19/03/2014
Quel homme !
On ne vous présentera pas Dom Juan. Sa renommée est universelle et traverse la littérature dramatique, poétique, romanesque, l’opéra et le cinéma. Mais si vous ne l’avez jamais vu, il faut courir au Théâtre 14. Arnaud Denis y met en scène le Dom Juan de Molière et interprète le rôle titre avec une telle intelligence que vous ne pourrez plus entendre parler du personnage sans l’imaginer sous ses traits.
Dom Juan est jeune et beau, vêtu de soie, d’or et de dentelles (Costumes : Virginie Houdinière). Il est noble et ne vit que pour sa jouissance. « Quel homme ! » qui ne respecte rien, ni religion, ni morale, ni famille. Il vient à peine d’épouser Doña Elvire (Alexandra Lemasson) que déjà, il pense à une nouvelle femme. De Charlotte (Eloïse Auria) en Mathurine (Julie Boilot), il court le jupon. Il n’obéit qu’à son désir et se moque des leçons de modération de son valet Sganarelle (Jean-Pierre Leroux). Matérialiste, cynique, il n’hésite pas à provoquer son père, Dom Louis (Vincent Grass) : « Mourez le plus tôt que vous pourrez », ajoutant à ses vices celui qui, selon Molière les surpasse tous : l’hypocrisie.
Arnaud Denis restitue le climat de luxure et de volupté dans lequel baigne ce jouisseur effréné.
Il esquisse une soirée libertine, au cours de laquelle des valets peuvent devenir mirebalais et des dames galantes masquées se prêter à toutes les complaisances, embarquant un M. Dimanche (Gil Geisweiller) prompt à succomber à la tentation. Dom Juan affiche un sourire effronté, caresse ceux qu’il veut séduire, hommes ou femmes, Dom Carlos (Jonathan Bizet) ou sa sœur, qu’importe ! « Un grand seigneur méchant homme est une terrible chose », dit Sganarelle qui s’épuise à suivre son maître. Brave Sganarelle ! Jean-Pierre Leroux, lui donne une bonhomie inquiète, une tendresse quasi paternelle, et passe avec finesse, en un éclair, de la révolte au renoncement pour cause de couardise. Jonathan Bizet, Loïc Bon, Stéphane Pevran se partagent les neuf autres rôles avec brio.
La statue du Commandeur ? La « participation virtuelle » de Michael Lonsdale est stupéfiante. Le masque qui semblait de pierre reçoit des hologrammes transformant les traits d’une statue romaine en ceux du comédien, mais flous et fluctuants, comme une apparition fantomatique. Les créations vidéo de Sébastien Sidaner, les lumières de Laurent Béal donnent au décor d’Edouard Laug la profondeur d’une destinée. C'est sublime.
Vous attendez la punition du Méchant ? Elle est d’une invention diabolique et prodigieuse. Vous vous souvenez sans doute que la source de Dom Juan est un fait divers. Après avoir enlevé, déshonoré et abandonné la fille, un seigneur espagnol, Juan Tenorio, avait assassiné le père, commandeur de son état. Une nuit d’orage, le criminel demanda asile dans le couvent où se trouvait le tombeau du commandeur. Et on dit que les moines déclarèrent qu’il avait été foudroyé…
Eh bien ! Ces moines sont là, sur la scène, et encerclent Dom Juan…
Mais... allez-y, et en voyant ce Dom Juan-là, vous aussi, vous direz : « Quel homme ! »
Photos : © LOT
Dom Juan de Molière
Mise en scène d’Arnaud Denis
Jusqu’au 26 avril
Théâtre 14
01 45 45 49 77
19:17 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, théâtre 14, molière, arnaud denis | Facebook | | Imprimer
16/03/2014
Les vertus qu’on exige des maîtres
Arlequin (Jérémy Lopez) et son maître Iphicrate (Stéphane Varupenne) rescapés d’un naufrage se retrouvent sur l’île des esclaves, territoire où « des esclaves de la Grèce, révoltés contre leurs maîtres », se sont établis et leur loi serait « de tuer tous les maîtres qu'ils rencontrent, ou de les jeter dans l'esclavage ». On comprend que le maître est inquiet tandis qu’Arlequin est satisfait… Trivelin (Nâzim Boudjenah) le rassure, on se contente de corriger leurs défauts en inversant les rôles. Pour Euphrosine (Catherine Sauval) et son esclave Cléanthis (Jennifer Decker) qui débarquent, même peine, même motif.
Ils ont été des maîtres tyranniques, vains et dédaigneux, ils vont devoir subir les injures, les arrogances de la part de ceux qu’ils ont méprisés. Marivaux, esquisse donc en 1725, ce qui deviendra, cinquante ans plus tard chez Beaumarchais, une des revendications de Figaro dans le Barbier de Séville : « Aux vertus qu'on exige dans un domestique, votre Excellence connaît-elle beaucoup de maîtres qui fussent dignes d'être valets ? ».
Mais l’heure n’est pas encore à la satire, les valets se montrent généreux envers leurs maîtres qui n'ont pas encore acquis beaucoup de vertus, mais regrettent leurs fautes, première étape de l’épreuve. Ils jurent de s’amender. Seront-ils s'en souvenir quand ils regagneront leur patrie ?
Les lumières de Pascal Noël glissent dans un décor de toiles nuançant tous les ocres (Scénographie Lisa Navarro), les impétrants abandonnent leurs vêtements familiers et revêtent un pantalon écru et une tunique pourpre, galonnée pour les esclaves (Costumes Bernadette Villard). La mise en scène de Benjamin Jungers est simple et claire et les comédiens semblent déguster le texte de Marivaux, souligné d’une musique ironique de Denise Chouillet, interprétée clarinettiste Fabrice Villard.
L’Île des esclaves n’est peut-être pas la pièce engagée que certains souhaiteraient, mais elle contribue au combat, ne serait-ce que pour une belle langue, le français.
Photo : © Cosimo Marco Magliocca
L’Île des esclaves de Marivaux
Studio-théâtre de la Comédie-Française
Du mercredi au dimanche à 18 h 30
01 44 58 98 58
19:25 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, éducation, langue, Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, marivaux, comédie-française, littérature | Facebook | | Imprimer
Dégeler la parole
Ce n’est pas la première fois que Rabelais est adapté au théâtre, mais Jean Bellorini réussit, avec Paroles gelées, un spectacle total, un véritable chef d’œuvre.
Il cosigne l’adaptation avec Camille de la Guillonnière et met en scène, l’œuvre de Rabelais en respectant l’esprit et la lettre. Treize comédiens, chanteurs, musiciens, tous extraordinaires, se partagent les multiples rôles de la saga de Pantagruel : Marc Bollengier, François Deblock, Patrick Delattre, Karyll Elgrichi, Samuel Glaumé, Benjamin Guillard en alternance avec Teddy Melis, Camille de la Guillonière, Jacques Hadjaje, Gosha Kowalinska, Blanche Leleu, Clara Mayer, Geoffroy Rondeau, Hugo Sablic, lesquels, en dignes pantagruelistes touchent à tous les arts. La scénographie et les costumes de Lauriane Scimemi conduisent les spectateurs dans ce voyage initiatique qui conduit Pantagruel, Panurge, frère Jean et les autres aux confins de la terre, en ce lieu où les paroles sont « gelées » et où les protagonistes les libèrent.« Paroles piquantes, paroles sanglantes, paroles honorifiques » ou « mal plaisantes », ces « mots de gueule » dégèlent entre « très bons et joyeux pantagruelistes ».
Car il s’agit bien en libérant la parole, de libérer l’esprit, les mœurs, la société tout entière.
Pour ceux qui craindraient de ne pas comprendre cette langue du XVIe siècle, Jean Bellorini a prévu un interprète, Alcofribas Nazier* lui-même qui vous donne commentaire et traduction et accompagne les héros dans leur pérégrination.
Vous vous souvenez sans doute du premier conseil donné par Rabelais :
« Dépouillez-vous de toute affection
Et le lisant ne vous scandalisez »
Et de sa maxime :
« Voyant le deuil qui vous mine et consomme
Mieux est de rire que de larmes escrire
Pour ce que rire est le propre de l’homme »,
Aujourd’hui, à la question « Rabelais est-il mort ? » Jean Bellorini répond :
« Non sa meilleure part a repris ses esprits
Pour nous faire présent de l’un de ses escrits
Qui le rend entre tous, immortel et fait vivre »
Alors ? Courez vite vous réchauffer aux Paroles gelées.
Alcofribas Nazier* : Anagramme et pseudonyme de François Rabelais
Création en janvier 2012 au Théâtre National de Toulouse, Paroles gelées a reçu en 2012 le Prix Jean-Jacques Lerrant du Syndicat de la critique (révélation théâtrale de l’année) et en avril 2013 le Prix de la mise en scène au Palmarès du Théâtre.
Paroles gelées d'après l'oeuvre de François Rabelais
adaptation Jean Bellorini et Camille de la Guillonnière
Théâtre du Rond-Point
en salle Renaud-Barrault
01 44095 98 21
jusqu’au 4 avril 2014, 21h
dimanche à 15h relâche les lundis
Tournée
9 - 15 avril 2014 au Grand T, Nantes (44)
23 et 24 avril 2014 à Bonlieu Scène nationale d’Annecy (74)
12 mai 2014 Espace Jean Legendre, Compiègne (60)
27 mai 2014 Granit - Scène nationale de Belfort (90)
12:30 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, humour, langue, Littérature, Livre, Politique, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, littérature, rabelais, bellorini | Facebook | | Imprimer