05/07/2014
Un assassin si doué…
Pierre-François Lacenaire ? Nous le connaissions grâce aux Enfants du paradis, de Marcel Carné, film dans lequel Jacques Prévert, lui prête ces propos :
- Lacenaire : Oui, j’ai réussi quelques méfaits assez retentissants, et le nom de Lacenaire a défrayé plus d’une fois la chronique judiciaire.
- Garance (ironique) : Mais c’est la gloire, Pierre-François !
- Lacenaire : Oui, ça commence. Mais à la réflexion j’aurais tout de même préféré une éclatante réussite littéraire.
À défaut de connaître le succès par ses œuvres dramatiques ou littéraires, Pierre-François fit « de sa vie une œuvre ». Dans Lacenaire, Yvon Bregeon et Franck Desmedt ressuscitent le personnage qui se disait « assassin par vocation », en s’inspirant de ses Mémoires, révélations et poésies, écrits par lui-même à la Conciergerie » et publiés dès 1836.
On sait qu’il eut de longues conversations avec François-Vincent Raspail à la Force et que le jeune républicain se passionna pour Lacenaire qui « avait déclaré la guerre à la société ». Lacenaire était poète, dramaturge, voleur et criminel.
Un assassin si doué pour le verbe, dérange et séduit. Il réclame la peine de mort, blasphème, méprise le bourgeois, vante la délinquance, ne respecte ni curé, ni père, ni mère, ni philosophe illustre, et récuse toute autorité.
Son procès fut un véritable spectacle. Après son exécution, en janvier 1836, Sa redingote bleue fut achetée comme une relique. Il a exercé une fascination étrange sur ses contemporains. Il a inspiré Gautier, Lautréamont, Stendhal, Dostoïevski, Baudelaire et plus près de nous, André Breton, René Char, Michel Foucault et Guy Debord.
Yvon Bregeon et Franck Desmedt lui redonnent la parole. Franck Desmedt, qui met aussi en scène, incarne un Lacenaire brillant et incisif. Il a le charme ambigu, le maintien élégant de la « criminelle aristocratie ». En face de lui, Frédéric Kneipp, avec un brio superbe, sera Avril, l’acolyte, qui lui, semait des constellations de fautes d’orthographe. Puis, on le retrouve en avocat, puis en procureur, et comme les auteurs ont enfin décrypté le M*** énigmatique des Mémoires, il sera …Mérimée qui promet : « Mes amis et moi ferons (tout) pour vous relever à vos propres yeux et vous faire rentrer dans la société »[1] mais se contente d’un Discours sur le vertu à l’Académie-Française. Ce discours encadre habilement les scènes à deux qui relatent les méfaits de Pierre-François et soutiennent sa dialectique.
Sur l’étroite scène, on déplace, on entasse des éléments de décor, des fûts de colonnes, blanches et noires comme chez Buren. Tout se joue en duo serré, dans une langue riche, raffinée, celle d’une France romantique et révolutionnaire, glorifiant ce « beau langage » qui était celui que Jouvet préconisait pour le Théâtre.
Lacenaire peut servir d’exemple. Et la pièce se joue tout l’été avec deux comédiens magnifiques[2].
Lacenaire, faire de sa vie une œuvre, de Yvon Bregeon et Franck Desmedt
Théâtre de la Huchette
Du mardi au samedi à 21 h
Jusqu’au 31 août
01 43 26 38 99
Photos : © Lot
Lacenaire, faire de sa vie une œuvre, de Yvon Bregeon et Franck Desmedt
Théâtre de la Huchette
01 43 26 38 99
Du mardi au samedi à 21 h
Jusqu’au 31 août
17:42 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, Film, Histoire, Littérature, Livre, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, théâtre de la huchette, histoire | Facebook | | Imprimer
27/06/2014
Amour et guerre
Ils se sont aimés, mais dix-sept ans de vie commune ont usé leur passion. Ils ne se supportent plus. Les reproches pleuvent. Elle (Rachel André) veut avoir raison et elle soutient des inepties avec une mauvaise foi péremptoire. Lui (Benjamin Tholozan), exaspéré, l’étranglerait volontiers. Ils s’insultent, et même si leur corps à corps dégénère en étreinte, on craint qu’il ne la tue. Car entre eux, c’est la guerre. Eugène Ionesco peint les mesquineries et les outrances d'un couple en conflit.
Benjamin Tholozan a l’œil hagard du guerrier prêt à toutes les exactions et Rachel André, chemise rouge (costumes : Manuela André), chevelure ébouriffée ressemble à la panthère qui va bondir sur sa proie. Et soudain, dehors, une autre guerre commence. On entend des détonations, des crépitements, des déflagrations (création sonore : Julien Cousset). « Ils attaquent à la grenade », « Ils sont sur le palier ».
Qui, "ils" ? Nous ne le saurons jamais. Le conflit extérieur fait écho au conflit intime. Il l’amplifie, et s’en nourrit. Au « délire à deux » répond l’émeute, peut-être la guerre civile et pourquoi pas la guerre mondiale !
Le décor se disloque (scénographie de Xavier Lescat), les vitres volent en éclat, les portes battent, les murs s’effondrent. Des objets tombent du plafond. Toute leur intimité est violée. La peur va-t-elle les réconcilier ?
À peine !
« Profites-en pour t’inventer une autre existence » lui conseille-t-elle. Et aussitôt que la « paix est déclarée », ils recommencent à s’insulter.
La haine les cimente, et les rancoeurs leur tiennent lieu de pitance. Certains couples naviguent ainsi sur fond d’orage.
Rachel André qui met aussi en scène, est d’une fidélité exemplaire à Ionesco. Mouvement et bruit vont crescendo, decrescendo dans des querelles hallucinées. La cruauté s’égare, la raison divague.
Ce Délire à deux, c’est le monde tel qu’il va.
Photos : © Laura Todié.
Délire à deux d’Eugène Ionesco
Théâtre du Lucernaire
Du 23 juin au 27 septembre à 18 h 30
Du mardi au samedi à 18h30
Relâche exceptionnelle le samedi 23 août 2014
01 45 44 57 34 - www.lucernaire.fr
17:38 Écrit par Dadumas dans Blog, humour, langue, Littérature, Livre, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, lucernaire, ionesco, rachel andré | Facebook | | Imprimer
23/06/2014
Quand Stéphanie fait merveille...
En juin, chaque année, à Versailles, le Potager du Roi accueille les grands et petits conviés à un spectacle-promenade à travers les rangées de pommiers rares, de poiriers classés, et les arbustes rougeoyants : framboisiers et groseilliers. Louis XIV avait fait transformer ce marais en jardins pour sa plus grande gloire bien sûr, pour le régal de ses papilles, et pour offrir à tous une vision théâtrale de ses cultures.
Aujourd’hui, depuis onze ans, au moment du « mois Molière », la culture s’empare du potager, inspire le « grand carré », et réjouit les « chambres ». Les manants de tous âges sont admis à s’asseoir sur l’herbe, ou sur les cageots de bois. Ils grimpent des escaliers centenaires, empruntent des passages ombreux, baissent la tête dans des corridors enterrés et, conduits par les comédiens de « Phénomène et Compagnie », partagent sous la houlette de Stéphanie Tesson, un moment historique.
Le thème change chaque année, et en 2014, ils ont suivi le personnage d’Alice. Stéphanie Tesson a imaginé d’autres aventures pour Alice, la fillette d’Alice au pays des merveilles[1].Il y eut Alice à l’envers, les 1er et 8 juin, et Alice et les Merveilles les 15 et 22 juin.
Et Stéphanie a fait… merveille.
Son Alice (Pauline Belle) est une jeune personne volontaire et les rebuffades d’un guide (Thomas Volatier) imbu de son autorité ne vont pas la rebuter. Elle est venue voir les merveilles qu’on lui a vantées. Elle les verra. Son obstination tire de l’immobilité la statue du Doryphore (Jean-Christophe Lecomte), un grand gaillard qui s’exprime avec un fort accent germanique et qui épouvante le guide. Elle rencontrera ensuite le Lapin-Fromage (Benjamin Broux), affairé, étourdi et tellement méfiant que déjà, les enfants-spectateurs ont compris qu’il fallait protéger la pauvre Alice des accusations que le Guide et ce personnage bizarre portaient contre elle.
Dans sa quête, elle croise une aimable personne le Temps perdu (Valentine Atlan) occupée à compter les nuages,un curieux couple, le Bouleau (Léonard Matton), repoussant le Lierre (Diane de Segonzac) qui s’accroche à lui. Et quand la Voix des Merveilles (Emmanuelle Huteau) la guidera vers la Reine des Merveilles (Isabelle Mentre), le secret lui sera révélé : « Une Merveille, ce n’est pas elle qui l’est, c’est le regard qui la fait. »
Ajoutons que pour créer les merveilles il faut aussi le texte bucolique, amusant et charmeur de Stéphanie Tesson, des comédiens aguerris, les costumes poétiques de Corinne Page, les peintures et objets féeriques de Marguerite Danguy des Déserts, les maquillages d’Anne Caramagnol, et, pour décor le jardin de La Quintinie.
Mais si vous voulez les retrouver, il faudra attendre juin 2015… À moins que vous n’ayez la possibilité de les inviter dans d’autres jardins, qu’ils puissent se promener dans d’autres allées, parcourir d’autres terres d’aventures…
photos : © D.D.
www.phenomene-cie.fr
[1]Alice's Adventures in Wonderland, de Lewis Carroll, traduit par Alice au pays des merveilles, de Lewis Carroll
15:06 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, Histoire, humour, Jeux, Littérature, Poésie, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, potager du roi à versailles, phénomène et compagnie, poésie, jeunesse | Facebook | | Imprimer