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31/01/2010

L’Homme mutilé

À La Courneuve, au cœur de la cité, Pierre Constant a formé une troupe théâtrale en 1974. Il demeure aujourd’hui un collectif de création formé de Marc Allgeyer, Damiène Giraud, Maria Gomez, Jean-François Maenner, Jean-Luc Mathevet, Jean-Pierre Rouvellat. Ils y mènent une action de formation, de sensibilisation, afin « d'allumer les flambeaux de l'esprit », comme disait Hugo.

 Cette année ils ont choisi « d’emprunter le chemin du théâtre par le biais du roman ». L’Homme qui rit  de Victor Hugo, certes moins populaire que Les Misérables poursuit cependant les thématiques hugoliennes du peuple, de la misère, de l’injustice des Grands, de la bâtardise et du monstre.

Gwynplaine a été vendu, à l’âge de deux ans « par ordre de sa très gracieuse majesté le roi Jacques deuxième » aux comprachicos. Ces « acheteurs d’enfants » l’ont défiguré pour en faire un bouffon. Il porte sur le visage une grimace de rire permanent. Il a dix ans lorsque ces criminels l’abandonnent sur la côte de Portland. C’est un soir de janvier 1690, il neige et la tempête fait rage. Les comprachicos font naufrage. Afin de se décharger de leurs péchés : « Jetons à la mer nos crimes. Ils pèsent sur nous. C'est là ce qui enfonce le navire », ils rédigent une confession qu’ils enferment dans une bouteille avant de la jeter à la mer. « Quelque chose surnagea, et s'en alla sur le flot dans l'ombre. C'était la gourde goudronnée que son enveloppe d'osier soutenait. »

Pendant ce temps, sur la côte, le gamin, en pleine déréliction ,va trouver plus misérable que lui : un bébé vivant sur le cadavre de sa mère morte de faim et de froid pas très loin d’un gibet. Les deux enfants, sont recueillis par un saltimbanque philosophe, Ursus, qui vit avec un loup, nommé Homo. Quinze ans plus tard, à Londres, ils donnent une pièce : Chaos vaincu. Grâce aux changements politiques, à la découverte du message de la bouteille, à la convoitise de la duchesse Josiane et aux sombres menées de Barkilphedro, Gwynplaine retrouve son identité de lord Clancharlie.

Mais à son discours révolutionnaire : « Je représente l'humanité telle que ses maîtres l'ont faite. L'homme est un mutilé. Ce qu'on m'a fait, on l'a fait au genre humain. On lui a déformé le droit, la justice, la vérité, la raison, l'intelligence, comme à moi les yeux, les narines et les oreilles; comme à moi, on lui a mis au coeur un cloaque de colère et de douleur, et sur la face un masque de contentement. », l’assemblée éclate de rire car, « quoi que fît Gwynplaine, quoi qu’il voulût, quoi qu’il pensât, dès qu’il levait la tête, la foule, si la foule était là, avait devant les yeux cette apparition, l’éclat de rire était foudroyant. » Gwynplaine quitte les aristocrates pour retourner avec Ursus et Déa. Trop tard, Déa meurt dans ses bras.

L’intrigue efflorescente, abonde en digressions dans un contexte historique embrouillé, mal connu des Français. Plutôt que d’en rester à « la carcasse » du drame, Marion Lécrivain, qui signe aussi la mise en scène « démembre » le texte. À l’inverse du roman où les membra disjecta se ressoudaient dans la « caverne pénale », en présence de Gwynplaine devenant Lord Fermain Clancharlie. L’adaptation de L’Homme qui rit que signe Marion Lécrivain témoigne d’un grand sens de la scène.

Sur un plateau nu, large promontoire, dort une forme indistincte. Pour atteindre ce proscenium, il faut descendre du fond de scène et traverser un fossé. La scénographie, d’emblée, trace l’errance, le dépouillement des êtres. Les lumières de Julien Barbazin y ajoutent des contrastes forts, des zones d’ombre, des reflets rares pour ces personnages qui se débattent dans la nuit de leur misérable existence. Trois comédiens forment une sorte de chœur pour assumer le récit à plusieurs voix. Ils incarnent parfois un personnage. Damiène Giraud est une conteuse, Lady Josiane, un Lord, Jean-François Maenner, un conteur, Lord David (le « fiancé » de Josiane), et Jean-Pierre Rouvellat, conteur, devient Hardquanonne (un des bandits), puis un Lord. Vêtus de costumes contemporains, ils endossent une redingote noire et se coiffent de chapeaux pour devenir lords. Seuls Ursus (Wahid Lamamra), Gwynplaine (Antoine Philippot), Dea (Camille Pélicier) ne changent pas de peau. Un personnage clé manque pour dénouer les fils et faire que les protagonistes se rencontrent, Barkilphedro, « l’âme reptile ». Hugo écrit « cet homme était très méchant. » C’est avec les âmes damnées qu’on fait les bons drames. Supprimer Barkilphrdro, mutile la narration.

Alors, malgré la beauté des images, malgré les extraits parfaitement interprétés, le public demeure souvent dans l’abstraction. Il lui reste surtout des « impressions ».

Sera-ce suffisant pour qu’il ait envie d’ouvrir le roman ?

 

 

 

On peut recommander le film L'Homme qui rit, un chef d’œuvre de Paul Leni, (USA, 1928), et

L’Homme qui rit, de Jean Kerchbron, œuvre pour la télévision en trois épisodes, 1971.

 

 

 

L'homme qui rit d’après le roman de Victor Hugo

adaptation de Marion Lécrivain

Centre culturel el Jean-Houdremont

11, ave du Gl-Leclerc

La Courneuve

jusqu'au 21 février

0148 36 11 44

 

30/01/2010

Une soirée exemplaire

 

 

On ne va pas vous raconter On purge bébé ni Léonie est en avance. Ces deux pièces en un acte de Feydeau appartiennent à vos classiques ! Quand on va les voir, ce n’est pas pour l’auteur – Ah ! Un peu tout de même ! On sait bien qu’on en rira.

Mais, cette fois-ci, on est surtout venus pour eux. Oui, eux, les trois comédiens têtes d’affiche, Cristiana Reali, Pierre Cassignard, et Dominique Pinon, qui ont porté le projet à Gildas Bourdet, lequel, dans ces moments d’amertume qu’éprouvent les grands artistes voulait abandonner le Théâtre.

Le théâtre institutionnel l’avait mis à la retraite ! Le théâtre privé n’allait pas se priver d’un tel talent !

Après avoir interprété Créon dans la Médée de Jean Anouilh, Gildas Bourdet redevient metteur en scène et autour du trio qui vint lui demander de le diriger, il a reconstitué une troupe avec, Sylviane Goudal (Rose dans On purge bébé, Mme de Champrinet dans Léonie), Corinne Martin (l’affreux Toto qui ne veut pas être purgé, et Clémence dans Léonie), Marie-Julie Baup et Marc Guillaumin.

Jean-Michel Adam inonde son décor de faux marbre criard, staffant le canapé, la table, les chaises et les murs des Follavoine et des Toudoux. Les costumes de Brigitte Faur-Perdigou jouent des dessins géométriques noirs sur fond blanc. Ainsi fringués, les protagonistes semblent sortis des films burlesques de Mack Sennett.

Avec des histoires de pots de chambre incassables qui cassent, de seau hygiénique dans le salon, de purge administrée à qui n’en a pas besoin, Feydeau piétine les bonnes manières. Avec un accouchement "prématuré" qui risque de faire jaser, il daube l’étroitesse d’esprit dune caste.

Corinne Martin donne une acidité délicieuse à ses rôles. Sylviane Goudal les anoblit. On applaudit Pierre Cassignard, en mari dépassé par les événements, exaspéré et résigné à la fois. On admire Dominique Pinon, d’abord solennel puis ivre de rage dans Chouilloux, méprisant et borné dans Champrinet. Mais la plus surprenante est Cristiana Reali, dragon matrimonial, mégère pas du tout apprivoisée dans On purge bébé, et qui compose ensuite une sage-femme autoritaire et suffisante, maîtresse femme à laquelle il ne faut pas se frotter dans Léonie. La pâle Ophélie de ses débuts s'est métamorphosée. Elle peut tout jouer !

Bref, une soirée exemplaire !

 

 

 

On purge bébé et Léonie est en avance de Feydeau

Théâtre du Palais-Royal,

depuis le 19 janvier

01 42 97 40 00

À lire (5)

 

Machiavel Nicolas, La Mandragore, texte français de Gilles Costaz.

On connaît Le Prince, le grand œuvre politique de Nicolas Machiavel, du moins par le mot qu’il généra : « machiavélisme ». On l’imagine mal en homme de théâtre.

Gilles Costaz, dans une préface documentée nous présente cet auteur dramatique de la Renaissance, qui fut aussi diplomate, juriste et agent secret. Il traduit La Mandragore dans une langue pittoresque, sans rien dissimuler des verdeurs du langage.

La Mandragore, est une farce. Elle en cultive les situations scabreuses, les allusions obscènes. Les moines y sont cupides et infâmes, les vieillards stupides, les jeunes gens gaillards, les valets rusés. Elle tient de Boccace et de Rabelais réunis.

Comment Callimaco, fou d’amour pour Lucrezia, mal mariée à un vieillard, Nicia, parviendra-t-il à se glisser dans son lit ? Grâce à une potion magique à base de mandragore que le mari lui-même servira à sa femme. Et avec l’aide de qui ?

Mais je ne vais pas vous tout vous raconter. Lisez donc la Mandragore.

 

Editions de l’Avant-Scène théâtre, collection des Quatre-Vents, classique, 11 €