30/10/2015
Un bon diable
On célèbre cette année le soixante-dixième anniversaire de la mort de Robert Desnos. Et Marion Bierry, pour lui rendre hommage a conçu un spectacle de cabaret avec trois comédiens, qui sont aussi chanteurs : Robert le Diable.
Rien à voir avec l’opéra de Meyerbeer, ni la légende médiévale, mais quand même un peu avec le poème d’Aragon, cette Complainte de Robert le diable dans laquelle le poète engagé témoigne de la prémonition poétique de celui qui fut son ami.
Robert Desnos n’était pas vraiment un diable, juste un peu iconoclaste, et surréaliste avec modération. Un bon diable en quelque sorte.
Il fut surtout un homme passionnément épris de liberté, puisqu’il s’engagea très tôt dans les luttes antifascistes (1934) et n’acceptant pas la défaite, en 1940, il renonça à ses idées pacifistes et entra en résistance. « Ce cœur qui haïssait la guerre », devint un combattant du groupe Agir et mourut en déportation.
C’est ce parcours que Marion Bierry raconte et chante, mêlant les Chantefables aux poèmes de lutte, les Sans cou, et les Destinées arbitraires. Sandrine Molaro, Vincent Heden, et Alexandre Bierry sont ses complices tour à tour malicieux et graves, charmeurs et émouvants.
Les textes s’enchaînent pour former un spectacle sensible qui devrait permettre de sortir Desnos du « chapitre de la curiosité limitée » qu’il se prédisait.
Ouvrez vos oreilles et vos cœurs à Desnos, chanté par Éluard, salué par Aragon, pleuré par Prévert. Il vous accompagnera longtemps, souriant, et peut-être vous apprendra-t-il à être libre.
Photo : © Matthieu Ponchel
Robert de diable, spectacle de cabaret conçu par Marion Bierry
Théâtre de Poche-Montparnasse
01 45 44 50 21
Tous les lundis à 20 h 30 jusqu’au 18 janvier.
18:39 Écrit par Dadumas dans Blog, cabaret, culture, humour, langue, Littérature, Poésie, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre de poche-montparnasse, poésie, desnos | Facebook | | Imprimer
L’Histoire bégaie
Imaginez que le chef du gouvernement de l’Allemagne invite six millions de personnes à s’installer sur son territoire.
Comment ? Ce n’est pas une fiction ?
Mais si pourtant, c’est la fable qu’Israël Horovitz a inventée en 1996. À l’époque, il créa un chancelier Stroiber, qui, pour « effacer la honte » d’avoir anéanti six millions de juifs » pendant la guerre, invitait six millions de juifs du monde entier, à devenir allemands. L’inverse d’une diaspora, en quelque sorte, une « résilience », très positive, dirait Boris Cyrulnik.
Le concept géopolitique du lebensraum (de Raum = espace, et Leben = vie) créé par Friedrich Ratzel n’est pas nouveau. Il était destiné à favoriser la croissance d’un peuple mais le nazisme l’avait dévoyé. La pièce s’appelle Lebensraum (Espace vital). Elle bouleversa de nombreux spectateurs et anima bien des débats. Aujourd’hui qu’une chancelière invite, pour des raisons économiques, les migrants du monde à venir s’installer en Allemagne, on pourrait penser que les tensions racistes n’existent plus, que les peuples ont tiré des leçons de l’histoire, et que les puissants veillent au le bonheur de l’humanité. Il n’en est rien. L’Histoire bégaie. Et le « jamais plus ! » reste un vain mot.
La compagnie Hercub pour qui la pièce avait été écrite et qui l’avait créée à Avignon reprend Espace Vital. Sylvie Rolland, Michel Burstin et Bruno Rochette ont répondu à l’urgence de l’actualité. Ils ont revu leur adaptation, remanié le langage (en particulier celui des jeunes). Ils ont ajouté quelques allusions aux événements qui nous crucifient. Ils ont modifié le décor, (Pierre-Yves Boutrand et Nieves Salzmann). Mais ils ont gardé intacte la dénonciation de cette incapacité des hommes à vivre en frères. Ils évoluent comme en 1997 avec un talent inouï, jouant eux-mêmes une cinquantaine de personnages (costumes Élise Guillou), dans une trentaine de lieux (changements à vue), avec des langues et des accents différents. C’est toujours un miracle de fluidité, de justesse, d’intelligence. Les lumières de Stéphane Graillot y contribuent.
Chaque comédien passe du rôle de conteur à celui de personnage. Ils peuvent, à tour de rôles changer de nationalités, d’âges, de personnalités, mais jeune goy ou vieux juif, ouvrier ou chancelier, professeur ou ménagère, chacun est un individu bien défini, avec ses caractéristiques et son histoire. Ils sont drôles ou poignants. Toujours vrais.
Il faut aller les voir, les entendre, afin de redire encore, qu’ayant tous « le sang rouge et les larmes amères », nous ne sommes qu’une seule race : l’humanité.
Photos : © Philippe Cordier
Espace vital (Lebensraum) d’Israël Horovitz Adaptation, mise en scène de Sylvie Rolland, Michel Burstin, Bruno Rochette.
Théâtre du Lucernaire jusqu’au 27 novembre
Du mardi au samedi à 19 h
Dimanche à 15 h
Version 1997 éditée à L’Avant-Scène Théâtre (N°1031/1032)
12:26 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, Histoire, Politique, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, horovitz, hercub', histoire, théâtre du lucernaire | Facebook | | Imprimer
15/10/2015
Un poisson nommé Claude
Grande Monsieur (Marc Lavoine) semble désabusé. Assise sur le même banc, Petit Fille (Géraldine Martineau) l’air effronté, l’accoste, le provoque, éveille sa méfiance, sa colère et finalement sa compassion. Elle dit que ses parents l’ont abandonnée, qu’elle a faim. Il l’invite avec la ferme intention de la ramener chez ses parents. Mais personne ne répond au téléphone. Elle est volubile, il est taciturne. Elle réclame des sucreries, il lui offre une soupe, puis un lit pour la nuit.
Non ce n’est pas ce que vous pouvez imaginer. Pas un soupçon de pédophilie. Pas de sexe, juste deux êtres que la vie a cabossés. Elle, avec son allure androgyne de gamine mal aimée : « ma mère dit que je lui pourris la vie ». Elle s’invente une vie aquatique parce qu’elle respire mal dans sa famille. Lui, solitaire, préfère les hommes et a avalé tant de couleuvres qu’il n’espère plus rien.
Qu’ont-ils en commun ? Un prénom asexué : Claude. Et la perte brutale de leurs parents.
Pourquoi un poisson « belge » ?
La scène se déroule à Bruxelles, c’est-à-dire, aurait ajouté Jarry « nulle part », ou plutôt, partout où deux humains essaient de panser leurs plaies.
Le « poisson » appartient à une légende japonaise sur le deuil, qui lui, est international. Nos deux Claude vont apprendre à pleurer ensemble, rire ensemble et regarder séparément vers l’avenir.
Cette jolie pièce en forme de conte philosophique est signée Léonore Confino mise en scène par Catherine Schaub. On y trouve une délicate poésie, une sensibilité aiguë.
Marc Lavoine qu’on avait déjà vu au cinéma et surtout dans la chanson fait ici d’excellents débuts au théâtre, sa partenaire, la petite Géraldine Martineau a tout d’une grande comédienne.
Et on leur souhaite beaucoup de spectateurs et de récompenses.
Photo : © Christophe Vootz
Le Poisson belge de Léonore Confino
Théâtre de la Pépinière-Opéra à 21 h
Tel : 01 42 61 44 16
14:57 Écrit par Dadumas dans Blog, éducation, humour, Littérature, Poésie, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, poésie, humor, marc lavoine, léonore confino, géraldine martineau | Facebook | | Imprimer