21/10/2014
Dans sa peau
Elle(Laurence Pollet-Villard) est assise à une table de bistrot, un verre de rouge devant elle.
Elle raconte des histoires d’amour. On pense s’abord qu’il s’agit des siennes. Qu’elle est passé de Siegfried à Jann, mais quand elle parle de Ginette, Anna et Marguerite, on doute…
Et quand elle nous apostrophe : « Regardez mes mains ! », quand elle demande : « Qu’est-ce que vous auriez fait ? », puis : « Est-ce que je donne assez de détails ? », on a envie de lui parler. Elle n’aurait pas à insister beaucoup : « vous n’auriez pas un souvenir à me prêter », pour qu’on lui donne les romances qui ont ensoleillé notre vie.
Car il y a chez Laurence Pollet-Villard une sororité naturelle qui incite à la confidence. Sa voix vibrante et son charme naïf nous poussent vers elle. La mise en scène de Véronique Kapoian joue de cette empathie puisqu’elle laisse la comédienne venir vers le public, puis parmi les spectateurs.
« La substance qui court dans la peau » d’Élisa, irrigue la poésie sensuelle de Carole Fréchette, Et la métaphore de la « peau qui pousse » est une bien jolie idée pour dire le vieillissement qui nous guette. Mais est-ce que les histoires d’amour peuvent empêcher que la peau de nos mains ne plisse pas, que celle de nos genoux ne se craquèle, celle du visage ne s’affaisse ?
N’empêche, on voudrait bien êtres dans sa peau…
La Peau d’Élisa de Carole Fréchette
jusqu’au 30 décembre à 19 h 15, les mardis et mercredis
Théâtre Michel
Tel. 01 42 65 35 02
www.theatre-michel.fr
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19/10/2014
Raccrocher la Lune !
Il y en a qui perdent la tête, d’autres qui perdent le nord, eh ! bien, le jeune Polochon (Delphine Biard) a perdu la Lune (Sophie Carrier).
Il est désespéré. En vareuse rouge et bottes jaunes, il arpente son espace favori et cherche son amie, sa consolatrice, celle qu’il contemple pour s’endormir.
Nous spectateurs, qui regardions la nuit étoilée, avons vu le croissant argenté tomber (Lumières, Bastien Courthieu). Et soudain, en kimono, elle surgit, incognito, avec des lunettes noires.
Et savez-vous pourquoi elle s’est « éclipsée » ? Elle veut, sur la terre, devenir « une star ». Oui vous avez bien lu ! La lune veut être une étoile ! Elle compte rester sur la terre. Elle ne veut plus « être un satellite », mais « briller par (elle)-même ».
Elle débarque avec ses lunettes de soleil, ses perruques, sa robe de lamé, et s’en va passer une audition chez Neil Armstrong (François Genty), l’astronaute, reconverti imprésario.
Malheureusement, elle chante « comme une casserole », et Neil refuse de la mettre en scène : « No way ! ».
On appelle alors Pierrot (François Genty) qui paraît, face cérusée et survêtement blanc, des pompons accrochés sur les baskets (costumes et scénographie de Sabine Schlemmer). Pierrot est un enfant caché, qu’elle a mis au monde après une lune de miel avec le soleil. Pierrot ne sait pas mentir et lui, avec Polochon, se bouchent les oreilles. La lune voulait chanter. Elle déchante !
Il leur faudra beaucoup de persuasion pour qu’elle remonte à son poste. Polochon allègue le bon ordre terrestre, « plus rien n’est à sa place, la mer s’est retirée », Pierrot se défile, mais appelle Youri Gagarine « un sacré pilote » pour la convaincre et la remettre à sa place, dans le ciel étoilé.
Daphné Tesson signe une première pièce délicieuse, pleine de poésie et d’humour. Elle manie la langue avec délicatesse et cisèle de jolis calembours. Elle écrit aussi la musique et les chansons, car la fable est « musicale ». Elle parle aussi de solitude et d’amour. C’est une réussite.
Philippe Fenwick assure une mise en scène intelligente et rigoureuse qui ravit les enfants et les parents. François Genty, qui joue trois rôles très différents est remarquable, Delphine Biard adorable. Sophie Carrier en Lune changeante surprend et séduit.
Vous avez donc toutes les raisons de vous précipiter au Théâtre de Poche-Montparnasse.
Profitez des vacances scolaires pour aller ensemble raccrocher la Lune !
photos : © Alejandro Guerrero
Texte publié à L'Avant-Scène Théâtre, collection des Quatre-Vents, 8 €
On a perdu la lune ! de Daphné Tesson
Théâtre de Poche Montparnasse
01 45 44 50 21
Depuis le 11 octobre
mercredi et samedi à 15 h
tous les jours (sauf les 27 et 28 octobre et le dimanche) pendant les vacances scolaires.
19:02 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, humour, langue, Littérature, Livre, Musique, Poésie, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : daphné tesson, théâtre, musique, poche-montparnasse | Facebook | | Imprimer
10/10/2014
Les trois vies de Camille Claudel
Quand la scène s’éclaire, elle (Clémentine Yelnik) est assise sur un banc, immobile, elle attend, le manteau boutonné, son chapeau sur la tête, et on reconnaît la vieillarde du cliché pris à Montdevergues en 1929.
C’est elle, Camille Claudel, celle que sa mère et son frère ont « mise au tombeau »* en la faisant interner le 10 mars 1913, huit jours après la mort de son père. Elle attendra trente ans qu’on vienne la délivrer. En vain.
Le directeur de l’hôpital, en août 1942, avait prévenu Paul que Camille s’affaiblissait « depuis les restrictions qui touchent durement les psychopathes ». Elle mourra de malnutrition, à l’hospice de Montdevergues, en octobre 1943. Paul, très occupé par la première du Soulier de satin assurait la gloire de la famille.
Elle fut inhumée dans le carré des indigents, accompagnée du seul personnel de l’hôpital, et comme son corps n’avait pas été réclamé par ses proches, ses restes furent transférés dans la fosse commune. En 2008, Reine-Marie Paris, sa petite-nièce, qui a consacré sa vie à retrouver l’œuvre de Camille et à la réhabiliter aux yeux du monde, a inauguré une stèle en souvenir de celle qui fut une artiste majeure et que la société bourgeoise avait anéantie.
Camille Claudel devint l’héroïne d’Une femme d’Anne Delbée qui porta à la scène sa biographie romancée en 1981, puis le film de Bruno Nuytten en 1988, lui donna le lumineux visage d’Isabelle Adjani, mais le récit s’arrêtait en 1913. Brunot Dumont dans son Camille Claudel, (2013) s'immobilisait à l’année 1915. Avec Camille, Camille, Camille, Sophie Jabès nous présente l’artiste à trois époques de sa vie, elle va plus loin, elle frappe plus fort.
Elle présente d’abord, cette vieille femme solitaire, visage fermé, yeux noyés de tristesse qui dialogue avec sa mort, l’accueillant comme une délivrance : « Te voilà enfin ! ». Puis intervient la femme trahie (Nathalie Boutefeu), désespérée parce qu’elle ne peut vivre de son art, parce que l’homme aimé, Rodin, l’a abandonnée et qu’elle a dû renoncer à la maternité. Et enfin la jeune fille (Vanessa Fonte), confiante, passionnée, belle, luttant pour s’imposer comme artiste dans un milieu misogyne et dont la conduite risque de faire scandale dans sa famille.
Marie Montegani, qui signe la mise en scène, ajoute une quatrième figure, projetée sur l’écran, en fond de scène, celle d’une messagère adolescente qui prévient Camille de la trahison des siens (vidéo et lumières de Nicolas Simonin, images de Christophe Cordier).
Les trois Camille se partagent l’espace scénique (scénographie d’Élodie Monet), et leurs monologues alternés joignant les différents moments de cette vie, composent une œuvre poignante d’une grande beauté : « personne pour m’entendre » dit-elle dans sa solitude. L’émotion est profonde devant ces trois figures d’une même femme injustement condamnée.
Sophie Jabès lui rend un hommage impressionnant.
Photo : © D.Ceccato
Camille, Camille, Camille de Sophie Jabès
Théâtre du Lucernaire,
Jusqu’au 22 novembre
Du mardi au samedi à 18 h 30
* J’emprunte ici l’expression à J. –P. Morel - Camille Claudel, une mise au tombeau Bruxelles : Les Impressions Nouvelles, coll. "Réflexions faites", 2009,
15:55 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, exposition, Histoire, Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, théâtre du lucernaire, camille claudel | Facebook | | Imprimer