08/03/2008
Un monde sans fin
Nous avions déjà rendu compte de Juste la fin du monde la pièce de Jean-Luc Lagarce (Novembre 2007). La Comédie-Française vient de l’inscrire à son répertoire. C’est une consécration, et une consécration juste, parce que cette pièce nous touche au plus profond de l'intime, non seulement ici et maintenant, mais ailleurs et dans tous les temps. Il y est question de la mort et des liens familiaux.
Juste la fin du monde, rappelons-le, est, avant Le Pays lointain, une histoire largement autobiographique. Louis, revient dans sa famille pour lui annoncer qu’il va mourir. Mais il repartira sans rien dire. Il l'avait quittée « pour faire ce qu'il avait à faire ». Pendant ses années d’absence, il s'est contenté d'envoyer des cartes postales, de « petits mots », des « phrases elliptiques ». On ne peut pas lui « reprocher (son) absence ». Il n'a jamais oublié « les dates essentielles de (leurs) vies ». Eux, de leur côté ont donné son prénom au fils de son frère.
Les vivants sont tous là : la mère (Catherine Ferran), Suzanne, la petite sœur (Julie Sicard), le benjamin, Antoine (Laurent Stocker) et son épouse Catherine (Elsa Lepoivre). Ils attendent Louis (Pierre Louis Calixte) avec ferveur et anxiété. Ils se doutent bien qu'il a « une nouvelle importante » à leur dire. Mais puisqu'il dit « je vais bien », ils ne l'interrogeront pas plus avant. Pourtant, Antoine soupçonne : « j'espère qu'il ne t'arrive rien de mal », parce qu'il sait que « si tu avais mal, tu ne le dirais pas », parce « le malheur est sur ton visage ».(photo Brigitte Enguérand ; Louis (Pierre Louis Calixte) et Antoine (Laurent Stocker).
Ils se connaissent bien, et leur pudeur, leur respect, est une preuve d'amour. Mais ils sont maladroits. Louis, voudrait croire, comme le roi de Ionesco que "le reste du monde disparaîtra avec" lui. Mais ce monde est sans fin, et il voudrait juste ne pas être trop seul.
Michel Raskine met en scène avec une intelligence inouïe. Comment dire l'intime dans un théâtre à l'italienne ? Comment passer des souvenirs confus de chacun à la précision d'une vérité fluctuante ? Car la vie palpite dans le verbe de Jean-Luc Lagarce. Toute parole dit le frémissement de l'âme avec les balbutiements de la pensée. Chacun énonce, bute sur les mots, cherche l'expression juste, se trompe, et, dans les errements, trace des cercles ondoyants qui enveloppent les êtres de tendresse et de cruauté. Jamais un personnage n'est stable, pris dans le flux et le reflux de situations mouvantes dont il s'arrache et où il glisse de nouveau.
Michel Raskine a donc cherché à modifier la vision du spectateur, à l'inclure dans ce mouvement perpétuel. Il y réussit en restructurant l'espace. Il neutralise les six premiers rangs d'orchestre en y dressant un tréteau central, comme une langue qui pénètre dans le public. On pense au long tréteau sur lequel Vitez avait fait jouer Faust, Britannicus, et Tombeau pour cinq cent mille soldats. Cette estrade est une voie de circulation entre l'intime du spectateur et l'exhibition de l'acteur. Le spectateur devient le confident du comédien. Il est impliqué dans l'action. Le proscénium est scène. Le décor de Stéphane Mathieu, construit un praticable à jardin où chacun trouve une chaise à son nom, comme sur un tournage de film. On a entassé à cour, des chaises houssées, une télé, un poste de radio qui voisinent avec un portrait de Kafka : c'est le domaine de Suzanne qui voudrait bien quitter la maison familiale et s'embarrasse de ses souvenirs. La scène proprement dite, masquée par le rideau de velours rouge, ne s'ouvrira qu'au départ de Louis, à sa mort annoncée.
Du prologue sur le tréteau à l'épilogue du deuil sur la scène, le chemin parcouru inscrit sa trajectoire de la vie à la mort. Et c'est superbe. Grâce à cette architecture, l'univers lagarcien se dessine avec les oscillations des personnages, la progression de leurs sentiments, les pulsations qui les tourmentent. Les lumières de Julien Louisgrand les accompagnent : douche de lumière sur celui qui monologue, poursuite quand les dialogues deviennent disputes, que les sorties se font par la salle, pleins feux sur la salle quand « la fin » de Louis est acquise et qu'il revient pour raconter « encore ». Chaque éclairage cerne le moment qui correspond à un état d'âme. Laurent Ménard cale les intensités au son de l'harmonium et ponctue chaque séquence d'un bruit de couperet. La réussite est flagrante.
Pierre-Louis Calixte impose un Louis ironique et fragile. Il a la jeunesse et la la fragilité du personnage. Il sait passer du sourire narquois aux larmes contenues. Il « triche » avec élégance. Il a le maintien de celui qui se surveille et l'attention d'un fils aimant, d'un frère circonspect. Il est parfait. Laurent Stocker en « mauvais caractère », donne à son personnage irritable et jaloux la justesse du frère rongé d'inquiétude. Julie Sicard est un petit chat sauvage, nerveux, agile, impétueux et câlin, on ne peut plus imaginer Suzanne sans penser à elle. Catherine Ferran joue la mère avec une dignité douloureuse. Elle est l'admirable et puissant rocher qui maintient la famille, et pour laquelle chacun s'efforce de paraître meilleur. Quant à Elsa Lepoivre, qui est Catherine la bru, la femme d'Antoine, on voit tout de suite, à son allure, à son sourire, qu'elle est une pièce rapportée. Elle ne s'emporte pas comme Suzanne, et dans le moment où ils la laissent seule, elle sourit de leurs colères. Faisant diversion, elle chantonne « une chanson douce », puis se laisse aller un instant à monter la voix pour extérioriser un énervement passager. Sereine parmi les teigneux, lumineuse parmi les ténébreux, elle est impériale.
La troupe d'aujourd'hui rayonne de tous ses talents.
Juste la fin du monde de jean-Luc Lagarce
Comédie-Française, salle Richelieu
jusqu'au 1er juillet
0825 10 16 80
11:35 Écrit par Dadumas dans culture, éducation, Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Théâtre, culture, éducation, littérature | Facebook | | Imprimer
01/01/2008
Meilleurs voeux
Après tout ce que certains vous ont promis, vous devez être saturés…
Mais vous n’échapperez pas à mes vœux…
Je vous souhaite une année 2008 pleine de... promesses tenues. C’est déjà le bonheur, non ?
11:25 Écrit par Dadumas dans culture, éducation, Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Théâtre, culture, éducation | Facebook | | Imprimer
04/06/2007
Une belle page d'espérance
Il fallait, sans trahir l’auteur, inventer la dramaturgie pour ces trois actes inachevés,Géraldine Cohen a adapté le texte avec finesse et respect. Il fallait jouer sur un plateau immense fait pour des décors extraordinaires, Béatrice Collet a imaginé une scénographie dépouillée et efficace. Christophe Ouvrard a évité le piège des uniformes honnis, des reconstitutions cruelles. Ses costumes atemporels, évitent les rayures maudites et les insignes abhorrés.
La scène est close, au fond, d’un mur sombre au centre duquel une porte se découpe. Au dessus, dans le lointain, un fronton où, on peut lire, à l’envers, une devise « le travail c’est la santé », qui démarque celle d’Auschwitz tristement célèbre.
Le Naturaliste, comme le meneur de revue de Cabaret, porte une redingote chamarrée. Il est à l’aise, un brin méprisant, mais la vie du camp aura raison de sa superbe et justifiera sa disparition au troisième acte. Alain Fromager donne sa prestance à cet observateur ambigu, porte-parole de l’auteur qui, ayant su analyser le système concentrationnaire, pouvait en désarmer l’apparente absurdité.
Le Naturaliste parle d’abord au proscenium, seul devant un rideau noir qui peu à peu perd de son opacité pour révéler des silhouettes des détenues, assises sur des bancs de bois brut, de chaque côté. La première soliste c’est Nénette (Claire Delgado-Boge), magnifique soprano qui sur la Habanera de Carmen chante son arrestation.
Le ton parodique ce sont les co-détenues qui vont le donner : Lulu de Colmar (Hélène Delavault, dont la chaude voix de mezzo-soprano bouleverse), Lulu de Belleville (Emmanuelle Goizé), Marguerite (Gaëlle Le Roi), Havas (Jeannette Fischer), sopranos émouvantes, et Marmotte (Carinne Séchehaye, troublante mezzo-soprano), que les chœurs relaient et soutiennent sur des airs populaires comme « Mon papa est venu me chercher » ou des liturgies comme le De profundis clamavit. Elles se moquent de leur peur et de leur faim, de leur corps amaigri : « notre sex-appeal était réputé, aujourd’hui la pile est bien déchargée », de leurs « petits païens » qui tombent, et elles rêvent de nourriture et de repos.
Les chœurs ? Ce sont les élèves des collèges Camille Claudel et Evariste Gallois du XIIIe arrondissement de Paris, avec leurs professeurs de musique, et la Maîtrise de Paris. S’y sont joints les jeunes danseuses des conservatoires municipaux de la Ville de Paris. Elles deviennent sujets dans le ballet des julots, elles deviennent brigade de restauration dans les songes des déportées, et troupeau des verfügbar qu’on emmène sans résistance à la mort.
Christophe Maudot a restitué les musiques qui ont demandé quelquefois beaucoup de recherches, et des re-créations. Les musiciens de l’orchestre de chambre Pelléas sont dirigés par Hélène Bouchez, et la formation passe avec art de l’opéra à la mélodie et à la chansonnette. Rien n’est vulgaire pour les grands mélomanes. Merci à tous dont la foi et la ferveur ont créé ce chef d'oeuvre.
On n’a trouvé que deux jours dans la programmation parisienne pour l’inscrire à l’affiche. Mais nous faisons confiance à tous ceux qui du parterre au poulailler ont communié dans l’émotion de ces représentations. Le Verfügbar aux enfers ne peut pas se terminer si vite. Il est aussi nécessaire que la lettre de Guy Môquet pour célébrer la mémoire et la fraternité, et ne jamais désespérer du genre humain.
Théâtre du Châtelet les 2 et 3 juin 2007
Le Verfügbar aux enfers "une opérette-revue à Ravensbrück"
* Le verfügbar est une déportée qui refuse de travailler pour le régime nazi, et qui, lorsqu’elle y est contrainte, sabote le travail : une sorte de « tire-au-flanc » à conscience politique.
(voir notes de fevrier 2006 et Mai 2007)
15:45 Écrit par Dadumas dans culture, éducation, Musique, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Théâtre, littérature, musique, Résistance, éducation | Facebook | | Imprimer