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29/09/2013

En attendant la Mort

 

 

Il fait nuit, mais le café est encore ouvert. Un homme (Michel Favory) est assis à une table et lit, à haute voix, le récit que le film de Visconti, Le Guépard, nous a rendu familier. Ce sont les dernières séquences, le bal, la nuit de fête, à la fin de laquelle, le Prince Salina épuisé, attend la mort. Théâtre, comédie-Française, Michel Favory, Louis AreneArrive un autre client (Louis Arene), et la conversation, engagée sur des banalités, « la coquetterie des femmes », prend un tour étrange. Le roman de Giuseppe Tomasi di Lampedusa rencontre La Fleur à la bouche de Pirandello. L’Homme est atteint d’un mal incurable qu’une « fleur à la bouche » trahit. Il exhibe la marque suspecte d’un cancer qui le ronge, l’épithélioma,détaille les souffrances qu’il endure, celles d’une « férocité macabre » qu’il impose à sa femme. Le client, plus effrayé que compatissant, écoute l’homme détailler son « besoin de (s)’attacher à la vie » qu’il trouve « stupide et vaine », et dont le goût est toujours « insatisfait ». L’Homme resté seul reprend sa lecture.

Louis Arene, qui assure la mise en scène, sur une proposition de Michel Favory a choisi la sobriété et l’élégance. Les deux comédiens portent des demi-masques qui figent leurs traits, mettant à distance les propos qu’ils tiennent. Une lumière parcimonieuse (Éric Dumas) cerne les protagonistes d’une ombre inquiétante. Le tableau est fascinant, l’intensité dramatique captive. Michel Favory et Louis Arene rapprochent ainsi intelligemment deux auteurs siciliens, et leur analyse semblable de la fin de vie.

Dans ce moment qui précède la mort, l’homme qui va mourir est encore conscient, et cherche le sens de la vie. Il se rappelle « les paillettes d’or des moments heureux », et les désillusions de son existence. Pour le prince Salina, sa fin est aussi celle d’une époque. La mort prend les traits d’une « jeune dame » au « charme ensorceleur », qui est « la créature désirée depuis toujours », puisqu’elle va mettre un terme à la médiocrité, aux ennuis, à la douleur. Et chez Pirandello, l’homme l'imagine dans un curieux mélange d’espérance et d’angoisse.

 Car, chez Pirandello, comme chez Lampedusa, émules de Sénèque et de Montaigne : vivre et « philosopher, c’est apprendre à mourir. »

 

 

Photo : © Brigitte Enguérand

 

La Fleur à la bouche de Luigi Pirandello

Studio-Théâtre de la Comédie-Française

Du 26 septembre au 3 novembre à 18 h 30

www.comedie-francaise.fr

 

 

 

22/09/2013

Boire du petit lait

 

 

Théâtre, Poche-Montparnasse, Dylan, MeldeggStephan Meldegg avait été séduit par Under Milk Wood de Dylan Thomas en 1959, et, quand, en 1971, il a ouvert son premier théâtre, à Paris, qu'il a lu la traduction de Jacques B. Brunius, il a monté Au bois lacté  avec un succès tel, le spectacle continua au Lucernaire. Puis Stephan Meldegg prit la direction du La Bruyère, en 1982, et devinez ce qu’il mit à l’affiche pour cette première saison !

Au bois lacté lui tient lieu, dit-il, « de talisman ».

Il offre donc aujourd'hui ses vertus magiques au Poche-Montparnasse avec une très belle distribution : Rachel Arditi, Jean-Paul Bezzina, Sophie Bouilloux, Attica Guedj, César Méric, Jean-Jacques Moreau, Pierre-Olivier Mornas : sept comédiens pour soixante-trois rôles…

Oui, vous avez bien lu : soixante et trois !

C’est qu’il s’agit de tout un village, "Llareggub", avec son révérend qui poétise, ses couples bien ou mal assortis, son facteur qui lit le courrier avant les autres, son boucher pas très net sur la viande qu’il vend, son laitier agité, son agent de police, son calicot, son épicière, ses amoureux qui rêvent de se retrouver sur la colline, dans le petit bois dit « lacté »,- qui n’est « qu’une touffe » -, sa fille-mère, son institutrice, les enfants de l’école, le vieux capitaine aveugle qui délire tout seul, une vieille dame heureuse de vivre encore un peu, et les voisins et voisines des uns et des autres, qui surveillent, épient, cancanent… et rêvent. Sous nos yeux, dans les costumes de Caroline Martel, pertinents et drôles, tout s’organise sans effort, en une chorale harmonieuse, et tous les acteurs passent d’un rôle à l’autre,  avec une maestria extraordinaire. Un ravissement pour le spectateur !

Avec deux coffres et des arbres de carton stylisés comme du Matisse, Édouard Laug vous fait un village qui  s’anime sous les lumières de Robert Venturi. Et ces petites gens, modestes, un peu coincés sous le regard des autres tentent de grignoter chaque jour leur part de bonheur.

Le texte est tendre, souvent ironique, cruel quelquefois, poétique toujours. Et pourtant, il paraît que le nom de ce village, « Llareggub », est le palindrome de « Bugger all », qui signifie : « allez vous faire foutre ! ». C’est ce que dit le traducteur, car moi, j’ai déjà du mal avec l’anglais, alors, vous pensez, le gallois !

Mais je vous rassure, sur la scène du Poche, on comprend tout et dans ce Bois lacté, si j’osais, … puisque l’auteur semble aimer les jeux de mots, je dirais qu’on boit du petit lait…

 

 

Au bois lacté de Dylan Thomas

Texte français de Jacques B. Brunius

Mise en scène de Stephan Meldegg

Théâtre de Poche-Montparnasse

Du mardi au samedi à 21 h, dimanche à 15 h

01 45 44 50 21

 

 

 

 

 

 

21/09/2013

Drôle d'anniversaire !

 

 

Avec Pinter la vérité n’est jamais simple. Et dans L’Anniversaire que Claude Mouriéras met en scène avec la troupe de la Comédie-Française, nous ne la connaîtrons jamais.

Qui est ce Stanley (Jérémy Lopez) qui se terre dans la pension que tiennent Meg Bowles (Cécile Brune) et son mari Peter (Nicolas Lormeau) ? Il dit qu’il a été « roulé », et il traîne toute la journée dans la maison. Est-il un criminel que traquent deux policiers, Nat Goldberg (Éric Génovèse) et McCann (Nâzim Boudjenah) ? Un espion qui a trahi son organisation ? Un défroqué que sa hiérarchie cherche à récupérer ? Un gangster qui a donné ses acolytes ? Un échappé d’hôpital psychiatrique ? Ou un dissident qu’on va y envoyer afin de le rééduquer ? Nous ne le saurons jamais.

Le rôle des Bowles n’est pas clair non plus. Sont-ils complices des deux hommes qui emmènent Stanley le lendemain de son anniversaire ? Et d’ailleurs était-ce bien son anniversaire ? Et la jeune voisine Lulu (Marion Malenfant) est-elle leur auxiliaire ou une dupe ?

Insidieusement, le malaise s’installe, la menace chemine, la violence se déchaîne et on ne peut pas ne pas penser aux régimes totalitaires, à l’arbitraire qui tient lieu de loi dans certains palais d’injustice. Il n’y a sans doute pas de pire effroi que d’être appréhendé sans raison, questionné sans  logique, accusé sans preuve. 

Les comédiens sont parfaits d'ambiguïté. La scénographie et les lumières d’Yves Bernard renforcent le trouble, avec ses tons gris, ce double niveau qui donne au spectateur la vision du témoin incapable d’agir. Le son (Roman Dymmy) oscille entre silence inquiétant, musique tonitruante, et martèlement d’un tambour d’enfant, comme les protagonistes bringuebalés dans une histoire qui les dépasse.

Chez Pinter, comme dans la vie, tout peut arriver !

 

 

 

L’Anniversaire d’Harold Pinter

Traduction de Eric Kahane

Théâtre du Vieux-Colombier

Jusqu’au 24 octobre

Mardi : 19 h, du mercredi au samedi : 20 h, dimanche 16 h

0825 10 1680

www.comedie-francaise.fr