13/03/2008
Des affinités émotives
Le café-théâtre nous réserve toujours d’heureuses surprises. La jolie comédie de Mathida May et Pascal Legitimus Plus si affinités en est une. Elle éclaire les soirées parisiennes.
Les lecteurs des petites annonces matrimoniales connaissent bien l’expression : « Plus si affinités » qui clôt l’invite de l’annonceur et ouvre le champ des possibles au récepteur. Les scientifiques parlent des affinités électives, les littéraires aussi, mais pas pour les mêmes raisons. Laissons Goethe à Charlotte… Le laboratoire scientifique que Mathilda et Pascal présentent ici, n’a rien de romanesque. Ce sont de courts tableaux, des instantanés de vie, celle d’un homme et d’une femme qui se cherchent et quelquefois se trouvent, par affinités émotives. On connaissait Mathida May dans des rôles tragiques au cinéma, et Pascal Legitimus dans ses sketches et films (ou téléfilms) comiques. Les voici auteurs et interprètes. Et cette performance révèle chez Mathilda May un tempérament comique que le cinéma avait étouffé. Ah ! Enfin, elle respire, elle éclate, et elle nous communique une joie de vivre et un humour libérés. Sa formation de danseuse lui donne une souplesse et un maintien exemplaires. Elle a toujours été belle, elle est aujourd’hui rayonnante. Elle ne craint pas de jouer avec tout son corps, de s’enlaidir d’une grimace, de passer de la séductrice pulpeuse à la victime séduite. Tout est mené d’un train d’enfer mais c’est un enfer pavé de très bonnes attentions. Gil Gaillot, le metteur en scène qui a aussi participé à l’écriture maintient un rythme qui secoue le public. Depuis Dario Fo ou Michael Frayn, jamais les arcanes des liaisons ordinaires n’avaient autant fait rire.
En voix off, résonne la question éternelle que Diderot pose dans Jacques et son maître : « comment s’étaient-ils rencontrés ? ». Sur scène, toutes les éventualités sont montrées, analysée, recommencées, multiples expériences qu’un commentateur invisible et sarcastique décrypte. Snobs intellos, prolos revêches, voyageurs maladroits, adultes nostalgiques, amateurs de speed-dating, mufles patentés, l’Homme croit être le maître dans les travaux d’approche et tombe vite sous le charme de la Femme. L'appel de la chair est quelquefois un leurre. L'accord est rarement parfait.
Comment résister à la grâce de chatte de Mathilda, et comment se garer de ses coups de pattes de tigresse ? Pascal Légitimus avec ses allures de renard, succombe à tous les coups, et on a garde de le plaindre. Elle l’entraîne dans sa danse, dans ses couplets, mutine jusqu’au bout des cils, caustique dans le frémissement de ses lèvres. Mon voisin de fauteuil était prêt à prendre sa place.
Plus si affinités
de Mathilda May et Pascal Legitimus
au Splendid
01 42 08 21 93
15:10 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Théâtre, café-théâtre | Facebook | | Imprimer
La bande des quatre
Quatre auteurs Stéphanie Aubin, Pascale Houbin, Christophe Huysman, Pierre Meunier, venus du théâtre, de la danse se sont mués en « étonnistes » ironistes pour se livrer, sur une "provocation de Stéphanie Aubin", à une expérience théâtrale « étonnatoire » .
Qu’est-ce qu’un « étonniste » ? Un spécialiste de « l’étonnaison », si l’on en croit la suffixation logique (mais non autorisée), puisque « aison » indique l’action commandée par un verbe en er. Leurs « étonnages » (collection de ce qu’ils produisent) provoquent « l’étonnature », (suffixation autrement plus savante que étonnement), qui montre combien le spectateur peut s’impliquer activement dans ce qu’il voit et entend ? Certains auraient choisi « étonnitude », mais il s’agirait alors plus d’un état d’âme que de l’ensemble des caractères énoncés par le radical d’étonner qui s'impose dans « étonnature ».
Vous ne me suivez pas ? Ah ! c’est dommage ! Mais sachez que les étonnistes vous prennent par le bout de l’oreille pour vous emmener dans l’univers de la création et des émotions qu’elle suscite. Et on est heureux "d'être en vie" et de partager ces instants avec eux et avec les autres qui étaient sagement assis avec vous, au départ, et qui maintenant se dissipent.
Tout passe par les capteurs d’un casque audiophone. Les quatre sont d’abord assis sur scène, comme quatre conférenciers sérieux. Quatre tables identiques, sans signe particulier. Chacun entame un discours différent, audible, grâce à la technique, par un quart des spectateurs. Mais, les ondes changent, et on voit des groupes de spectateurs, sur scène, qui après avoir suivi l’un, cherchent un autre guide. L’être humain est inconstant... Et la bande des quatre (auteurs mais aussi concepteurs et interprètes) désorganise l'ordre frontal en désordre artistiquement concerté.
Étonnant vous dis-je ! Et pour poursuivre l’expérience, à la fin du spectacle on vous invite à revenir !
Les Étonnistes
Jusqu’au 22 mars
www.theatre-paris-villette.com
13:05 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Théâtre | Facebook | | Imprimer
08/03/2008
Un monde sans fin
Nous avions déjà rendu compte de Juste la fin du monde la pièce de Jean-Luc Lagarce (Novembre 2007). La Comédie-Française vient de l’inscrire à son répertoire. C’est une consécration, et une consécration juste, parce que cette pièce nous touche au plus profond de l'intime, non seulement ici et maintenant, mais ailleurs et dans tous les temps. Il y est question de la mort et des liens familiaux.
Juste la fin du monde, rappelons-le, est, avant Le Pays lointain, une histoire largement autobiographique. Louis, revient dans sa famille pour lui annoncer qu’il va mourir. Mais il repartira sans rien dire. Il l'avait quittée « pour faire ce qu'il avait à faire ». Pendant ses années d’absence, il s'est contenté d'envoyer des cartes postales, de « petits mots », des « phrases elliptiques ». On ne peut pas lui « reprocher (son) absence ». Il n'a jamais oublié « les dates essentielles de (leurs) vies ». Eux, de leur côté ont donné son prénom au fils de son frère.
Les vivants sont tous là : la mère (Catherine Ferran), Suzanne, la petite sœur (Julie Sicard), le benjamin, Antoine (Laurent Stocker) et son épouse Catherine (Elsa Lepoivre). Ils attendent Louis (Pierre Louis Calixte) avec ferveur et anxiété. Ils se doutent bien qu'il a « une nouvelle importante » à leur dire. Mais puisqu'il dit « je vais bien », ils ne l'interrogeront pas plus avant. Pourtant, Antoine soupçonne : « j'espère qu'il ne t'arrive rien de mal », parce qu'il sait que « si tu avais mal, tu ne le dirais pas », parce « le malheur est sur ton visage ».(photo Brigitte Enguérand ; Louis (Pierre Louis Calixte) et Antoine (Laurent Stocker).
Ils se connaissent bien, et leur pudeur, leur respect, est une preuve d'amour. Mais ils sont maladroits. Louis, voudrait croire, comme le roi de Ionesco que "le reste du monde disparaîtra avec" lui. Mais ce monde est sans fin, et il voudrait juste ne pas être trop seul.
Michel Raskine met en scène avec une intelligence inouïe. Comment dire l'intime dans un théâtre à l'italienne ? Comment passer des souvenirs confus de chacun à la précision d'une vérité fluctuante ? Car la vie palpite dans le verbe de Jean-Luc Lagarce. Toute parole dit le frémissement de l'âme avec les balbutiements de la pensée. Chacun énonce, bute sur les mots, cherche l'expression juste, se trompe, et, dans les errements, trace des cercles ondoyants qui enveloppent les êtres de tendresse et de cruauté. Jamais un personnage n'est stable, pris dans le flux et le reflux de situations mouvantes dont il s'arrache et où il glisse de nouveau.
Michel Raskine a donc cherché à modifier la vision du spectateur, à l'inclure dans ce mouvement perpétuel. Il y réussit en restructurant l'espace. Il neutralise les six premiers rangs d'orchestre en y dressant un tréteau central, comme une langue qui pénètre dans le public. On pense au long tréteau sur lequel Vitez avait fait jouer Faust, Britannicus, et Tombeau pour cinq cent mille soldats. Cette estrade est une voie de circulation entre l'intime du spectateur et l'exhibition de l'acteur. Le spectateur devient le confident du comédien. Il est impliqué dans l'action. Le proscénium est scène. Le décor de Stéphane Mathieu, construit un praticable à jardin où chacun trouve une chaise à son nom, comme sur un tournage de film. On a entassé à cour, des chaises houssées, une télé, un poste de radio qui voisinent avec un portrait de Kafka : c'est le domaine de Suzanne qui voudrait bien quitter la maison familiale et s'embarrasse de ses souvenirs. La scène proprement dite, masquée par le rideau de velours rouge, ne s'ouvrira qu'au départ de Louis, à sa mort annoncée.
Du prologue sur le tréteau à l'épilogue du deuil sur la scène, le chemin parcouru inscrit sa trajectoire de la vie à la mort. Et c'est superbe. Grâce à cette architecture, l'univers lagarcien se dessine avec les oscillations des personnages, la progression de leurs sentiments, les pulsations qui les tourmentent. Les lumières de Julien Louisgrand les accompagnent : douche de lumière sur celui qui monologue, poursuite quand les dialogues deviennent disputes, que les sorties se font par la salle, pleins feux sur la salle quand « la fin » de Louis est acquise et qu'il revient pour raconter « encore ». Chaque éclairage cerne le moment qui correspond à un état d'âme. Laurent Ménard cale les intensités au son de l'harmonium et ponctue chaque séquence d'un bruit de couperet. La réussite est flagrante.
Pierre-Louis Calixte impose un Louis ironique et fragile. Il a la jeunesse et la la fragilité du personnage. Il sait passer du sourire narquois aux larmes contenues. Il « triche » avec élégance. Il a le maintien de celui qui se surveille et l'attention d'un fils aimant, d'un frère circonspect. Il est parfait. Laurent Stocker en « mauvais caractère », donne à son personnage irritable et jaloux la justesse du frère rongé d'inquiétude. Julie Sicard est un petit chat sauvage, nerveux, agile, impétueux et câlin, on ne peut plus imaginer Suzanne sans penser à elle. Catherine Ferran joue la mère avec une dignité douloureuse. Elle est l'admirable et puissant rocher qui maintient la famille, et pour laquelle chacun s'efforce de paraître meilleur. Quant à Elsa Lepoivre, qui est Catherine la bru, la femme d'Antoine, on voit tout de suite, à son allure, à son sourire, qu'elle est une pièce rapportée. Elle ne s'emporte pas comme Suzanne, et dans le moment où ils la laissent seule, elle sourit de leurs colères. Faisant diversion, elle chantonne « une chanson douce », puis se laisse aller un instant à monter la voix pour extérioriser un énervement passager. Sereine parmi les teigneux, lumineuse parmi les ténébreux, elle est impériale.
La troupe d'aujourd'hui rayonne de tous ses talents.
Juste la fin du monde de jean-Luc Lagarce
Comédie-Française, salle Richelieu
jusqu'au 1er juillet
0825 10 16 80
11:35 Écrit par Dadumas dans culture, éducation, Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Théâtre, culture, éducation, littérature | Facebook | | Imprimer