21/02/2015
Les qualités d’un valet
Richard (Adrien Melin) et Sally (Alexie Ribes) attendent Tony (Xavier Lafitte) qui vient de rentrer en Angleterre après avoir passé cinq ans en Afrique. Il vient d’hériter de son père. La maison est tellement sinistre, que son ami Richard la compare à une morgue (Décor, Sophie Jacob). Mais heureusement, Tony embauche Barrett (Maxime d’Aboville)qui sait tout faire. Cuisine, ménage, décoration, tout est sous sa « responsabilité ». Une perle qui ne voulant pas payer d’impôt, se contente d’un salaire modeste ! Et les qualités du valet compensent la mollesse du maître qui s’est juste donné la peine d’hériter !
Mais très vite Sally, qui est amoureuse de Tony, entre en conflit avec ce valet. C’est d’abord, juste un malaise à propos d’un bouquet d’iris qu’il laisse dans l’entrée, puis elle se rend compte que le parfait serviteur « exploite la faiblesse » du maître. Bientôt, Tony engage, sur les recommandations de Barrett, une jeune employée de maison, Véra (Roxane Bret) afin que son valet ait moins de travail. Et quand Richard suggère à son ami de se séparer de Barrett, Tony prétend que celui-ci le « protège contre ce monde froid et brutal ». Enfin Véra, provocante, aguicheuse, voulant « être aimée comme tout le monde », se glisse dans le lit de Tony alors qu’elle roule déjà dans celui de Barrett.
Que voulez-vous qu’il advienne ? Dans cette atmosphère trouble éclairée par les lumières de Jacques Rouveyrollis, les situations ambiguës se dégradent, la lumière monte avec les tensions. Surpris dans leurs ébats sexuels, Véra et Barrett doivent quitter les lieux. Mais la trêve dure peu. Tony ne peut se passer de Barret et accepte tout. Barrett revient, avec une nouvelle fille Kelly (Roxane Bret), plus vulgaire que la précédente. Tony accepte de partager avec son valet, le lit, la table, les jeux, les mots croisés, tout…
L’auteur, Robin Maugham, noue des fils démoniaques impossibles à rompre. Peu à peu s’installent des sentiments pervers. On boit beaucoup, et le metteur en scène, Thierry Harcourt, guide avec flegme ses interprètes vers le désordre et la déchéance. Les costumes de Jean-Daniel Vuillermoz évoquent la fin des années 50, la bande son de Camille Urvoy recrée une atmosphère jazzy de ces années-là. L’insouciance s’estompe dans l’inquiétude, puis le dégoût. Le trio élégant du début a disparu. L’ami dévoué, Richard, après une dernière tentative, renonce à sauver Tony de l’abime où il a choisi de s’enfoncer. « Oublie-moi », dit Tony, sourire froid, regard indifférent, impatient de rejoindre ses acolytes pour l’infernale triangularité. Il reste seul en scène comme envouté par l’appel de ses complices.
Ainsi Faust fut perdu par Méphisto, ainsi Othello fut ruiné par Iago, ainsi s’égarent les âmes faibles… On en connaît encore aujourd’hui.
Photo : © Brigitte Enguerand
The Servant de Robin Maugham
Traduction de Laurent Sillan
Mise en scène de Thierry Harcourt
Théâtre Poche-Montparnasse
Du mardi au samedi 19 h, dimanche 17 h 30
01 45 44 50 21
00:15 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, Film, Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, poche-montparnasse; robin maugham, thierry harcourt. | Facebook | | Imprimer
11/02/2015
Fin d'été à la campagne
Comme tous les étés, Bassov l’avocat (Hervé Pierre) a loué une grande datcha, pour sa famille, sa femme Warwara (Sylvia Bergé), sa sœur Calérie (Anne Kessler), son jeune beau-frère Vlas (Loïc Corbery).
Il y reçoit ses amis, l’écrivain Chalimov (Samuel Labarthe) en panne d’inspiration, et le propriétaire Rioumine (Alexandre Pavloff) secrètement amoureux de Warwara. Les Doudakov, Cyrille (Michel Favory) et sa femme Olga Doudakov (Martine Chevallier) ont loué, à proximité une plus petite datcha. On y reçoit aussi les Souslov, Piotr (Thierry Hancisse), sa femme Youlia (Céline Samie), qui flirte effrontément avec Nicolas (Pierre Hancisse). Leur oncle Doublepoint (Bruno Raffaelli), riche rentier, trouve cette bande de gens ennuyeux, mais par désoeuvrement, les fréquente assidûment. La saison estivale s’écoule lentement, entre « bavardages insupportables », pique-niques très arrosés, médisances, et « jérémiades » de ces petits-bourgeois et les commentaires fielleux des gardes (Christian Blanc et Jacques Connort). Mais Maria Lwovna (Clotilde de Bayser) doctoresse, par ses questionnements directs, sa sincérité, son attitude libre va briser les tabous.
Gérard Desarthe met en scène Les Estivants de Gorki, dans un espace ouvert planté de bouleaux (scénographie de Lucio Fanti) dont l’écorce dessine des figures humaines. Vlas ne déclare-t-il pas : « Mon père, un jour, a été un arbre » ? Et tous les ancêtres de cette terre ne surveillent-ils pas leurs descendants pusillanimes qui savent seulement se plaindre et jamais construire ? Ils sont tous prisonniers de leur veulerie, alors qu’il suffirait de vouloir pour changer leur monde. Leurs contradictions éclatent. Le mobilier de jardin est rouge, comme les praticables, sur lesquels à l’acte I on dit des vers ou joue du piano, et à l’acte II trône un bureau encombré de dossiers sur lesquels Vlas perd sa jeunesse et ses illusions.
Mais pour agir, il faut aimer. Et c’est Maria Lwovna qui, en aimant le jeune Vlas, bouscule cette petite société repliée sur elle-même. Alors, les hommes comme Bassov, Souslov, Doudakov, Chalimov, apparaissent plus triviaux, imbus de leur virilité, misogynes et solidaires,"des porcs", regroupés côté jardin, tandis que Warwara, Maria, Calérie s’en éloignent, côté cour, choisissant de les quitter pour s’engager dans des œuvres positives. L'été s'achève, et avec Vlas et Doublepoint, elles vont donner un sens à leur vie.
La mise en scène de Gérard Desarthe éclaire l’œuvre et la magnifie. Les comédiens, dans le décor poétique, les costumes seyants (Delphine Brouard), interprètent avec une grande maîtrise des personnages ambivalents aux émotions intenses.
Une belle réussite !
Photo :© Cosimo Mirco Magliocca
Les Estivants d’après Maxime Gorki
Version scénique de Peter Stein et Botho Strauss
Version française de Michel Dubois et Claude Yersin
Mise en scène de Gérard Desarthe
Comédie-Française, salle Richelieu
0825 10 13680
15:46 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, Littérature, Poésie, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, comédie-française, gorki, les estivants | Facebook | | Imprimer
08/02/2015
« Deux femmes vêtues de deuil »
La reine Marie (Cristiana Reali), fille d’Henri VIII et de Catherine d’Aragon est restée dans l’Histoire d’Angleterre sous le surnom de Bloody Mary. Qu’on juge donc de sa popularité ! Dans une nation déchirée par des guerres de religions, elle dut lutter contre des féodaux orgueilleux de leurs prérogatives, se défendre des accusations de bâtardise dans sa filiation, et accepter qu’on négocie son mariage comme une alliance politique et stratégique avec Philippe II d’Espagne. Pas question de romance, encore moins d’amour.
Or dans Marie Tudor, il est surtout question d’amour car Victor Hugo voit la Reine jeune et ardente. Passionnément éprise d’un aventurier napolitain, Fabiano Fabiani (Jean-Philippe Ricci) elle est aussi une femme trahie qui souffre. Simon Renard (Régis Laroche ou Pierre-Alain Leleu), légat du roi d’Espagne va se charger de démasquer le favori. Il a pour lui la cour et ses lords méprisants envers l’étranger, (Anatole de Bodinat, Stanislas Perrin, Pierre Estorges, Robin Goupil, Valentin Fruitier, Thomas Gendronneau) : « Quelle fête dans Londres, le jour de sa chute ! »
Et il a un autre atout dans son jeu. Il vient de découvrir que Fabiano Fabiani a séduit Jane (Jade Fortineau), une jeune orpheline que Gilbert (Philippe Calvario ou Benjamin Guillet), ouvrier ciseleur avait recueillie enfant et qu’il allait épouser. Simon Renard apprend aussi que Jane est l’héritière de Lord Talbot dont les biens ont été confisqués par le feu roi, et que Marie a distribués à… Fabiani. Gilbert soupçonne Jane de l’aimer moins. Elle ne répond à ses : « M’aimes-tu ? » que par de la « reconnaissance », alors que lui importe ce leitmotiv hugolien : « être aimé ». Mais leur ami Joshua (Jean-Claude Jay), porte-clés à la Tour de Londres, semble veiller sur leur bonheur.
La « première journée » se passe dans un extérieur nocturne propice aux assassinats, près du pont de Londres où les protagonistes épient le traître Fabiani car « C’est la nuit que se défont les favoris des reines. » La scénographie d’Alain Lagarde cloisonne la scène de panneaux transparents propices aux reflets et aux ombres et joue avec les entrées de la salle. On y voit Fabiani en suborneur infâme et en criminel cynique. Les costumes sombres jouent sur l’atemporalité. Le drame est noué. Gilbert, mis au courant de la trahison, promet sa vie à Simon Renard.
Puis apparaît Marie, dans l’intimité de sa chambre, royale dans sa robe de lamé or. Et c’est un éblouissement. Cristiana Reali est une Marie Tudor tour à tour sensuelle, noble, mutine, hautaine : « Qui es-tu, malheureuse créature, pour qu’une Reine s’occupe de toi ? », jalouse et perfide, « Nous autres pauvres femmes, nous ne savons jamais au juste ce qui se passe dans le cœur d’un homme ; nous sommes obligées d’en croire vos yeux, et les plus beaux, Fabiano, sont quelquefois les plus menteurs. Mais dans les tiens, mylord, il y a tant de loyauté, tant de candeur, tant de bonne foi, qu’ils ne peuvent mentir ceux-là, n’est-ce pas ? ». Elle sait être rieuse, cynique : « Si tu n’as pas de preuves, nous en ferons ! », lucide, « Tu es comme moi, tu résistes à toutes les preuves » dit-elle à Gilbert. Elle sait que son Fabiano, « trahis l’une et renie l’autre », et se montre déterminée : « Je veux qu’on ait peur, entends-tu, mylord ? Qu’on trouve cela splendide, effroyable et magnifique, et qu’on dise : c’est une femme qui a été outragée, mais c’est une reine qui se venge ! »
Mais elle hésite encore trois semaines et finalement fantasque, décide de le faire évader. Il est vrai que « le cœur de la femme est une énigme » douloureuse : « Devant l’échafaud, plus de jalousie, rien que l’amour… ». La flamboyante Marie et la douce Jane ne sont plus que « deux femmes vêtues de deuil dans un tombeau », autour desquelles gravite une horde de mâles qui réclament vengeance.
Si vous n’avez jamais assisté à Marie Tudor, c’est par celle, mise en scène par Philippe Calvario qu’il faut commencer. Le drame romantique s’y inscrit tout entier…
Photos :© Florian Fromentin
Marie Tudor de Victor Hugo
Théâtre de la Pépinière
Du mardi au samedi à 21 h, samedi à 16 h
01 42 61 44 16
14:16 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, Histoire, Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, théâtre de la pépinière, victor hugo, cristiana reali, philippe calvario, jean-claude jay | Facebook | | Imprimer