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28/04/2012

Familiale

 

  

La mère (Catherine Hiegel) coud. Le père (Michel Aumont) ressasse. Le soir (lumières de Frank Thévenon) tombe sur le lac. Tout est de plus en plus sombre. Le printemps tarde et leur solitude croît. Plus de vie familiale. Le seul fils est parti on ne sait où, « il y a si longtemps qu’ils n’ont pas de nouvelles », parce que dans cette campagne isolée, il n’y a pas de travail. Mais ils savent aussi qu’ « il n’y a d’avenir nulle part ». Autour d’eux, les voisins partent ou meurent. « Ils trouvent ça tout naturel le père et la mère » aurait dit Prévert, car leur existence, c’est « la vie avec le cimetière ».

Dans le décor angoissant signé Jean-Marc Stehlé, Jacques Lassalle impose à ses comédiens des gestes mesurés, des déplacements rares. Une tristesse infinie sourd dès les premiers mots. Ces deux comédiens, poignants, ont ainsi construit subtilement des personnages abandonnés, qui semblent ne plus rien attendre de la vie.

Pourtant, ce soir-là, quand le car s’arrête pour déposer le voisin (Jean-Marc Stehlé) « parti faire des courses en ville »,- en réalité à l’hôpital pour un « contrôle » - le fils (Stanislas Roquette) revient. Ils pourraient courir vers lui dès qu’ils l’aperçoivent, ouvrir la porte, ouvrir leur bras, montrer leur émotion puisqu’ils parlent « tous les jours » de lui. Pas du tout, ils attendent qu’il entre, monte l’escalier. Ils restent coincés, immobiles, méfiants. Ils tendent la main, de loin, et répètent : « c’est gentil. » Le voisin leur aurait dit qu’il « était en prison ». Le croit-il ? Et le fils ? Muet, ironique, fuyant, il ne dément ni n’avoue… mais se fâche, s’en prend au voisin ivre, en lui criant : « Mais pourquoi tu racontes des choses pareilles ? »

Le voisin meurt. Le fils parle enfin : « Je n’ai pas été en prison. Je fais de la musique. Par-ci, par-là (…) et j’écris des chansons. ».

Il part, sans doute définitivement. Les parents reprennent leurs parlotes tandis que le noir lent s’installe.

De cette vie étriquée, de cette société close, le spectacle transmet un tableau très réaliste, qui devrait retentir comme une semonce pour les médiocres de la terre.

 

Le Fils  de Jon Fosse

texte français de terje Sinding

Du mardi au samedi à 21 h

Dimanche, 16 h

Théâtre de la Madeleine

jusqu'au 15 juillet 2012

01 42 65 07 09

18/09/2011

Dîner avec le diable

 

 

Il croyait que son génie lui donnerait des privilèges, et que, le Führer aimant sa musique, il pourrait résister à l’idéologie dominante. Mais il ne faut jamais dîner avec le diable et  Richard Strauss (Michel Aumont) en fit l’amère expérience.

En 1931, il est déjà un compositeur illustre, mondialement reconnu, et après la mort d’Hofmannsthal, il demande à Stefan Zweig (Didier Sandre) de lui trouver un sujet d’opéra, puis de lui en écrire le livret. Il croit pouvoir passer outre les lois raciales quand Hitler les promulgue, et pense que « le petit Goebbels » s’inclinera devant  son art. Persuadé que les nazis veulent « soutenir la culture », il  jure qu’il « ne collaborera jamais » avec eux et qu’il imposera « le juif » Zweig. Mais ce dernier sait bien que  la partie est perdue, et il choisit l’exil, puis la mort.

Sur cette trame connue, et grâce à leur correspondance, Ronald Harwood, avec Collaboration, imagine les rencontres du musicien et de l’artiste. Il brosse en contrepoint le portrait d’une épouse naïvement réaliste, Pauline Strauss (Christiane Cohendy), et auprès de Zweig une secrétaire dévouée et effacée, Lotte Altmann (Stéphanie Pasquet) qui deviendra sa maîtresse et le suivra jusqu’à la dernière nuit. La  terreur nazie est personnifiée par Hans Hinkel (Éric Verdin) qui menace Strauss à travers sa bru qui est juive, et ses petits-enfants.

Effroyable chantage qui oblige Strauss à collaborer. Marché infâme qui conduira le compositeur  devant la commission de dénazification en 1948.

Dans les décors sobres d’Agostino Pace, Georges Werler dirige ses acteurs avec rigueur. Les deux protagonistes, Michel Aumont en puissance, Didier Sandre en sensibilité, sont bouleversants. Christiane Cohendy enrichit son rôle ingrat de maîtresse de maison mesquine d’une tendre maladresse. Le nazi est raide sanglé dans son personnage et Sébastien Rognoni en Paul Adolph, directeur d'opéra affolé est excellent dans sa courte scène.

Chaque  séquence  est ponctuée d’extraits  d’opéras et Jacques Puisais a réglé les lumières avec précision. Les costumes de Pascale Bordet recréent l’époque sans ostentation. C'est une pièce sombre, mais qui suscite la réflexion et qui, par ses interprètes admirables, donne toute leur force à ces vers prémonitoires de Gottfried Keller (publiés en 1846) :

« Quand enfin les criminels

Seront chassés du pays

On en parlera longtemps

Ainsi que de la mort noire.

[…] Joie s’élève des souffrances,

Le jour a vaincu la nuit. »*

 

 

* Vers cités dans La Rose blanche, six Allemands contre le nazisme de Inge Scholl, éditions de Minuit. 

 

 

 Collaboration de Ronald Harwood, traduction de Dominique Hollier

Théâtre des Variétés

Depuis le 6 septembre

01 42 33 09 92