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03/04/2008

À la bonne franquette

     On savait qu’en France tout finissait par des chansons. Le bon peuple, quand il n’est pas populace, met en couplets et en musique les petits et grands événements de notre Histoire et quelquefois, au péril de la censure, se paye la tête des héros glorieux comme des sinistres crétins.

     Le rire est quelquefois plus  efficace qu’un cocktail Molotov pour résister. Nos ancêtres dégoupillèrent souvent le premier, et des bateleurs du Pont-Neuf aux chansonniers actuels, ils déboulonnèrent les Badinguet et les faux-culs de tous poils (si j’ose m’exprimer comme eux).

     Claude Duneton, historien de la langue et des mœurs, est aussi celui des refrains populaires, et il en présente un recueil caustique dans La chanson qui mord, un spectacle sans autre prétention que de distraire et d’instruire. Il nous reçoit comme des amis, à la bonne franquette, sans piano et sans trompette. Il raconte, Catherine Merle, violoniste et soprano renchérit,.Il chante, elle reprend d’une voix plus haute, plus ample, et les spectateurs sont sollicités au refrain. C’est un « spectacle participatif présent », une leçon de parodie autant que d’Histoire.

     Desaugiers, Béranger et Fursy, chansonniers du XIXe siècle en sont les dieux. Claude Duneton en est le  prophète, et nous, qui sommes tous des "ricaneurs tendance libertaire", nous sentons prêts à en devenir les disciples.

La chanson qui mord jusqu’au 20 avril à 18 h 30 Théâtre du Rond-Point 095 98 21

01/04/2008

Sauvageusement interprétée

     Coupable Phèdre ? On sait bien que « Vénus persécute la race du Soleil » dont elle est issue, que le volage Thésée accompagné de Pirithoüs, son giton, est parti « enlever la femme du roi des Enfers ». Alors, elle rêve de « noces interdites », avec Hippolyte, le fils que son époux eut d'« Antiope l'étrangère », une Amazone qu'il a ensuite assassinée.

     « Réprime tes désirs », lui conseille la Nourrice (Gretel Delattre) qui n’hésite pas à blasphémer contre l’Amour : « l’Amour, un Dieu ? Voilà bien un conte que les débauchés ont inventé pour couvrir leurs exploits ». Elle refuse pourtant d’être complice d’un suicide et préfère que Phèdre se « moque de l’opinion des gens qui acclament les bandits et lapident les saints ». Quand un époux pratique crime, « sodomie et adultère », « à quoi bon la morale ? » dit-elle.

     Le chœur (Alexandra Castellon) en écho, accuse le « grand ordonnateur du ciel ». Sénèque ne craint ni les dieux, ni les hommes, puisqu’il admoneste aussi les rois omnipotents et les républiques où « les peuples s’amusent à élire des va-nu-pieds ».

    Phèdre souffre et se cache dans le palais, Marie Desgranges est une Phèdre fragile et ardente. Rejetant les robes dapparat (costumes de Nathalie Saulnier), elle mue en superbe amazone bottée, puis pénitente  aux pieds nus, elle accomplit le rite expiatoire avec une douceur qui transcende sa passion.

     Dans la mise en scène de Julie Recoing, la scénographie de Pascal Crosnier reconstitue un « labyrinthe ». Une large allée centrale se divise sur le fond en corridors sombres qui plongent dans les pourtours de la salle. Musique et son de Julien Ruiz accentuent la profondeur des lieux.

     Des vases doffrandes bordent lespace. Le fronton du palais sorne de la photo dune famille au sourire de commande (Photo-vidéo : Othello Vilgard). Le père, assis, lair avantageux et satisfait, la main ornée dune bague précieuse pose au sein dune famille recomposée. À lheure des crimes reconnus, ces visages exprimeront lhorreur. Phèdre, sur la première image, est debout, Hippolyte aussi. Il est encore cet « Apollon sauvage », qui vit « comme un sauvage ». Tout à lheure il sera « sauvageusement déchiqueté » par un monstre aux « yeux de taureau sauvage ».

     Car tout est « sauvage » dans lunivers de Sénèque. « Sauvages » sont les désirs qui assaillent Phèdre, comme « sauvage » était le « chef du troupeau » avec lequel Pasiphaé, sa mère accomplit « lamour immonde ». Antiope, cette « femme sauvage », fut « assassinée sauvagement » par Thésée, « le fléau ! ».

     Comment traduire la filiation entre le père et le fils ? Julie Recoing fait jouer les deux rôles par le même jeune comédien : Thomas Blanchard. Dabord, il incarne un Hippolyte inhibé, sourd à tous les conseils, et réapparaît (sur une musique de Barry White), en Thésée extraverti, jouisseur dans un premier temps, puis anéanti par le malheur. Thomas Blanchard dessine magistralement l’évolution du personnage.

     Comment traduire scéniquement le récit du messager (Anthony Paliotti) qui annonce à Thésée que le bel Hippolyte a « le visage réduit en bouillie » ? Et comment montrer lhorreur de ce l« corps en lambeaux » dont on cherche en vain à reconstituer « le cadavre absent » ? « Voici donc ce que jai fait de toi ! » dit Phèdre, et le magma sanglant s’étale lorsquelle ouvre le plastique. Lassistance en frémit, et cest ce choc que Sénèque cherchait. Quon nobjecte pas la sainte bienséance ! Nous ne sommes pas « classiques » ici, avec des cadavres en coulisses et un Théramène interminable. Encore moins « romantiques » avec de beaux cadavres qui ne saignent pas. Au Ier siècle, à Rome, on ne se contente pas de mots. On montre les cadavres sanguinolents. Le poète latin ne connaissait que furor et dolor, le spectateur romain jouissait aux jeux du cirque, et voici aujourd'hui, Phèdre sauvageusement interprétée.

Phèdre de Sénèque

Traduction de Florence Dupont

Théâtre des Amandiers-Nanterre

Jusqu'au 17 avril

01 46 14 70 00

19/02/2008

Tout l’amour de Juliette

      Juliette Drouet aimait un « grand petit homme ». Il s’appelait Victor, elle l’appela Toto. Elle était encore plus petite que lui. Elle était comédienne, il était le chef de l’école romantique. Ils se rencontrèrent au théâtre, pendant les répétitions de Lucrèce Borgia. Il l’appela Juju. Il était marié. Il n’abandonna pas sa famille. Il exigeait qu’elle lui écrive deux lettres par jour. Leur liaison dura cinquante ans. Tout l’amour de Juliette Drouet pour Victor Hugo se nourrit donc de mots autant (sinon plus) que de caresses. Il ne fut jamais rassasié.Presque toutes ses missives nous sont parvenues. Il était tentant d’en faire une pièce de théâtre. Dans le cadre du Festival Hugo et égaux, Danièle Gasiglia-Laster s’y risque avec succès, dans Moi, j’avais son amour. 

     Elle a d’abord choisi d’illustrer vingt ans de la vie des amants. Mais afin de ne pas réduire les scènes à de fastidieuses lectures de lettres, elle imagine que deux comédiens Marianne et Julien, répétent une pièce sur Juliette et Victor. Marianne commente son personnage, Julien la contredit, ils se disputent un peu, et de discussions en réconciliations, progressent de la connaissance de leurs rôles et dans la compréhension de chacun. De l’estime à l’amour, ils franchiront le pas.

     Laurence Colussi donne sa grâce à cette Marianne qui devient Juliette, et Michel Miramont est Julien-Victor au caractère bien trempé. Vincent Auvet a choisi la simplicité dans ce petit théâtre du xixearrondissement.Tout est astucieusement pensé et réalisé. Il faut pouvoir démonter le décor en quelques minutes. La musique, romantique évidemment, crée l’atmosphère congruente.

     Pas de costumes. On n’en a pas besoin pour ces répétitions, moins mouvementées que celles de Hugo avec Sarah Bernhardt. Cependant, elles donnent vie à l’éternelle seconde, celle qui pendant cinquante ans, dans l’ombre se dévoua par amour.

     Existe-t-il encore des Juliette à l’heure des Cécilia ?

Théâtre Darius Milhaud

Jusqu'au 29 février

01 42 01 92 26