23/09/2014
Tartuffe se porte bien
Tartuffe est de retour sur la scène de la Comédie-Française.
« Il y a des gens qui font collection de Tartuffes » écrivait François-Régis Bastide en 1969. Je commence à être de ces « gens pas tout jeunes » qui se livrent à des comparaisons. Eh ! bien, je vous le dis : voilà un Tartuffe réussi ! Il ne manque pas un jeu de scène, pas un accessoire, un geste de mains, un toucher d’étoffe, une caresse, une toux.
Tartuffe (Michel Vuillermoz), se porte bien. Il n’est ni « gros », ni « gras », mais il a la mine égrillarde, le sourire narquois et le regard coquin. Pour Galin Stoev, qui met en scène la comédie de Molière, plus personne n’est à sa place dans la famille d’Orgon (Didier Sandre). Est-ce depuis la mort de sa femme ? Sa nouvelle épouse, Elmire (Elsa Lepoivre), n’a aucune autorité sur les enfants du premier lit, Mariane (Anna Cervinka), et Damis (Christophe Montenez). Dorine (Cécile Brune) s’est substituée à la mère défunte et tient la dragée haute au maître qui se laisse manipuler par Tartuffe, lequel convoite la femme, la fille et la fortune.
Car Tartuffe est un scélérat. Jouant le dévot, l’hypocrite se fait passer pour un « homme de bien », alors qu’il n’est qu’un « fourbe renommé ». Le frère d’Elmire, Cléante (Serge Bagdassarian), essaie bien d’ouvrir les yeux d’Orgon, de Madame Pernelle (Claude Mathieu), la mère de celui-ci, en vain ! Valère (Nâzim Boudjenah), qui pensait épouser Mariane, est rejeté.
Alban Ho Van, le scénographe construit un espace métaphorique tout en ambiguïté. La « salle basse » est un lieu désordonné, où une double porte bat à jardin, tandis qu’une étroite ouverture gothique découvre un couloir à cour. De grandes baies aèrent l’espace et laissent apercevoir des passages labyrinthiques, de faux miroirs où quelquefois de muets personnages se glissent. Des images fugaces donnent l’impression que la maison est « sur écoutes », surveillée par une puissance occulte. Le K.G. B. dissimulerait-il des micros dans les murs ? À moins que ce ne soit l’Opus Dei ?
L’étrangeté est encore renforcée par les sonorités en échos (Sacha Carlson), les lumières (Elsa Revol) qui jouent avec la pénombre, les éclairs, les pleins feux et par les costumes de Bjanka Adzic Ursulov, qui mêlent les époques et les espaces. Et, quand, à l’acte final M. Loyal (Michel Favory) se présente en uniforme soviétique, quel pouvoir incarne-t-il ? Quand Laurent (Valentin Rolland), habillé de noir jusqu’alors, se transfigure en Exempt, tout blanc de la tête aux pieds, est-il le garant de la Justice ? L’ange de Théorème de Pasolini ? Et ses comparses aux allures militaires (Claire Boust, Ewen Crovella, Thomas Guené), masqués de grosses têtes carnavalesques aux traits de Tartuffe, de quel message sont-ils porteurs ?
Ces questions sans réponse troublent le spectateur et c’est ce que souhaite le metteur en scène et probablement ce que voulait Molière.
L’auteur est bien servi. Michel Vuillermoz est démoniaque sous un sourire affable. Il plonge avec volupté la main dans le corsage de Dorine, et se déshabille sans vergogne pour baiser Elmire à qui Elsa Lepoivre donne des larmes de rage, et un maintien élégant et superbe. Orgon est littéralement « hébété » par son Tartuffe, puis effrayé par la traîtrise qu’il découvre. Cécile Brune fait de Dorine une suivante plus qu’une servante, une admirable maîtresse femme clairvoyante, sincère. Elle ironise avec brio, tant dans les scènes avec Orgon que dans celle du dépit amoureux où Nâzim Boudjenah, tremble de colère et Anna Cervinka de désespoir. Serge Bagdassarian est un Cléante apaisant, mais obstiné dans ses leçons, Christophe Montenez un jouvenceau sensible. N’oublions pas Michel Favory en huissier de justice qui se montre scrupuleux, calme et presque sympathique.
Ce Tartuffe-là aura une place de choix dans ma collection.
Photo © Christophe Raynaud de Lage
Tartuffe de Molière
Mise en scène de Galin Stoev
Comédie-Française, salle Richelieu
0825 10 1680
jusqu’au 17 février
18:41 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, comédie-française, littérature, molière, michel vuillermoz, serge bagdassarian, elsa lepoivre | Facebook | | Imprimer
26/05/2014
Molière, toujours…
La conférencière (Françoise Thyrion) connaît tout de Molière. Non contente de dialoguer avec lui depuis ses années d’études, la voilà qui déraille et qui s’identifie à lui ! Ce n’est plus « Molière, sa vie, son œuvre » mais Molière par elle-même. « Simple question de réincarnation » ? Ou passion ?
En une heure Françoise Thyrion, de rouge vêtue (caraco, gilet, jupe et culotte) nous invite à un itinéraire « Jean-Baptiste » plaisant et instructif. Il ne manque ni les origines de Jean-Baptiste Poquelin, ni ses amours, ni ses désillusions, ni ses œuvres, ni les œuvres de ses commentateurs. Et si elle refuse de raconter sa mort, c’est qu’il est toujours vivant.
Ce devait être un monologue, mais le personnage qu’elle joue est double. Molière la poursuit, la bouscule, la contredit.
C’est incroyable ce qu’on peut faire de chemin avec un sac, c’est fou ce qu’on peut raconter avec une valise, une table et une chaise. C’est merveilleux d’être ainsi « habitée ! »
Elle/Il ne joue que le mardi, allez la/le retrouver ! Et emmenez-y les candidats au bac, la représentation leur est indispensable !
Molière par elle-mêmede Françoise Thyrion
Mise en scène de Michel Valmer
Théâtre de Poche-Montparnasse
Les mardis 27 mai, 3, 10, 17, et 24 juin à 19 h
01 45 44 50 21
16:41 Écrit par Dadumas dans Blog, éducation, Histoire, humour, Littérature, Livre, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, poche-montparnasse, molière, françoise thyrion | Facebook | | Imprimer
19/04/2014
L’Homme à la cravate verte
Alceste (Loïc Corbery), est intransigeant, impatient. Il ne pardonne aucune complaisance, s’insurge contre la lâcheté de ses contemporains, dans lesquels il ne voit que « fourberies », « cœurs corrompus », « infâmes », et même son ami Philinte (Éric Ruf), n’échappe pas à ses critiques. Philinte au contraire, est indulgent et se rit de la hargne d’Alceste. Mieux, il tente de réconcilier les parties quand les emportements de son ami entraînent des brouilles menaçantes. Toujours souriant, il tente de le mettre en face de ses contradictions. Car enfin, ce jeune homme, si prompt à critiquer, si « intraitable » n’est-il pas amoureux de Célimène (Giorgia Scalliet), une jeune veuve « d’humeur coquette et d’esprit médisant » ? D’elle, rien ne rebute Alceste, car « la raison n’est pas ce qui règle l’amour ».
Et ce matin-là, alors que les volets intérieurs de la demeure de Célimène sont encore clos, les fauteuils couverts de housses, le jour à peine levé (lumières de Bertrand Couderc), les deux amis sont déjà là, guettant le lever de leur reine de cœur, Célimène pour Alceste, et sa cousine éliante (Adeline D’Hermy) pour Philinte. Mais seuls les serviteurs (Heidi-Eva Clavier, Lola Felouzis, Pauline Tricot, Gabriel Tur) vaquent en silence dans la maison endormie.
La scénographie d’Éric Ruf dessine un salon au pied de deux escaliers distincts qui montent vers les appartements des dames. Un seul escalier venant d’un rez-de-chaussée invisible, conduit les visiteurs au salon. Alceste va et vient, joue quelques mesures au piano (Musique Pascal Sangla).
Tout irrite Alceste, tandis que Philinte, bon enfant, cherche à l’apaiser. L’arrivée d’Oronte (Serge Bagdassarian) va jeter Alceste dans ses indignations. Et la journée qu’il va vivre le mènera au désespoir.
Basque (Yves Gasc) introduit les petits marquis qui hantent la demeure, Acaste (Louis Arène), Clitandre (Benjamin Laverne), et Alceste va devoir supporter que Célimène papillonne avec eux. Il va subir Arsinoé (Florence Viala) qui calomnie sa belle, éliante qui la défend, les gardes (Matëj Hofmann, Paul Mc Aleer) qu’on lui envoie, son valet Du Bois (Gilles David), qui l’oblige à quitter les lieux. Tous semblent ligués contre lui et il hait « tous les hommes. ».
Clément Hervieu-Léger, qui met en scène, a brillamment saisi ce tourbillon incessant qui emporte Alceste et décuple sa misanthropie. On sera peut-être déconcerté par les costumes contemporains dans lesquels « l’homme aux rubans verts » n’a de vert que l’étroite cravate qu’il arbore et les reflets satinés de la doublure de son imperméable, mais on sera sensible au changement de toilette de Célimène qui quitte son deuil sombre pour parader dans la robe rouge vif qu’on vient de lui livrer (costumes de Caroline De Vivaise).
Et ce qui est tout à fait convaincant, c’est ce duo d’un Loïc Corbery aux fureurs adolescentes avec un Éric Ruf, très grand frère protecteur, rieur, bienveillant.
Enfin, lorsque, tous ses adulateurs l’ont abandonnée, Célimène s’est retranchée, seule, dans sa chambre. Son salon est déserté, Philinte a suivi éliante dans ses appartements. Alors, un des serviteurs égrène sur le piano la romance favorite d’Alceste. Et Célimène rouvre sa porte, un instant, le temps de s’apercevoir de son erreur, comme si elle avait espéré le retour de celui qui avait « le bonheur de savoir (qu’il) était aimé. »
C’est à ces détails-là qu’on reconnaît la grande sensibilité d’un metteur en scène.
Photo © Brigitte Enguérand
Le Misanthrope de Molière
Comédie-Française, salle richelieu
0825 10 16 80
jusqu’au 17 juillet
17:09 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, comédie-française, molière, misanthrope, loïc corbery, eric ruf | Facebook | | Imprimer