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22/02/2014

L’Argent de la vieille

 

 

Clara Wäscher avait dix-sept ans quand, sous « les ricanements de la population qui se moquait de (sa) grossesse avancée », elle avait quitté Güllen, une petite ville prospère. comédie-française,théâtre du vieux-colombier,friedrich dürrenmatt,christophe lidonElle avait eu une enfance misérable, elle revient milliardaire, quarante-cinq ans plus tard. Elle s’appelle maintenant Mme Zahanassian (Danièle Lebrun), on la traite en bienfaitrice, mais elle n’est revenue que pour réparer l’injustice qu’a commise Alfred Ill (Samuel Labarthe), l’homme qui l’a trahie. Car elle n’a rien oublié, ni ses amours, ni son humiliation. « Depuis que j’ai quitté Güllen, je n’ai pensé qu’à ça. » dit-elle. La ville est ruinée, elle est riche, ils espèrent tous que l’argent de la vieille va les sauver.

Sur le quai de la gare où les express ne s’arrêtent plus, ils sont là, pour lui souhaiter la bienvenue : le Proviseur (Michel Favory), le Commissaire (Christian Blanc), le Maire (Gérard Giroudon), le Peintre (Didier Sandre qui joue aussi le Pasteur) et Alfred Ill qui livre quelques confidences et promet d’aider en souvenir de ses amours de jeunesse. On attend encore la fanfare, la chorale, le médecin (Simon Eine qui joue aussi le Majordome), la femme de Ill (Céline Samie), cette Mathilde que, par intérêt, Ill a préférée à Clara. Il n’est pas encore l’heure et M. le Maire prend des notes pour son discours. Et voilà que - ô surprise ! - le rapide surnommé Le Roland furieux s’arrête, et la « chère » Clara en descend avec sa suite, dont le majordome Boby (Simon Eine qui joue aussi le médecin), les aveugles : Koby et Loby (Yves Gasc), le septième mari Moby (Christian Gonon qui sera aussi le huitième, Hoby, et le neuvième, Voby), Toby et Roby (Fabrice Colson et Xavier Delcourt) anciens gangsters repentis qui portent la chaise de Mme Zahanassian, vieille carcasse rafistolée, jambe de métal et main d’ivoire.

Elle est glaçante, cette veuve joyeuse qui consomme mari sur mari, ironise sur « la joie désintéressée » du Maire et des habitants de Güllen, rectifie avec insolence les discours qui travestissent la vérité, s’installe à l’auberge À l’Apôtre doré, avec des montagnes de valises et un cercueil vide. Elle pose au Pasteur et au Médecin d’étranges questions qui sonnent comme des avertissements. Elle épouvante le Proviseur qui la compare à Clotho, une des Parques des Enfers.

Et il a raison, le Proviseur, car l’enfer est arrivé à Güllen : « C’est moi qui suis devenue l’enfer », dit la diabolique Zahanassian.

« Güllen », le mot allemand signifie « lisier », et ce qu’elle exige des habitants est terriblement nauséabond : « Je suis prête », dit-elle,  « à faire à Güllen un cadeau d’un milliard. Cinq cents millions pour la ville et cinq cents à répartir entre tous les habitants. » Pour cette somme, elle achète la justice : « Un milliard pour Güllen, si quelqu’un tue Alfred Ill. »

Quel crime a-t-il commis, lui qui semblait si amoureux de « sa petite sorcière » ? Quarante-cinq ans auparavant, elle l'avait été assigné en recherche de paternité, et pour se soustraire à ses responsabilités, il avait payé deux faux témoins, si bien que Clara déboutée et condamnée avait dû quitter la  ville. L’enfant est mort. Clara est riche. Elle se venge. Elle s'est déjà vengée, sur le juge qui est à son service sous le nom de Boby, et sur les faux témoins qu'elle a rendus aveugles. Reste Alfred Ill, coupable entre tous. L'amour de Claire n'est pas mort, il est devenu poison.

Le Maire, au nom de ses administrés, refuse dignement : « Nous préférons rester pauvres. » « J’attendrai. » dit-elle. Et, installée sur son balcon, elle observe la ville, qui peu à peu change…

Les habitants s’endettent, même les enfants d’Alfred, Erica (Pauline Méreuze qui interprète également quatre autres personnages) et Karl (Noam Morgensztern qui joue encore cinq autres rôles) ne se privent de rien et le pasteur avoue : « Nous sommes tous faibles. »

Friedrich Dürrenmatt fait d’Alfred Ill un triste sire, pantin comique affolé, et de Clara la figure tragique de la vengeance, une Hécate dont les chiens sont les habitants de Güllen, marionnettes qu’elle manipule. Danièle Lebrun sourit mystérieusement, cynique et séductrice, terrifiante de haine tranquille. Autour d’elle, la troupe de la Comédie-Française joue admirablement une difficile partition réglée avec mesure par Christophe Lidon qui propose une mise en scène limpide. Le décor de Catherine Bluwall se transforme à vue sous les lumières de Marie-Hélène Pichon. Et à mesure que croît la corruption, des taches de couleur argent teintent les costumes de Chouchane Abello Tcherpachian.

Clara Zahanassian possède tout, les terrains, les immeubles, les forges, les usines, elle va maintenant s’acheter les consciences. Acculés au crime, les hommes de Güllen qui avaient « toléré l’injustice » finiront par céder à la terrible vieille.

Vous pensez qu’après quarante-cinq ans, elle aurait pu atténuer sa colère ? Mais posez-vous aussi une autre question : si vous, vous aviez été un(e) ses concitoyens, qu’auriez-vous fait ?

 

 

  Photo : © Cosimo Mirco Magliocca / collection Comédie-Française.

 

La Visite de la vieille dame  de Friedrich Dürrenmatt

Traduction de Laurent Muhleisen

Mise en scène de Christophe Lidon

Théâtre du Vieux-Colombier

Jusqu’au 30 mars 2014

01 44 39 87 00/01

 

 

07/11/2012

L’étoffe de nos songes

 

  

Zéro ((Bernard Malaka) passe sa vie au lit. Il n’a « plus d’envie, plus de désir ». Sa Mère (Marie-Christine Danède) le compare à « une limace sur un drap blanc », le docteur Crocq (Denis Berner), ne peut le guérir et son père ne veut plus le voir.

Mais est-ce bien son père ? Zéro en doute, et plutôt que d’affronter la réalité, il préfère s’abandonner à ses rêves. Dans un dernier sursaut, Zéro fait appel à Alice (Valérie Alane), qui, à l’aide de son polaroïd, photographie « tous ces rêves qui flottent ».Théâtre, rêve, lttérature, philosophie, Valérie Alane, Christophe Lidon

Or, les rêves ne sont-ils pas  « l’histoire de l’inconscient », disait Carl Gustav Jung ?  Et justement, le géniteur supposé de Zéro serait un certain Carl Gustav qui aurait sauvé une fille de l’immeuble au cours d’un incendie.

Quand l’image d’un homme aux ailes immenses apparaît, quand Zéro se dédouble (Zéro 2 : Sylvain Katan), quand Betty (Sarah Basini), la sœur que Zéro aurait dû avoir, vient rejoindre les protagonistes sous la forme d’une jeune femme enceinte « depuis vingt-sept mois », le voyage au centre de l’inconscient emporte le spectateur. Il ne s’agit pas de comprendre, mais de laisser l’onde des sensations se répandre.

Christophe Lidon, le metteur en scène, ouvre les portes au flux et reflux de superbes images (Stéphane Cottin), et, comme dans Mister Cauchemar* il délivre un passeport pour les songes rythmés par la musique d’Alvaro Bello.

Théâtre, rêve, littérature, philosophie, Valérie Alane, Christophe LidonBetty chante "la matrice fabuleuse", accouche d’un œuf noir qu’elle cajole amoureusement. Elle nous a raconté l’histoire du minotaure mais celle des Dioscures surgit. Ainsi se mêlent les mythes, ainsi Carl August Jung, et Swedenborg les entrelaçaient.

Le théâtre ici laisse le choix au spectateur, il libère les forces obscures, les traces de souvenirs et Valérie Alane, délicatement, nous rappelle que « nous sommes faits de l’étoffe de nos songes ».

 

 

 

 photos : © Michael Stampe

 

Mister Cauchemar* opéra, musique de Didier Goret livret de Valérie Alane, édité aux Quatre-Vents, collection jeunesse, 2005.

 

Zéro s’est endormi ? de Valérie Alane

Mise en scène de Christophe Lidon

Théâtre Artistic Athévains

Jusqu’au 9 décembre

01 4356 38 32