22/09/2014
Aveux amers
Emma (Léonie Simaga) et Jerry (Laurent Stocker) se sont aimés. Leur liaison a duré sept ans. Ils ont rompu deux ans auparavant et voici qu’ils se rencontrent dans un bar pour évoquer le passé et parler du présent. Emma apprend à Jerry qu’elle divorce. Que la nuit précédente elle a tout révélé à son mari, Robert (Denis Podalydès) qui la trompait depuis longtemps. Mais pourquoi a-t-elle fait des aveux maintenant alors que tout est fini depuis longtemps ? Que pendant sept ans personne n’a jamais rien soupçonné ?
Jerry est très ennuyé. Robert est son meilleur ami. Ils jouent ensemble au squash, se voient régulièrement, et en tant qu’éditeurs se partagent les mêmes « poulains ». Il a toujours été discret. Robert ne peut pas avoir soupçonné quoi que ce soit. Et pourtant… Les aveux sont amers.
La situation serait banale si Harold Pinter ne rompait pas la linéarité du récit. Il remonte le temps, reconstruit et déconstruit la relation, cherche les points de rupture, ligature les ruptures, analyse d’infinis détails. Et peu à peu, le spectateur devient témoin des trahisons, complice des mensonges. Chaque comédien a pénétré son rôle avec une intelligence délicate. Perfection chez tous, même dans le petit rôle du garçon de café (Christian Gonon).
Trahisons est une comédie subtile, ironique, réaliste et métaphorique. La mise en scène de Frédéric Bélier-Garcia est ingénieuse avec ses panneaux coulissants (décor de Jacques Gabel) qui dissimulent ou dévoilent les profondeurs de la scène, mémoire aussi infidèle que les protagonistes. Les lumières de Jacques Gabel déguisent le réel ou l’exhibent. Les changements à vue donnent au récit une fluidité qui ne rompt jamais le charme.
Une merveilleuse soirée !
Photo : © Cosimo Mirco Magliocca
Trahisons d’Harold Pinter
Texte français de Éric Kahane
Théâtre du Vieux-Colombier
jusqu’au 26 octobre
Mardi à 19 h,
Mercredi au samedi, 20 h
Dimanche, 16 h
01 44 39 87 00/01
17:24 Écrit par Dadumas dans Blog, humour, Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, comédie-française, pinter, vieux-colombier | Facebook | | Imprimer
18/09/2014
Tout est possible !
Finies les saignées ! Terminés les lavements ! La médecine moderne est branchée. Et le malade imaginaire du XXIe prend ses ordonnances sur Internet, investit sa fortune dans les start-up médicamenteuses, et, comme au XVIIe, devient la proie de tous les charlatans…
Partant de ce postulat, Jean-Louis Bauer et Philippe Adrien vont laisser galoper leur fantaisie et transformer la comédie de Molière en farce déchaînée : La Grande Nouvelle.
Notre Argan (Patrick Paroux), vient d’apprendre « une grande nouvelle », l’homme pourra « vivre jusqu’à mille ans ! ». Il y croit, il y est préparé. Dans sa maison régie par une domotique capricieuse, Argan embauche un factotum, Antoine (Pierre Lefebvre) qui se révèle fort en informatique, capable aussi bien de déboucher les toilettes que de repeindre les murs, de court-circuiter l’ensemble afin de freiner les volontés du maître.
Antoine est en réalité un ami de Charly (Arno Chevrier), amant d’Angèle (Lison Pennec), fille d’Argan, dans laquelle vous avez reconnu… le personnage d’Angélique, la fille à marier de la pièce de Molière et dans Antoine, l’impétueuse Toinette.
Béline, la seconde femme d’Argan est devenue Aline (Nathalie Mann). Elle sort d’une chirurgie lourde accompagnée d’un psy coach (Jen-Charles Delaume qui joue aussi Thomas Dupont alias Diafoirus chez Molière). Ce dernier doit « encadrer et dynamiser le processus de son nouveau schéma corporel ». On comprend vite qu’elle ne s’est pas contentée de refaire « les seins et les tétons », mais qu’elle est aussi passée « d’un genre à l’autre ». Car aujourd’hui, « il y a des opérations pour tout. »
Marc, le frère d’Argan, (Jean-Marie Galey qui joue aussi Dupont père) médecin lui-même, est atteint d’un « crabe » sournois qui lui laisse peu d’années à vivre, et il ne croit pas aux miracles. Pourtant, avec l’aide d’Antoine déguisé en prêtresse du vaudou, avec la volonté amoureuse d’Angèle, les miracles de la technologie et la naïveté d’Argan, tout se termine bien, personne n’est ruiné, et Angèle se fera obstétricienne, car « tout est possible ! »…
La démesure étant le propre de la farce, Philippe Adrien et Jean-Louis Bauer utilisent toutes les informations que les découvertes scientifiques et techniques autorisent. La scène, lieu des conflits, devient aussi l’espace de toutes les divagations. Dans un décor de Jean Haas, les vidéos d’Olivier Roset convoquent des monstruosités délirantes.
À l’écran, les prestations de Dominique Boissel, Nadège Gbouhouri, Dominique Gould, Ylin Yang, Maxime Lefrançois déclenchent des rires libérateurs. Les costumes de Cidalia Da Costa jouent ironiquement avec les couleurs. Musique et son (Stéphanie Gibert), chant (DomPaulin), mouvement (Maïmouna Coulibaly) rythment la sarabande des égarements… que les comédiens interprètent avec un sérieux qui brise toutes les réticences. Mention spéciale à Pierre Lefebvre pour la fureur de ses transes. C’est « hénaurme » et on s’amuse… énormément !
« Mille ans », mais, ajoute Argan, « pas pour tout le monde ! » Cependant, La Grande Nouvelle peut être vue et comprise par tous !
Photos : Copyright Antonia Bozzi
La Grand Nouvelle de Jean-Louis Bauer et Philippe Adrien
Mise en scène de Philippe Adrien
d’après Le Malade imaginaire de Molière
Théâtre de La Tempête
Jusqu’au 12 octobre
Du mardi au samedi à 20 h, le dimanche à 16 h
19:01 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, humour, Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, théâtre de la tempête, philippe adrien, jean-louis bauer | Facebook | | Imprimer
10/09/2014
La mémoire qui flanche
L’espace est d’une blancheur clinique. Au centre, un lit immaculé est recouvert d’un drap de soie, à jardin une chaise, à cour un départ d’escalier aux marches translucides (scénographie de Michel Gueldry). Debout, un vieil homme en pyjama, prétend se nommer Antoine D (Philippe Morier-Genoud), et avoir 96 ans. Il répond à un homme plus jeune qui dit s’appeler Didier Forbach (Fabien Orcier), et est en blouse blanche comme la jeune fille qui arrive et dit être Cécile Brest (Géraldine Martineau).
Antoine D a la mémoire qui flanche, il a oublié son nom de famille, « ne se souvient plus très bien » de son âge, ni de celui de ses enfants, n’a « aucune idée » d’où il vient, mais connaît par cœur les dates et les noms de l’Histoire, retient très bien les informations que lui donne Didier et discute point par point avec Cécile.
On comprend vite qu’il n’y a aucune démence sénile ici, mais une amnésie volontaire dans laquelle le vieillard s’est confortablement installé. L’attitude des deux « soignants » nous en convainc. Que veulent-ils démontrer par leur « méthode » brutale et hasardeuse ? Qui sont-ils ?
Avec Je ne me souviens plus très bien Gérard Watkins a écrit une fable en forme de procès, où les temps sont déconstruits, et où les souvenirs se télescopent. Cet « interrogatoire au carrefour de la psychanalyse et de la garde-à-vue » est troublant pour le spectateur, car il le ramène à ses propres questionnements et à ses inquiétudes.
L’auteur signe aussi la mise en scène, et la musique. Il souligne les plongées dans la mémoire avec des projections d’images en noir et blanc : actualités guerrières, images de fraternité virile, représentations d’un passé choisi qui ne peut s’effacer. Philippe Morier-Genoud montre la fragilité du grand âge, mais fait vriller un regard moqueur face à Géraldine Martineau, et Fabien Orcier qui jouent avec la gravité de ceux qui pourchassent la vérité, l’erreur et l’injustice.
Ce théâtre-là risque de perturber, et c’est, je pense ce que souhaite Watkins.
Je ne me souviens plus très bien de Gérard Watkins
Théâtre du Rond-Point
Jusqu’au 5 octobre 2014, 20h30
17:00 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, théâtre du rond-point, gérard watkins | Facebook | | Imprimer