex-président de la République, - était bien plus importante pour moi que le curé, et ma mère qui était soucieuse que je réussisse mes études pour en faire partie. Ma grand-mère qui métaphorisait sans le savoir, parlait de « crème », ou de « gratin », et elle s’y connaissait en cuisine !

Le Dictionnaire historique de la Langue Française m’apprend que le mot « élite » apparaît au XIIe siècle, sous la plume de Chrétien de Troyes, par substantivation du participe passé du verbe élire qui donne « eslit »; élire, c’est donc choisir parmi les hommes et les femmes, celui, celle, ceux qui sont les plus aptes dans un domaine donné. Dès le XIVe, « élite » s’emploie pour désigner des personnes considérées comme les meilleures dans un groupe. On parlera donc de « l’élite d’une nation » avec fierté. Au XIXe, on l’utilise en locution adjective : « tireur d’élite », « sujet d’élite », pour ceux qui sont hors du commun, distingués pour leurs qualités.

Au XXe, les élites sont ceux qui occupent par leur formation, leur culture, le premier rang dans tous les domaines. Et « les élites » peuvent se recruter dans « l’aristocratie plébéienne » (Roger Martin du Gard). Le premier rang n’a rien de péjoratif. M. Rey, M. Robert, M. Littré, et M. Larousse en attestent !

Pourquoi aujourd’hui, cracher le mot « élite » comme une insulte ? N’a-t-on pas dévoyé ce mot de son sens ? Et qui l’a détourné ?

Je ne parlerai ni du père, ni de la fille, ni de la nièce ni des esprits malins qui pérorent dans leurs réunions. Je rappellerai simplement cette phrase : « Nous ne voulons pas convaincre les gens de nos idées, nous voulons réduire leur vocabulaire de façon qu’ils ne puissent plus exprimer que nos idées. » Elle est de Goebbels, ministre de la propagande nazie.

Alors, si vous voulez défendre la France, défendez votre vocabulaire, défendez le français et ses nuances. Soyez fiers d’en désigner l’élite, et si possible, car tout est possible en démocratie, d’en faire partie.

 

 

04/03/2017

L'Illusion et le mensonge

 

 

 

 

vz-8D5791AD-41D8-44C6-A0C8-E5B0BE643B6E.jpegEn ces temps de remous politiques où le citoyen commence à douter de l‘efficacité de son bulletin de vote, Christophe Mory nous propose de réfléchir sur La Passation. C’est-à-dire sur le moment où le président battu par le suffrage universel, transmet les charges de sa fonction au nouvel élu.

On sait à quelles conjectures se livrent les journalistes qui se croient obligés de commenter les images de la cour de l’Élysée tandis que le pas encore ex-Président reçoit l’impétrant. Mais pendant que les commentateurs pérorent et que les invités sourient, que se disent les deux hommes dans le secret du bureau présidentiel ? Que font-ils ? À quels sentiments obéissent-ils ?

Dans le décor de Lydwine Labergerie,  celui qui est « battu et abattu » (Pierre Santini) va laisser sa place au nouveau (Éric Laugérias) plein de morgue et d’illusions. Le sortant veut prendre son temps, l’autre veut prendre rapidement possession des lieux. Il était chef de l’opposition, il jouit de ses nouveaux pouvoirs et bombe le torse au nom de la France. Le sortant est amer, caustique et lucide. Il va devenir cynique.

Alain Sachs, qui met en scène ce texte brûlant d’actualité, gomme toute tentative de rapprochement avec quelque politicien que ce soit. Par sa stature, Pierre Santini en président madré, sagace et blasé rappellerait plutôt un président de la IVe république (Coty ou Auriol). Il est formidablement présent et authentique. Éric Laugérias incarnerait peut-être celui de la Ve qui s’agitait vainement. Leur duo est superbe, leur duel inimitable. Tous les coups sont permis, même les coups tordus. Mais nulle identification n’est possible et seul le jeu des répliques cinglantes nous ramène au combat politique. Jugements clairvoyants sur les hommes, le dialogue fuse en sentences acerbes.

On rit beaucoup de ces phrases sans indulgence sur les hommes de pouvoir : « ils étaient bons pendant la conquête, (maintenant) ils sont usés. » On admire la justesse des propos sur l’éducation : « il faut une génération pour réformer le secteur. ». Et pourtant, de les voir vêtus de costumes semblables, même chemises, mêmes cravates, ne sont-ils pas interchangeables ? Quels idéaux nous proposent-ils à part « l'illusion et le mensonge »?

La seconde partie fortifie nos craintes. Nous vous laissons découvrir quel futur nous guette sous la contrainte des algorithmes.

Et ne s’empresse-t-on pas de rire, comme Figaro, de peur d’en pleurer bientôt ? Au moins peut-on se dire que c’est encore du théâtre, qu’il reste l’espoir, mais comme, comme le dit le Président, en conclusion : « Qui sait ? »

 

 

 

 

La Passation de Christophe Mory

Mise en scène d’Alain Sachs

Théâtre des Feux de la Rampe

Du mardi au samedi à 19 h 30

Jusqu’au 19/05/2017

01 42 46 26 19

01/01/2014

Meilleurs voeux

Je vous transmets ceux d'Ariane Mnouchkine, elle parle et écrit mieux que moi :

 

Vœux   d'Ariane Mnouchkine, offerts à Mediapart.

 

 

"Mes chères concitoyennes, mes chers concitoyens,

A l'aube de cette année 2014, je vous souhaite beaucoup de bonheur.

 

Une fois dit ça, qu'ai-je dit?

Que souhaitais-je vraiment ?

Je m'explique : je nous souhaite d'abord une fuite périlleuse, et ensuite un immense chantier. D'abord fuir la peste. La peste de cette tristesse gluante, que par tombereaux entiers, tous les jours, on déverse sur nous. Cette vase venimeuse, faite de haine de soi, de haine de l'autre, de méfiance de tout le monde, de ressentiment passif et contagieux, d'amertume stérile, de hargne persécutoire. Fuir l'incrédulité ricanante, enflée de sa propre importance. Fuir les triomphants prophètes de l'échec inévitable. Fuir les pleureurs et les vestales d'un passé avorté à jamais et barrant tout futur.

 

Une fois réussie cette difficile évasion, je nous souhaite un chantier. Un chantier colossal. Pharaonique, himalayesque, inouï, surhumain, parce que justement totalement humain. Le chantier des chantiers. Ce chantier sur la palissade duquel, dès les élections passées, nos élus s'empressent d'apposer l'écriteau : Chantier interdit au public . Je crois que j'ose parler de la démocratie. Etre consulté de temps à autre ne suffit plus. Plus du tout. Déclarons-nous tous responsables de tout. Entrons sur ce chantier. Pas besoin de violence, de cris, de rage. Pas besoin d'hostilité, juste besoin de confiance. De regard. D'écoute. De constance. L'Etat en l'occurrence, c'est nous.

 

Ouvrons des laboratoires, ou rejoignons ceux, innombrables déjà, où à tant de questions et de problèmes, des femmes et des hommes trouvent des réponses, imaginent et proposent des solutions qui ne demandent qu'à être expérimentées et mises en pratique, avec audace et prudence. Avec confiance et exigence. Ajoutons partout, à celles qui existent déjà, des petites zones libres. Oui, de ces petits exemples courageux qui incitent au courage créatif. Expérimentons nous-mêmes, expérimentons humblement, joyeusement, et sans arrogance. Que l'échec soit notre professeur, pas notre censeur. Cent fois sur le métier remettons notre ouvrage. Scrutons nos éprouvettes minuscules ou nos alambics énormes, afin de progresser concrètement dans notre recherche d'une meilleure société humaine. Car c'est du minuscule au cosmique que ce travail nous entraînera. Et entraîne déjà ceux qui s'y confrontent. Comme les poètes qui savent qu'il faut tantôt écrire une ode à la tomate ou à la soupe de congres, tantôt écrire les "Châtiments". Sauver une herbe médicinale en Amazonie et garantir aux femmes la liberté, l'égalité, la vie souvent.

 

Et surtout, surtout : disons à nos enfants qu'ils arrivent sur Terre quasiment au début d'une histoire et non pas à sa fin désenchantée. Ils en sont encore aux tout premiers chapitres d'une longue et fabuleuse épopée, dont ils seront, non pas les rouages muets, mais au contraire les inévitables auteurs. Il faut qu'ils sachent, que, ô merveille, ils ont une oeuvre faite de mille oeuvres, à accomplir ensemble avec leurs enfants, et les enfants de leurs enfants. Disons-le haut et fort, car beaucoup d'entre eux ont entendu le contraire et je crois moi que cela les désespère. Quel plus riche héritage pouvons-nous léguer à nos enfants que la joie de savoir que la genèse n'est pas encore terminée, et qu'elle leur appartient ?

 

Qu'attendons-nous?

L'année 2014 ? La voici."