13/09/2010
Feydeau tout entier
Pontagnac (Eddie Chignara) suit Lucienne Vatelin (Alix Poisson) depuis huit jours. Il existe des façons charmantes de suivre une femme. Pontagnac, lui, la poursuit. Et quand il parvient à forcer sa porte, il s’aperçoit que le mari de la dame est un certain Crépin Vatelin (Pierre-Alain Chapuis), un ami de longue date. La dame se moque de lui ouvertement.
Va-t-il renoncer ? Au contraire, le fait qu’elle se refuse, la bonhomie de Crépin, la présence d’un rival potentiel, Rédillon (Guillaume Marquet), titillent encore plus son désir. D’autant que l’honnête Lucienne jure qu’elle ne trahira jamais son époux, sauf si ce dernier la trompe.
Sur cette promesse étourdie, la course poursuite peut reprendre. Car il s’agit de conquérir la belle le plus rapidement possible. D’être vainqueur d’un match entre lui et Rédillon.
Le mécanisme est en marche (mouvement Sophie Mayer). Le décor bouge, la scène tourne, les portes claquent (Décor de Jean Haas). La mise en scène de Philippe Adrien joue sur le mouvement. Et c’est une perfection ! Grâce à un tapis roulant sur une tournette, les situations valsent, les personnages bondissent allegro prestissimo. Et quand le décor s’arrête, c’est Pontagnac qui entame un haka pour montrer la vigueur de sa passion, c’est Rédillon qui frétille, c’est Lucienne qui ondule. Et c’est Feydeau tout entier dans une trajectoire en folie.
Douze comédiens jouent seize personnages sans ralentir l'allure. Dans un hôtel galant, gambadent une Mme de Pontagnac (Luce Mouchel) vengeresse, Soldignac (Joe Sheridan) que l’amour « dérange » dans ses affaires, mais qui chasse Armandine (Juliette Poissonnier) la biche peu farouche, et épie sa femme, Maggy Soldignac (Caroline Arrouas). Et dans le tourbillon d’une nuit agitée, le couple Pinchard (Patrick Paroux, et Bernadette Le Saché) vacille, les sonnettes tintent, les sacs s'échangent...
Tandis que les personnages se déchaînent, le rire gagne.
Une réussite qui mérite un triomphe !
photos : Antonia Bozzi
Le Dindon de Feydeau
Théâtre de la Tempête
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11:21 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, feydeau, philippe adrien, théâtre de la tempête | Facebook | | Imprimer
11/09/2010
Jeux de vilaines
Hortense (Valérie Zarrouk) est une bête de scène. Peut-être devrait-on dire « était ». Elle a un peu perdu son talent en interprétant des personnages récurrents à la télé. Gertrud (Katherine Mary) est une auteure « mondialement reconnue », dont l’œuvre est traduite en trente langues. Hortense joue « à l’instinct », Gertrud ratiocine. Hortense aime les hommes, et Gertrud vient de rompre avec Clotilde. La pièce qu’elle propose à Hortense n’a ni personnage, ni situation. Oui, vraiment, tout les sépare.
Et pourtant… Elles répétent. Enfin, Gertrud commence à examiner la possibilité de faire son comeback avec un genre qui n’a jamais été le sien, mais dont elle pourrait tirer profit. D’autant que sa nouvelle liaison (avec un ministre de l’Intérieur omnipotent) lui promet la une des magazines.
Dans le bric-à-brac d’une scène pas installée, elles s’installent sous le regard d’un éclairagiste que nous ne verrons pas, mais que leur dialogue rend présent. Victor Haïm excelle dans les pièces duels où deux personnages s’affrontent. Jeux de scène est un combat à mots démouchetés, où, par le biais de ces deux femmes, deux visions du Théâtre s’opposent.
Jeux de scène avait obtenu le Molière 2002. Il nous tardait de la retrouver sur scène. Elle fonctionne admirablement. Il faut dire que l’auteur l’a mise en scène, et qu’il dirige ses comédiennes avec maestria. Il faut ajouter que les premières répliques, « C’est magique ! » et « quel beau théâtre ! » semblent tellement congruentes au Ranelagh que le public est acquis.
Les deux « monstres sacrés » ne vont pas tarder à s’envoyer de sacrées vacheries. En aparté d’abord, un projecteur les isolant pour une réflexion (lumière Florent Barnaud). Gertrud souligne le « côté bécasse », d’Hortense. Hortense pense tout haut : « elle me fait chier ». Peu à peu, elles se diront tout, sans masque, jusqu'au combat physique. Les jeux de scènes se muent en jeux de vilaines. Valérie Zarrouk le corps dressé comme un étendard, porte fier son « désir de théâtre ». Katherine Mary, ramassée sur une fausse retenue, finira par exploser de colère.
Bien entendu, toute ressemblance avec des personnes existantes ne serait qu’une affreuse coïncidence…
Jeux de scène de Victor Haïm
Théâtre du Ranelagh
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17:05 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, ranelagh, haïm | Facebook | | Imprimer
Comédie tragique
Vous croyiez qu’avec Solness le constructeur, Ibsen avait écrit un drame, celui d’un homme mûr saisi par un vertige orgueilleux devant la jeunesse, hanté par un passé trouble, partagé entre des ambitions matérialistes et des superstitions païennes. Pas du tout ! Hans Peter Cloos, qui met en scène, affirme qu’il s’agit d’une comédie.
Soit ! Halvard Solness (Jacques Weber) papillonne entre son épouse Aline (Édith Scob), et sa maîtresse, la jeune Kaja Fosli (Nathalie Niel). Il l’a chipée à son assistant Ragnar (Thibault Lacroix) et il la plaque sans ménagement quand la belle Hilde (Mélanie Doutey) pointe son joli minois. Il a tant méprisé le vieux Brovik (Jacques Marchand), trompé sa femme, manqué à ses promesses, que personne ne le plaindra quand il tombera du haut de la tour qu’il inaugure. Dans le décor de Jean Haas glacé de maquettes blanches, même le docteur (Sava Lolov) semble indifférent à son patient.
Comédie ? Mais comédie tragique. Il y a mort d’homme !
Jacques Marchand dit avec force la douleur et la haine, Thibault Lacroix incarne la rage et la rancœur et sifflote le thème du Peer Gynt de Grieg avec insolence*. Édith Scob explore les fêlures de sa vie en souriant. Jacques Weber souverain, montre le désir de puissance mêlé à l’angoisse du « châtiment ».
Car enfin, n'est-il pas responsable de l'incendie qui a anéanti la maison de sa femme, ses souvenirs, ses enfants ? N'a-t-il pas manoeuvré pour bâtir son empire immobilier ? N'at-il pas dépouillé Brovik de son entreprise ? Brimé Ragnar ? Séduit Kaja, qu'il abandonne ensuite ?
À moins d’être particulièrement cynique, la situation ne prête pas à rire. Sauf à se moquer de cette Hilde, grande petite fille qui croit aux serments des hommes. Mais là encore, difficile de ne pas avoir le cœur brisé.
Solness le constructeur d’Henrik Ibsen
Théâtre Hébertot
01 48 87 23 23
* Mon ami Karim me signale que c'est l'air que siffle l'assassin dans M le maudit. Thibault Lacroix a donc tout compris !
00:03 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, ibsen, hébertot | Facebook | | Imprimer