30/09/2015
Si jeune dans un monde si vieux
Léonce est le fils du roi de Popo. Léna est princesse au royaume de Pipi. Léonce apprend son métier de roi et comme un roi a besoin d’une reine, on va le marier à la princesse Léna. Mais Léna veut échapper à la raison d’état : « Pourquoi clouer deux mains qui ne se cherchaient pas ? » dit-elle à sa gouvernante. Elles s’enfuient. De son côté, le prince a rencontré un vagabond effronté et il part avec lui sur les routes. En une journée, ils ont traversé une « douzaine de principautés ». Léna a cueilli des fleurs, mais, dit la gouvernante : « Pas le moindre Prince charmant égaré ». Cependant à la faveur de la nuit, du clair de lune, du chant des grillons et du coassement des grenouilles, la nuit étoilée permettra leur rencontre. La fin sera heureuse et insolente, comme son auteur Georg Büchner.
Cette comédie satirique date de 1836 et le jeune dramaturge, médecin, écrivain, a vingt-trois ans. Il a déjà échappé à la police des états germaniques qui le poursuivent pour son tract révolutionnaire : « Paix aux chaumières, guerre aux châteaux ! ». Il vient de trouver refuge en Suisse, mais le typhus le rattrape et il meurt « si jeune dans un monde si vieux. »
Grégoire Callies a adapté cette œuvre en 1992 pour des marionnettes. Il en restitue l'audace avec une intelligence remarquable. La scénographie, et la création marionnettes de Jean-Baptiste Manessier proposent en place de castelet, une boite à malices.
D’un gros cube rougeâtre, autour duquel les acteurs-servants (Marie Vitez et Grégoire Callies), vêtus et masqués de noir, s’affairent, vont jaillir des marionnettes articulées, guère plus grandes que la main humaine. La boîte s’ouvre en triptyque découvrant des poulies, des arbres mécaniques, et tout un sous-prolétariat rivé à des machines. Des trappes communiquent avec l’étage supérieur, celui des maîtres et de leur cour, au-dessus d’eux, le ciel, la nature. Les musiques de Jacques Stibler épousent les voyages. La flûte rêveuse cède la place à une musique militaire par instants, et un piano d’enfant éveille des souvenirs lointains.
Instants magiques : les images et les dialogues rappellent Le Roi et l’Oiseau de Prévert et Grimault et les personnages sont les frères de ceux de Musset dans Fantasio.
Romantique Büchner ? Il s’en garde bien. Par la voix de Valerio, il ironise sur le « romantisme de sous-lieutenant » du jeune prince qui, grâce à lui, a raté « son plus beau suicide ». Révolutionnaire ? Grégoire Callies imagine un roi nu, qu’on caparaçonne pour le présenter à son peuple, un roi sans qualité, qui doit « penser pour [ses] sujets car ils ne pensent pas. » Il montre la servilité de ceux qui l’entourent, et un curé qu’on sort de sa chaire comme le diable sort d’une boîte. Avec la marionnette qui peut tout dire, la comédie dénonce l’absurdité des régimes autocratiques de ces petits états allemands (trente-neuf principautés à son époque) où la liberté n’existe pas.
Quand Valerio devenu ministre interdit le travail et souhaite « une religion commode », le public applaudit l’utopie et se prend à rêver.
Photos : © Victor Tonelli-Artcomart
Léonce et Léna de Georg Büchner
Théâtre de l’Atalante
Jusqu’au 10 octobre
Puis Halle Roulot à Fontenay-sous-Bois
Jusqu’au 17 octobre
15:49 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, humour, Littérature, Poésie, Politique, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, marionnettes, théâtre de l'atalante, büchner, grégoire callies | Facebook | | Imprimer
28/09/2015
Voeux et aveux
Tom (Davy Sardou) et Brian (Julien Alluguette) s’aiment et vivent ensemble depuis trois ans. Pour que leur bonheur soit complet, ils voudraient que « leur couple soit reconnu » socialement et religieusement. Ils vont donc solliciter le vicaire de leur paroisse le Père Raymond (Bruno Madinier). Les naïfs ! Ce n’est pas parce qu’un curé est contre la peine de mort et paraît ouvert sur le monde moderne, qu’il a l’esprit assez large pour bénir l’homosexualité de ses paroissiens !
Le père Raymond obéit à l’église. Hors le mariage, point d’acte sexuel. Et le sacrement du mariage, selon l’Eglise de Rome, est reçu par un homme et une femme dans le but de procréer. Jouir n’est pas au programme.
Tom et Brian souhaitaient « voir l’Eglise évoluer », le père Raymond leur parle de chasteté. Quelle déception pour Brian ! Quels tourments pour Tom qui veut « une vie ordonnée ! »
Irène (Julie Debazac), la sœur de Brian, pianiste et pécheresse attend un enfant qu’on appelle « naturel ». Tom l’avait convaincue de garder cetenfant, afin de l’adopter. Ce pieux projet risque d'échouer. Irène intervient auprès du Père. Patatras ! Elle en tombe amoureuse et lui n’est pas insensible à cette femme rebelle et passionnée. Mais pas question de « sanctifier la moindre pulsion. » Les aveux heurtent les vœux.
Bref, les quatre protagonistes ont bien du malheur par la faute du pape ! Et les vœux de leurs cœurs ne concordent pas avec leur catéchisme. Ils vont vite s’apercevoir que « l’enfer, c’est l’absence d’amour. »
Le théâtre américain se plaît à présenter des débats d’idées, à confronter des opinions opposées en les faisant s’incarner dans des personnages qui nous semblent familiers. C’est sa grande force.
Ainsi, après le succès de L’Affrontement, Bill C. Davis offre-t-il, avec Les Vœux du cœur, une pièce qui expose, avec beaucoup de finesse et d’humour, un sujet de société qui est quelquefois dramatiquement vécu.
Anne Bourgeois réussit une mise en scène lumineuse de l’affrontement douloureux de ces conflits. Les comédiens sont dirigés avec une belle sensibilité. Le décor de Sophie Jacob se transforme à vue et du bout du doigt. Les ruptures de lumières de Jean-Luc Chanonat permettent des séquences courtes et un enchaînement fluide. La bande son de Jacques Cassard et les vidéos de Sébastien Sidaner harmonisent les changements de temps et de lieux.
Tout est juste, intelligent, émouvant. Une belle soirée…
Photos : © LOT
Les Vœux du cœur de Bill C.Davis
adaptation française de Dominique Hollier
Théâtre La Bruyère
Tel : 01 47 74 76 99
Du mardi au samedi à 21 h
Dimanche à 15 h 30
20:11 Écrit par Dadumas dans Blog, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, théâtre la bruyère, bill c. davis, anne bourgeois | Facebook | | Imprimer
24/09/2015
La liberté en Grèce
Solange, ménagère de cinquante ans (Valérie Mairesse) parle au mur de sa cuisine. Elle fait le bilan d’une vie monotone, désespérante, la sienne. Elle ressasse ses déceptions, ses humiliations, sa solitude.
Depuis longtemps, Patrick, celui qu’elle avait épousé, est devenu « l’autre », exigeant et grincheux. Les illusions et les enfants se sont envolés, et elle est restée. Le tablier noué autour de la taille, elle prépare le dîner en buvant du rosé. Lui « carbure à la bière », coincé dans les habitudes, méprisant et autoritaire. Pour elle, le mariage « c’est comme le Moyen-Orient, y a pas de solution. » Elle trouve que le « sexe, c’est surfait, comme les Galeries Lafayette ». Elle a « envie de transgression. »
Alors, quand la voisine, Nicole, une divorcée féministe, lui offre de partager son voyage en Grèce, elle n’hésite pas longtemps. En bonne épouse, elle a prévu, des repas pour quinze jours, bien rangés dans le congélateur, et elle s’envole avec Nicole. Sa fille, choquée, la désapprouve mais la voisine sidérée de tant d’audace lui offre un déshabillé de soie.
Et naturellement, la Grèce va lui apprendre la liberté, la beauté, et l’amour. Nous ne dirons pas comment. L’épouse-servante fonctionnait « en mode automatique ». Elle sort de sa gangue, retrouve le sourire et se sent « vivante. »
Dans la mise en scène de Marie-Pascale Osterrrieth, le décor de Pierre-François Limbosch accentue les oppositions entre le réalisme étriqué d’une cuisine de banlieue (lyonnaise), et le rêve coloré et lumineux d’une île grecque.
Valérie Mairesse donne une âme à cette Solange désabusée qui peu à peu s’épanouit. Elle lui prête une sensualité enjouée, un sourire enjôleur, un regard charmeur qui donnent de l’espoir à toutes les autres femmes.
Photos : © LOT
Partie en Grèce de Willy Russell, adaptation de Catherine Marcangelli
Théâtre La Bruyère
Du mardi au samedi à 19 h
01 48 74 76 99
22:04 Écrit par Dadumas dans Blog, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, théâtre la bruyère, valérie mairesse | Facebook | | Imprimer