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05/04/2017

Le retour du Grand-Guignol

 

 

Théâtre, théâtre des Béliers, Grand-Guignol, Nathalie MannIl s’en passe de belles à Paris, dans le dix-huitième arrondissement, enfin, pas partout, mais dans la petite rue Ste Isaure, d’habitude si calme, et, pour être précis  au Théâtre des Béliers: les zombies ont envahi la scène.

Quelle histoire ! Imaginez un couple tranquille et leur fillette, la petite Lucie, dînant tranquillement avec juste le minimum d’hostilités habituelles : la gosse qu’ « aime pas la viande », le rôti trop cuit, Karen (Ariane Brousse), la mère qui reprend le sport et le père qui va être accusé de piocher dans la caisse de sa boîte…

Maintenant que la situation vous paraît tout à fait normale, le fantastique peut surgir, disait notre maître Todorov…

Didier Baronnet et Ronan Yvon ont dû se souvenir de la leçon pour écrire Alimentation générale. Car le matin suivant, l’épidémie commence. La petite Lucie revient ensanglantée de l’école où les élèves et les maîtres se sont entredévorés ! Les zombies envahissent la ville… Quiconque est mordu par l’un d’entre eux devient un mort vivant ogre à son tour et propageant « ce mal qui répand la terreur ». Impossible d’y échapper, sauf à rester cloîtré dans des murs inexpugnables.Théâtre, théâtre des Béliers, Grand-Guignol, Nathalie Mann

Karen a fui à temps, armée de son fleuret d’escrime. Elle rencontre un dénommé La Smoule (Martin Darondeau), qui faisait de la figuration dans un film et que son déguisement morbide a sans doute protégé. Ils vont trouver refuge dans le sous-sol de Driss alimentation  avec une gamine qui a déjà paré à plusieurs intrusions. Dehors, c’est la mort par morsure ou parce qu’il n’y a plus rien à bouffer… La cave offre l’alimentation et la protection. Que demander de plus ?

La guérison.

Théâtre, théâtre des Béliers, Grand-Guignol, Nathalie MannJustement, Ingrid (Nathalie Mann), docteur-chercheur à Bichat veut endiguer la contagion, et envisage même de guérir ceux qui sont atteints. Tel le Docteur Faust et son assistant Wagner, elle se livre avec Jacques son aide, à de sordides expériences. Ingrid est « sur le bon chemin », il ne s’agit que de doser l’injection. Mais…

Le Malin veille !

Ailleurs, c’est le cauchemar et les vers de Racine semblent écrits pour ces sinistres événements :

« Son ombre vers mon lit a paru se baisser ;


Et moi, je lui tendais les mains pour l'embrasser.


Mais je n'ai plus trouvé qu'un horrible mélange


D'os et de chair meurtris, et traînés dans la fange,


Des lambeaux pleins de sang, et des membres affreux


Que des chiens dévorants se disputaient entre eux. »[1]

Le metteur en scène Frédéric Thibault ne lésine ni sur les changements de lieux, ni sur l’hémoglobine, ni sur les masques et maquillages en tous genres. Philippe Bérodot, Ariane Mourier, Ghita Serraj, surgissent dans les lumières et les ombres de Denis Koransky. Des projections vidéo (Fabien Deborde), des effets spéciaux (Valérie Lesort et Laurent Huet), renforcent encore l’atmosphère fantastique et… parodique. 

Eh oui ! On rit beaucoup de ce spectacle surréaliste... et mordant !

Les situations et les dialogues sont pleins d’humour, souvent absurdes, souvent réalistes, toujours décalés. Les comédiens vous entraînent dans une sarabande diabolique et libératrice. On venait de voir Nathalie Mann
en dissidente russe persécutée, on la retrouve Dr Jekyll et Mr Hyde. Preuve que les grandes comédiennes peuvent tout faire !

Le Grand-Guignol était un genre très apprécié, le voici de retour avec Alimentation générale, pour vous faire hurler…de rire.

 

Alimentation générale de Didier Baronnet et Ronan Yvon

Théâtre des Béliers

01 42 62 35 00

du mardi au samedi, 21 h

dimanche 17 h

 

 

[1] - Athalie, acte II, scène 5.

14/04/2016

L’irrésistible ascension

 

 

Théâtre, Théâtre des béliers parisiens, Hugus Leforestier, Nathalie MannSvetlana (Nathalie Mann), la procureure, est seule, face au Président Vladimir Poutine (Hugues Leforestier). Il l’a convoquée dans son bureau. Elle est venue de Sibérie où elle a été mutée. Dehors, la foule conspue le maître du Kremlin. Mais Poutine a un projet.

Il l’accuse d’être responsable de ces manifestations. Elle lui reproche d’être un dictateur. Elle a monté un dossier accablant contre lui. Élections truquées, corruption à tous les niveaux, crimes organisés, génocide des Tchétchènes, violation des droits, prévarication, concussion, elle ne passe rien ! Elle démonte, avec une précision mécanique, l’irrésistible ascension, à quarante-quatre ans, du petit fonctionnaire falot du KGB, devenu FSB, sur lequel il appuie son pouvoir pour perpétrer ses coups les plus tordus et dicter sa volonté au monde. Elle l’avait connu quand il voulait « changer le monde » et tout laisse entendre qu’ils ont eu, ensemble, une brève liaison. Il voudrait aujourd’hui briser la militante.Théâtre, Théâtre des béliers parisiens, Hugus Leforestier, Nathalie Mann

Hugues Leforestier, l’auteur, assume le rôle du méchant. Gestes sobres, masque impassible. Il est odieux et glaçant. Nathalie Mann, l’opposante est obstinée, fragile et passionnée, elle lui fait front avec courage, révoltée par son autoritarisme, son cynisme. Elle dénonce sans faillir l’arbitraire érigé en système de gouvernement. Elle est superbe.

Comment la réduire au silence ?

La recette est connue. Bien des gouvernants la mitonnent, et même en démocratie.

En lui proposant un poste dans son gouvernement. C’est Le Projet Poutine. Mais elle reste intransigeante. Lui, qui a choisi entre « rester pur ou gouverner », se vante d’un bilan globalement positif puisqu’il a « rendu sa fierté à la Russie. » Peut-être se vengera-t-il d'elle sur ses enfants, ses parents, ceux qui lui sont chers. Ou la fera-t-il éliminer ? L’auteur ne tranche pas.

On dit souvent, que les Français ne savent pas faire un théâtre ancré dans l’actualité. Hugues Leforestier dans Le Projet Poutine démontre le contraire. Le conflit entre l’autocrate et la résistante, est intense, dramatiquement nourri. La mise en scène de Jacques Décombe entrecoupe chaque séquence de montages vidéo d’actualité d’un réalisme terrifiant.

On ne demande pas au spectateur de choisir, mais on lui apporte toutes les preuves pour qu’il puisse juger. Est-ce cette liberté qui déplaît à certains ?

 

 

 

Le Projet Poutine de Hugues Leforestier
Mise en scène : Jacques Décombe

Théâtre des Béliers parisiens

14 bis rue Sainte Isaure - 75018 Paris

du mercredi au samedi à 19h15 – Les dimanches à 17h30

01 42 62 35 00

 

Texte paru aux éditions Art et Comédie, 10 €

07/10/2011

Sacrée Femme !

 

 

La tendance est papale cet automne. Au cinéma, avec Habemus papam, Nani Moretti imagine un maelström au Vatican, avec un pape qui refuse d’assumer sa charge. Au théâtre, La Papesse américaine est à Paris après avoir fait un succès à Avignon.

Tiré d’un pamphlet d’Esther Vilar paru en 1982, et adapté par Robert Poudérou, le texte avait été créé par Eléonore Hirt. Il est toujours succulent.

théâtre,nathalie mann,robert poudérou,essaïonAujourd’hui, Nathalie Mann incarne cette femme, qui, en 2040, accède au trône de Saint Pierre. Elle triomphe, car depuis plus de deux mille ans, l’ Église catholique n’avait accepté les femmes que pour les tâches domestiques ». La légende veut qu’une femme, au IXe siècle ait berné la Curie et caché son identité sexuelle. Elle fut pape quelques mois sous le nom de Jean (la chronique n’est pas d’accord sur le quantième). Et que la supercherie fut découverte quand elle accoucha en pleine messe… Mais ce sont des médisances antipapistes, bien sûr.

En 2040, plus question de faire régner une loi « salique ». L’ Église catholique est en panne.

Plus d’ors, plus de pierres précieuses, d’aubes et de capes rebrodées, de tiare somptueuse, plus de faste, plus de conclave. Le pape est élu par ses fidèles, comme aux premiers siècles il était désigné par acclamations du peuple. Le trône est un fauteuil de plexiglas, l’impétrante est vêtue d’une longue robe noire élimée, et elle officie en studio, parrainée par la publicité.

Tout a été vendu aux banques et aux compagnies d’assurances. L’Église catholique est en ruines et a perdu cent millions de fidèles. Elle a pourtant levé tous les interdits : le célibat des prêtres, l’avortement, le divorce, l’homosexualité. Elle a montré la voie de la modestie par sa pauvreté, Elle n’a réussi qu’à renforcer les doctrines « radicales ».

La papesse Jeanne II, regard clair, verbe haut, sourire tranchant se propose de réparer les erreurs, et de rétablir le chef de l’ Église catholique dans sa fonction sacrée. théâtre,nathalie mann,robert poudérou,essaïon

Sacrée femme ! Car elle se demande si l’homme aime vraiment être libre, s’il n’y a pas, pour la plupart un confort à obéir à un Dieu, et si l’âme n’est pas stimulée par la contrainte.

Nathalie Mann est superbe. Plus diablesse que prélate, plus pétroleuse que béate, elle est intrépide. Thierry Harcourt l’a mise en scène avec sobriété et efficacité.

Entraînera-t-elle des conversions ?

 

 

Photos : Mehdi Benhafessa

 

 

 

 

La Papesse américaine d’après Esther Vilar, adaptation de Robert Poudérou

Théâtre Essaïon

Du jeudi au samedi à 20 h

Jusqu’au 14 janvier

01 42 78 46 42