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06/09/2007

En attendant Nono

Ils vivent, coincés entre la voie ferrée et le dépôt d’ordures, protégeant par des tôles rouillées leur camion en panne et leur roulotte démodée. « Ici, c’est nulle part », à « quatorze kilomètres » de la ville et du premier bistrot. « C’est là qu’ils nous ont mis », et tant pis si c’est insalubre ! Sont-ils résignés ? Sont-ils ignobles ? Elle, c’est Jackie (Nathalie Cerdà), en robe et blouse roses, nettement plus affable que lui, Eddie (Maxime Leroux), hargneux et mal embouché. Ils attendent Nono (Didier Brice) parti chercher une pièce pour réparer le camion. Il tarde, Nono. Normal parce que, « quatorze kilomètres, quand tu tiens pas la ligne droite, c’est plus long »,  et, comme il aura probablement bu…

En attendant Nono, Eddie consigne sur un calepin noir les horaires et la composition des trains qui passent. Quatre wagons » ou « vingt-deux wagons », et les minutes qui les séparent, quelle importance ? Pourquoi noter ? Il se fâche, Eddie, il explique : « ces heures-là, elles sont à nous. C’est nos heures. » La concentration qu’il porte à ses observations semble meubler l’inanité de sa vie. Ainsi, quand le train de nuit s’arrête, il sait, lui que c’est à cause du feu rouge…Il l’explique à Jackie, violemment, parce qu’il ne sait pas s’exprimer autrement. Ils sont poignants tous deux, sur le tertre râpé à observer cette voyageuse qui descend et vient vers eux, et cet autre, qui semble la suivre. Hélène (Aliénor Marcadé-Séchan) a abandonné son mari endormi, Olivier (Mathieu Rozé) est descendu par curiosité. Le train repart sans eux. La chienne aboie. Et les deux petits bourgeois se retrouvent chez « les forains ».

C’est peu de dire qu’ils ne se comprennent pas. Ils découvrent un monde dont ils ignoraient l’existence, des êtres frustres, mais pudiques qui refusent de parler d’eux-mêmes et qui se glanent des repères sentimentaux dans l’existence des « people ». Aux paroles brèves et brutales d’Eddie ou de Nono répondent les logorrhées bêtifiantes d’Hélène, et les discours  pontifiants d’Olivier. De plus, ces pauvres qu’on voudrait aider – parce qu’on a quand même besoin d’eux, – se montrent méfiants et susceptibles ! C’est à n’y rien comprendre !

Olivier et Hélène en feront la douloureuse expérience au cours d’une nuit catastrophique où basculent les situations, où les pulsions explosent, où la colère, la rancoeur, les haines anéantissent toute raison.

On pense aux Affreux, sales et méchants d’Ettore Scola. On pense aussi au regretté Varoujan, qui dans Des harengs rouges  peignaient des univers incompatibles et des individus qui ne pouvaient communiquer. 

 Les noirceurs du texte de  Stephan Wojtowicz prennent des accents beckettiens. Le naturalisme de la mise en scène de Panchika Velez en souligne les oppositions Ils oeuvrent souvent ensemble, avec Claude Plet, pour le décor, Philippe Lacombe pour les lumières. Ce travail d’équipe profite à l’ensemble, d’autant que les comédiens tout en couples contradictoires, joutent en duels verbaux  tendus jusqu’à l’extrême. Impressionnant !

 

Les Forains de Stephan Wojtowicz Théâtre 13 01 45 88 62 22 Jusqu’au 14 octobre

19:00 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Théâtre |  Facebook | |  Imprimer

01/09/2007

Loupiotte : « un rêve qui veille »

On vit mal dans la rue. Les passants trop pressés n’ont pas une obole pour le pauvre claquedent solitaire qui tend la main. Et quand il essaie de dormir sur un  banc public un autre traîne-misère voudrait lui prendre sa place. C’est trop ! Et chacun de réagir comme une bête qui veut défendre son territoire…  

L’homme est une brute à l’état de nature, un voleur, un chenapan. Les pauvres seraient-ils méchants ? Non, juste méfiants. Mais quand l’un et l’autre enfin se regardent, ils se voient identiques : même souffrance, mêmes gestes, même T-shirt, même veste, même pantalon, mêmes baskets, et même grommelot pour s’exprimer dans une langue inconnue qui ne laisse distinguer que les prénoms : « Kamel » et « Toine ». L’inquiétant étranger n’est qu’un autre soi-même. Alors… à défaut de pouvoir partager son pain, Kamel dédouble… son chapeau, seul accessoire qui manquait à Antoine pour être son pareil.

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 (Photos : DR)

 

 

Frères de bitume, les voilà jumeaux, amis pour le pire, en attendant le meilleur : Kamel et Antoine. Retenez ces prénoms. Vous ne les oublierez plus. Car ces deux-là ont l’âme naïve de Charlot, et pour démunis qu’ils soient matériellement, les deux êtres qu’ils incarnent sont riches d’imagination. Leur angoisse du lendemain ? Ils la transmuent en jeu et toute inquiétude devient sujet de rire.

La plupart des spectacles immobilisent le temps et l’espace. Avec Loupiotte, le temps devient fluide et l’espace réversible. Antoine et Kamel, comme deux pantins élastiques  affrontent les dangers et la méchanceté du monde et retombent toujours sur leurs pieds. Ils savent voyager de ring en stade, du court de tennis à l’aérodrome, du bord de la rivière à l’hôpital et de la détresse à la tendresse. 5d7da6b564ffca2c1b2d541420de2833.jpg

Comme deux « petits Poucet rêveurs », ils  entraînent les spectateurs dans une course follement drôle qui, parfois, vire au cauchemar. Hommes « dont jamais l’espérance n’est lasse », ils ne découragent jamais. L’amitié est leur « loupiotte », et les sauve de toutes les vicissitudes. Le miracle est qu’ils en persuadent aussi les spectateurs qui délirent de bonheur avec eux.

Car, il y a toujours, « un rêve qui veille », et, s’ils sont de la « race d’indépendants fougueux » chère à Jean Richepin, ils  sont naturellement poètes…

 

 

 

 

 

 

 

 Le 18 octobre

au Théâtre 13 à 20 h 30

 01 45 88 62 22

Et en tournée.

09:50 Écrit par Dadumas dans Poésie, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Théâtre, poésie |  Facebook | |  Imprimer