19/12/2016
Craindre le diable
Faust de Goethe est une œuvre dense, complexe, qui, en racontant l’histoire du Docteur Faust, peint aussi une société close pleine de préjugés, fourmille de personnages, plonge dans le fantastique, à la fois païen et chrétien. Ronan Rivière en propose une version courte, centrée sur trois protagonistes, Faust, Méphisto, et Marguerite. Seulement deux personnages secondaires les accompagneront, Madame Marthe l’entremetteuse (Aymeline Alix) et Wagner (Jérôme Rodriguez) l’assistant studieux.
Ronan Rivière qui signe aussi la mise en scène, s’est réservé le rôle du Diable. Mince, jeune, vêtu de rouge, il a tout du tentateur. La jambe souple, le sourire sardonique, il provoque, propose et dispose. Il avance en vainqueur.
Face à lui le Faust vieillissant affirme : « Je ne crains rien du diable », mais admet : « je vois bien que nous ne pouvons rien connaître. » et souhaite « plonger dans le néant. » Alors, quand il invoque « l’esprit de la Terre », et qu’apparaît « le fils du chaos », « l’esprit qui toujours nie » lequel lui offre de « s’attacher à son service », ne lui « assigne aucune limite », et lui redonne sa jeunesse, le pacte est vite conclu. Et le jeune Faust (Romain Dutheil), qui ressemble comme un frère à Méphisto, peut séduire Marguerite (Laura Chetrit).
Le texte de Gérard de Nerval résonne car la diction des comédiens est parfaite. Une musique de Léon Bailly, interprétée au piano par Olivier Mazal ponctue les étapes de la métamorphose, et souligne les émotions des personnages. Les costumes de Corinne Rossi, situent l’action dans une époque lointaine et indéfinie entre le Moyen Âge et la Renaissance. Un décor ingénieux reproduit un escalier infernal, métonymie des désirs de puissance et métaphore de la condition humaine. Tantôt Faust domine, tantôt il se cache. Toujours le diable est présent. Et, toujours, cet escalier peut se rompre, se transformer, s’inverser (Scénographie Antoine Milian). L’effet est impressionnant, magnifié par des jeux de lumière (Fantôme).
On sait bien que Marguerite sera jugée mais sauvée, et Faust damné, mais comment ne pas être troublé par ce diable si séduisant ? On peut préférer l'opéra, on peut préférer la version longue, mais la gageure est belle, et vaut qu’on la tente.
Photos : © Ben Dumas
Faust de Goethe
Adaptation et mise en scène de Ronan Rivière
Théâtre du Ranelagh
01 42 88 64 88
Jusqu’au 26 mars 2017
11:20 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, théâtre du ranelagh, faust, goethe, nerval, roman rivière | Facebook | | Imprimer
18/11/2016
L’Été en automne
Quand vous demandez à Mr. Google « L’Été en automne », le cher serveur vous envoie sur des sites de mode : vêtements et bottes en tous genres, prêt-à-porter, bonnets et écharpes assortis, chaussures et maroquinerie, collections de bijoux, papeterie et accessoires. Mais si vous ajoutez le mot magique : « Théâtre », vous découvrez une équipe de passionnés qui déclinent le mot « culture » à tous les cas. Culture, ce mot magnifique, si nécessaire à notre épanouissement !
Didier et les autres
Le chef, c’est Didier Lelong.
Haute taille, nez pointu et chevelure romantique. L’œil vif, le sourire chaleureux, il vous accueille en ami(e). Acteur, auteur, metteur en scène, depuis trente-six ans il se bat pour que le théâtre vive « sur le terrain », c’est-à-dire tous les terrains. Il a créé le « Facteur théâtre » à Reims, et pour distribuer son courrier, il a inventé « L’Été en automne », un moment de rencontres avec les auteurs vivants et les spectateurs.
Quels spectateurs ? Pas forcément ceux qui sont déjà abonnés dans de grandes structures, ils viennent d’eux-mêmes, mais les autres, ceux qu’il faut aller chercher, vers qui il faut aller, car « si tu ne vas pas au théâtre, le théâtre ira à toi ! »
Prêtez-lui une librairie, un garage, une grange, une bibliothèque, un réfectoire, une salle de cours, il en fait un théâtre. Pas une boîte de velours rouge et or qui intimide et coûte cher, non un espace accueillant avec quelques projos, des bancs, des comédiens et des auteurs (qui sont souvent aussi des comédiens). Bien sûr une belle salle équipée est toujours préférable, mais on peut faire théâtre partout avec lui.
Près de lui, Sabrina veille aux horaires, aux arrivées et aux départs, aux oublis, à l’intendance. Essentielle l’intendance ! Car ils ne sont pas de purs esprits tous ces saltimbanques, ils ont faim, ils ont soif, et parfois, ils sont fatigués. Sabrina a tout prévu !
Avec eux, toujours prêt, Patrice installe, transporte, vérifie, prête sa voix, sa joviale présence, chante, interprète. Véritable homme orchestre que seconde le talentueux Stéphane avec son clavier merveilleux. Vous voulez un piano ? Le voici. Vous préférez la guitare ? La voilà. Un orgue ? Pas de problème ! Vous avez besoin d’une seconde voix bien timbrée, genre baryton ? Stéphane s’accorde avec les autres.
Sur les petites routes de l’Aube, ils sont chez eux. Dans chaque village on les connaît et on les aime. On les attend.
Huitième édition
Pour sa huitième édition, « l’été en automne » parcourt l’Aube et la Marne avec trente-huit textes originaux, dont quinze courts. Lectures, spectacles, stages et rencontre avec des auteurs vivants. Oui, ça existe ! On voudrait nous faire croire qu’après Molière le génie s’est éteint, mais « l’été en automne » apporte la preuve du contraire.
Je n’ai pas tout vu, pas tout entendu, mais je témoigne ici de la vitalité de l’entreprise, et de la joie qu’elle donne à tous. Je voudrais aussi dire combien j’ai été touchée par la présence de l’immense auteur qu’est Michel Azama. Il venait pour dédicacer ses œuvres, il a dirigé un atelier, prêté sa voix dans les lectures d’œuvres inédites des auteurs invités.
Parlons-en de ces auteurs ! Daniela Ginevro, prix Annick Lansman pour Respire est une jeune auteure sensible, pertinente et attachante. Elle écrit pour la jeunesse, comme Natalie Rafal (Comment Marie Forte-Cuisse réussit à alléger le poids de l’histoire (et elle-même par la même occasion) et leurs textes ouvrent autant le cœur et l’esprit des enfants qu’ils charment leurs parents. Un miracle de simplicité, de profondeur, de tendresse et d’esprit critique aussi !
J’y ai rencontré aussi Alberto Lombardo, comédien et auteur, une voix singulière, un esprit clair et des capacités d’adaptation surprenante puisque quatre jours durant, il s’est évertué à composer et préparer nos repas. Je le déclare : ils ont de l’inspiration, les auteurs !
Lectures et spectacles
Le Vacarme de l'âme de Philippe Alkemade, ouvrit le cycle des lectures dans "la grange", c'est-à-dire l'entrée de l'Espace Gérard Philippe. L'auteur nous invitait à "méditer sur l'indicible", Jean-Pierre lui prêta sa voix pour évoquer le flamboyant musicien Scriabine.
Ce fut à la très belle médiathèque de Saint-André des-Vergers qu'eurent lieu les textes issus de la commande de Didier Lelong sur le thème : « les instruments prennent la parole ». Sylvie Chenus avait écrit Duo de l’urgence, une pièce courte qui mêlait avec audace la mémoire d’un terroir et la ruse des hommes pour communiquer. L’instrument ? C’est un secret, mais elle viendra certainement vous le dévoiler car Sylvie est aussi comédienne. Il lui faut juste un partenaire, une salle et des spectateurs.
Avec Natalie Rafal, c’était Welcome to Memphis, une ballade nostalgique, émouvante et subtile pour une vieille guitare et un harmonica.
Le premier spectacle, à l'espace Gérard Philippe, Une famille aimante mérite de faire un vrai repas de Julie Aminthe, était une pièce caustique, terriblement actuelle dans laquelle les personnages manquent d’amour et se débattent avec la cruauté d’un quotidien désespérant.
Mais, il faut garder l'espoir et le rire... Et il y eut le spectacle du cirque Star avec ses jongleries, ses acrobaties, ses chiens et chats savants, son accordéoniste Jacky Lignon, et un grand clown, Ferdinand, qui en nous conseillant : « mollo », me rappelait un certain Grock et son « sans blague ! »
Et pour finir ce week-end en Champagne, Didier Lelong, ressuscita les frasques de Francis Blanche et de Pierre Dac dans leur joyeux duo iconoclaste. Avec Patrice Vion, et Stéphane Guilbert, Francis Blanche et en couleurs : le parti d’en rire, nous rendit d’humeur joyeuse, irrespectueuse et fraternelle.
L’été n’est pas encore parti. Pas tout à fait il vous reste jusqu’au 2 décembre pour le savourer… en automne, dans la Marne.
Photos : © D. R.
www.lefacteurtheatre.com
18:10 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, humour, Littérature, Poésie, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, lectures, facteur théâtre, didier lelong | Facebook | | Imprimer
23/10/2016
Un duo délirant
Tous les auteurs dramatiques vous le diront. Le plus difficile n’est pas d’écrire une pièce, le plus dur est de la faire jouer.
- Vous avez une tête d’affiche ? demande le directeur de théâtre. Car pour lui, pas de scène possible, si la distribution ne comprend pas au moins un(e) ou comédien(ne) une «tête d'affiche», « bankable », comme on dit maintenant.
Et le pauvre auteur dramatique d’attendre que le comédien pressenti daigne lire son manuscrit, ou que son agent accepte de lui transmettre.
- Vous avez la production ? demande la vedette.
Et ce jeu de bonneteau peut durer des mois, voire des années.
Pas étonnant que le jeune auteur qui s’ « appelle Vincent » (Sébastien Castro), use d’une autre tactique avec le comédien qu’il a choisi pour interpréter son personnage principal, François B., c’est-à-dire François Berléand, qui jouait Dom Juan et n’avait pas encore lu la pièce qu’il lui avait envoyée six mois auparavant.
Le comédien se trouve « aspiré » dans « l’univers fictionnel » de l’auteur et non seulement ne peut plus en sortir, mais il est rejoint par les personnages nés de la transposition du réel dans cet autre monde. Sont ainsi « aspirés » sa femme (Constance Dollé), et l’employée de maison (Inès Valarché).
Clément Gayet est l’auteur de Moi, moi et François B., un cauchemar kafkaïen, dans lequel les comédiens se heurtent aux « terrifiants pépins » (comme aurait dit Prévert) d’une réalité transposée.
Le metteur en scène, Stéphane Hillel, installe une perpétuelle inquiétude. Le décor d’Edouard Laug est judicieusement menaçant, les lumières de Laurent Béal en soulignent l’étrangeté et la musique de François Peyronny renforce l’angoisse.
Si François Berléand passe de fichus quarts d’heure, le public se laisse embarquer dans un fantastique très humoristique et suit allègrement les comédiens. François Berléand forme avec Sébastien Castro un duo délirant.
Le hiatus entre fiction et réalité semble hanter les dramaturges, cette saison, puisque Arnaud Denis dans Le Personnage désincarné, et Alexis Michalik dans Edmond jouent également sur ce thème et sur ses variations.
Est-ce à dire que notre époque confondrait les chimères et les certitudes ? Prendrions-nous les vessies pour des lanternes ?
Moi, moi et François B… de Clément Gayet
Théâtre Montparnasse
01 43 22 77 74
Mardi, mercredi, jeudi, vendredi, samedi : 21h
Samedi : 17h30 Dimanche : 15h30
16:44 Écrit par Dadumas dans culture, humour, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, théâtre montparnasse, françois berléand | Facebook | | Imprimer