27/09/2014
Captifs des sables du Chaco.
La guerre du Chaco, entre la Bolivie et le Paraguay, fut, comme aurait dit Brassens « longue et massacrante ». Elle fut surtout l’occasion pour les Européens de vendre des armes, et pour les nazis de se faire la main sur l'ordre militaire, puisque c’est E. Röhm qui organisa l’armée bolivienne de 1928 à 1931.
Nous connaissons mal ce conflit, pourtant montré par Hergé dans L’Oreille cassée. Nous en saisissons mal les enjeux, car le Chaco est une terre inhospitalière, dont les Boliviens faisaient peu de cas avant que des aventuriers n’affirment qu’elle ne fût pétrolifère. D’autre part, privée de débouchés sur la mer, la Bolivie cherchait à établir un port sur le fleuve Paraguay. Et, pour la possession de quelques fortins de bois, et de terres arides, elle engagea un conflit qui dura plus de trois ans et la laissa exsangue.
Les Égarés du Chaco, montre le calvaire de soldats, après la reddition du fort de Boquerón (29 septembre 1932), perdus dans le Chaco, affamés, privés d’eau potable, errants à la recherche d’une lagune qui pourrait les sauver de la soif. Le texte est inspiré de La Lagune H3 d’Adolfo Costa du Rels. Arlette Namiand en signe l’adaptation et Jean-Paul Wenzel la mise en scène. Et si la guerre qui y est décrite est atroce, la production du spectacle est une belle aventure positive entre les peuples, « une belle histoire, comme nos métiers savent en inventer » dit Jean-Paul Wenzel.
Elle a commencé grâce à Marcos Malavia. Cet enfant de l’Altiplano bolivien, exilé au Chili, puis en France, avait étudié avec le mime Marceau, et travaillé avec Alfredo Arias. Il fonde la compagnie Sourous (1990) implantée à Bagneux, créé un festival « Auteur en acte », et collabore avec les milieux hospitaliers. En 2003, retourné en Bolivie, il conçoit la première école supérieure d’art dramatique à Santa Cruz. Et c’est ainsi qu’en 2010, il fait appel à Jean-Paul Wenzel et à la Dorénavant-Compagnie* pour travailler avec ses étudiants.
La pièce a été créée en Bolivie en 2013, et la troupe Amassunu (Javier Amblo, Susy Arduz, Mariana Bredow, Andrès Escobar, Ariel Munoz, Antonio Peredo, Marcelo Sosa), est aujourd’hui en tournée en France, grâce à Ariane Mnouchkine et Antonio Diaz-Florian. Elle se joue en langue espagnole avec un surtitrage qui traduit le texte. Un rideau limite un espace étroit, couloir d’hôpital qui conduit jusqu’à la chambre d’un rescapé, le lieutenant Contreras (Antonio Peredo) qui « a perdu la mémoire ». Il ne reconnaît pas Hélène (Mariana Bredow), sa fiancée, que la bonne sœur (Suzy Arduz) introduit. Et pourtant, c’est à elle qu’il pensait dans son enfer, c’est à elle qu’il écrivait, c’est à elle qu’il confie, son journal, ses photos, et une bague.
Et tandis qu’elle tourne les pages, et raconte leur épopée, le rideau brechtien s’ouvre sur un espace d’argile rouge, d’où émergent des souches desséchées, des arbustes tordus (création sculpture Juan Bustillos) et le lieutenant rejoint trois soldats, (Malduz, Moro, Kaku) et leur capitaine, abandonnés sans boussole et sans carte dans un Chaco hostile aux hommes. Il y aura des rixes et des rires, des révoltes et des soumissions. Ils marchent la nuit, car le jour, la température peut monter jusqu’à 50°. Dans leur course hasardeuse, un démon femelle sorti de leurs cauchemars, les harcèle. Le fantastique des mythologies se mêle à la dure réalité. Croyances païennes et foi chrétienne luttent dans l’agonie des hommes. Et celui qui récite le credo (Javier Amblo), comme celui qui doute, avancent, rongés de fièvres et de délire. Les lumières et les contre-jours de Thomas Cottereau, le son de Samuel Facart-Mikcha cernent les protagonistes, "jetés en pâture à des monstres", ceux que la guerre a enfantés.
La pluie les sauvera. Il y aura deux survivants. Les autres ? Ils sont à jamais "captifs des sables du Chaco."
C’est un spectacle rare, poignant et fraternel. Ne le manquez pas.
Photos : © Bia Mendez Pena
Théâtre de l’Épée de bois (Cartoucherie) à 20 h 30
Jusqu’au 19 octobre
01 48 08 39 74
RESAD à Madrid le 23 octobre
Théâtre Saint-Gervais (Genève)
Du 28 octobre au 1er novembre
41 22 90 08 20 00
ENSATT à Lyon
les 4 et 5 novembre
04 78 15 05 05
12:42 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, Histoire, Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, histoire, bolivie, j. - p. wenzel, a. namiand, m. malavia | Facebook | | Imprimer
23/09/2014
Tartuffe se porte bien
Tartuffe est de retour sur la scène de la Comédie-Française.
« Il y a des gens qui font collection de Tartuffes » écrivait François-Régis Bastide en 1969. Je commence à être de ces « gens pas tout jeunes » qui se livrent à des comparaisons. Eh ! bien, je vous le dis : voilà un Tartuffe réussi ! Il ne manque pas un jeu de scène, pas un accessoire, un geste de mains, un toucher d’étoffe, une caresse, une toux.
Tartuffe (Michel Vuillermoz), se porte bien. Il n’est ni « gros », ni « gras », mais il a la mine égrillarde, le sourire narquois et le regard coquin. Pour Galin Stoev, qui met en scène la comédie de Molière, plus personne n’est à sa place dans la famille d’Orgon (Didier Sandre). Est-ce depuis la mort de sa femme ? Sa nouvelle épouse, Elmire (Elsa Lepoivre), n’a aucune autorité sur les enfants du premier lit, Mariane (Anna Cervinka), et Damis (Christophe Montenez). Dorine (Cécile Brune) s’est substituée à la mère défunte et tient la dragée haute au maître qui se laisse manipuler par Tartuffe, lequel convoite la femme, la fille et la fortune.
Car Tartuffe est un scélérat. Jouant le dévot, l’hypocrite se fait passer pour un « homme de bien », alors qu’il n’est qu’un « fourbe renommé ». Le frère d’Elmire, Cléante (Serge Bagdassarian), essaie bien d’ouvrir les yeux d’Orgon, de Madame Pernelle (Claude Mathieu), la mère de celui-ci, en vain ! Valère (Nâzim Boudjenah), qui pensait épouser Mariane, est rejeté.
Alban Ho Van, le scénographe construit un espace métaphorique tout en ambiguïté. La « salle basse » est un lieu désordonné, où une double porte bat à jardin, tandis qu’une étroite ouverture gothique découvre un couloir à cour. De grandes baies aèrent l’espace et laissent apercevoir des passages labyrinthiques, de faux miroirs où quelquefois de muets personnages se glissent. Des images fugaces donnent l’impression que la maison est « sur écoutes », surveillée par une puissance occulte. Le K.G. B. dissimulerait-il des micros dans les murs ? À moins que ce ne soit l’Opus Dei ?
L’étrangeté est encore renforcée par les sonorités en échos (Sacha Carlson), les lumières (Elsa Revol) qui jouent avec la pénombre, les éclairs, les pleins feux et par les costumes de Bjanka Adzic Ursulov, qui mêlent les époques et les espaces. Et, quand, à l’acte final M. Loyal (Michel Favory) se présente en uniforme soviétique, quel pouvoir incarne-t-il ? Quand Laurent (Valentin Rolland), habillé de noir jusqu’alors, se transfigure en Exempt, tout blanc de la tête aux pieds, est-il le garant de la Justice ? L’ange de Théorème de Pasolini ? Et ses comparses aux allures militaires (Claire Boust, Ewen Crovella, Thomas Guené), masqués de grosses têtes carnavalesques aux traits de Tartuffe, de quel message sont-ils porteurs ?
Ces questions sans réponse troublent le spectateur et c’est ce que souhaite le metteur en scène et probablement ce que voulait Molière.
L’auteur est bien servi. Michel Vuillermoz est démoniaque sous un sourire affable. Il plonge avec volupté la main dans le corsage de Dorine, et se déshabille sans vergogne pour baiser Elmire à qui Elsa Lepoivre donne des larmes de rage, et un maintien élégant et superbe. Orgon est littéralement « hébété » par son Tartuffe, puis effrayé par la traîtrise qu’il découvre. Cécile Brune fait de Dorine une suivante plus qu’une servante, une admirable maîtresse femme clairvoyante, sincère. Elle ironise avec brio, tant dans les scènes avec Orgon que dans celle du dépit amoureux où Nâzim Boudjenah, tremble de colère et Anna Cervinka de désespoir. Serge Bagdassarian est un Cléante apaisant, mais obstiné dans ses leçons, Christophe Montenez un jouvenceau sensible. N’oublions pas Michel Favory en huissier de justice qui se montre scrupuleux, calme et presque sympathique.
Ce Tartuffe-là aura une place de choix dans ma collection.
Photo © Christophe Raynaud de Lage
Tartuffe de Molière
Mise en scène de Galin Stoev
Comédie-Française, salle Richelieu
0825 10 1680
jusqu’au 17 février
18:41 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, comédie-française, littérature, molière, michel vuillermoz, serge bagdassarian, elsa lepoivre | Facebook | | Imprimer
22/09/2014
Aveux amers
Emma (Léonie Simaga) et Jerry (Laurent Stocker) se sont aimés. Leur liaison a duré sept ans. Ils ont rompu deux ans auparavant et voici qu’ils se rencontrent dans un bar pour évoquer le passé et parler du présent. Emma apprend à Jerry qu’elle divorce. Que la nuit précédente elle a tout révélé à son mari, Robert (Denis Podalydès) qui la trompait depuis longtemps. Mais pourquoi a-t-elle fait des aveux maintenant alors que tout est fini depuis longtemps ? Que pendant sept ans personne n’a jamais rien soupçonné ?
Jerry est très ennuyé. Robert est son meilleur ami. Ils jouent ensemble au squash, se voient régulièrement, et en tant qu’éditeurs se partagent les mêmes « poulains ». Il a toujours été discret. Robert ne peut pas avoir soupçonné quoi que ce soit. Et pourtant… Les aveux sont amers.
La situation serait banale si Harold Pinter ne rompait pas la linéarité du récit. Il remonte le temps, reconstruit et déconstruit la relation, cherche les points de rupture, ligature les ruptures, analyse d’infinis détails. Et peu à peu, le spectateur devient témoin des trahisons, complice des mensonges. Chaque comédien a pénétré son rôle avec une intelligence délicate. Perfection chez tous, même dans le petit rôle du garçon de café (Christian Gonon).
Trahisons est une comédie subtile, ironique, réaliste et métaphorique. La mise en scène de Frédéric Bélier-Garcia est ingénieuse avec ses panneaux coulissants (décor de Jacques Gabel) qui dissimulent ou dévoilent les profondeurs de la scène, mémoire aussi infidèle que les protagonistes. Les lumières de Jacques Gabel déguisent le réel ou l’exhibent. Les changements à vue donnent au récit une fluidité qui ne rompt jamais le charme.
Une merveilleuse soirée !
Photo : © Cosimo Mirco Magliocca
Trahisons d’Harold Pinter
Texte français de Éric Kahane
Théâtre du Vieux-Colombier
jusqu’au 26 octobre
Mardi à 19 h,
Mercredi au samedi, 20 h
Dimanche, 16 h
01 44 39 87 00/01
17:24 Écrit par Dadumas dans Blog, humour, Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, comédie-française, pinter, vieux-colombier | Facebook | | Imprimer