27/11/2013
Une Jeanne miraculeuse
Joseph Delteil avait une vision de Jeanne d’Arc, de François d’Assises et de Jésus assez iconoclaste. Loin de l’hagiographie traditionnelle, il montre des êtres pétris de foi... en l’humanité.
Dans l’adaptation de Jean-Pierre Jourdain, mise en scène par Christian Schiaretti, « la Jeanne » est une créature lumineuse, à la fois narratrice, et actrice, qui, avec les accessoires les plus humbles, et sur le mur brut des coulisses nous rejoue l’épopée de celle qui voulut « bouter les Anglais hors d u royaume de France». Juliette Rizoud est prodigieuse.
Avec les portants, les balais, les chariots, les échelles, elle aligne une « drôle d’armée ». Et ces objets réalistes semblent lui obéir, comme se soumirent les hommes du XVe siècle qui n’avaient « ni discipline, ni religion », et dont elle fit « une armée de saints ». Elle transforme la servante de scène en apparition céleste, un drap rouge figure l’évêque Cauchon, et les élingues s’entassent pour former le bucher.
Elle est solide, ardente, réelle.
Un miracle !
La Jeanne de Delteil, d’après Jeanne d’Arc de Delteil (Prix Femina 1925)
Adaptation de Jean-Pierre Jourdain
Œuvre scénique de Camille Grandville
Du 26 au 29 novembre
Théâtre 71 à Malakoff
Jeudi à 19 h 30
Vendredi 20 h 30
01 55 48 91 00
19:06 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, Littérature, Livre, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, littérature, théâtre 71, delteil, schiaretti | Facebook | | Imprimer
13/04/2013
Qui va payer ?
Qui, dès 1973, parlait de « délocalisation d’usines », de « chômage », de « travailleurs pauvres » « menacés d’expulsion », de subventions détournées vers des « comptes en Suisse » ? Les syndicats ? Les gouvernements ? Non, ils étaient occupés par « les compromis historiques ».
Ce n’était pas un élu ni un économiste.
C’était un saltimbanque : Dario Fo, auteur, acteur, à cette époque écrivait : Non si paga ! Non si paga ! (traduit par Faut pas payer, ou On ne paie pas ! On ne paie pas !) une farce subversive qui dénonçait déjà ce qui constitue notre sinistre actualité.
Antonia (Brigitte Rosset) et Margherita (Camille Figuereo), femmes de syndicalistes purs et durs, Giovanni (Juan Antonio Crespillo) et Luigi (Mauro Belluci) n’ont plus assez d’argent pour payer le loyer, le gaz et l’électricité. Et voici que les prix, au supermarché ont encore augmenté.
Comment se nourrir ?
Puisque leurs maris sont « sous-payés », les femmes qui venaient s’approvisionner, excédées, répondent qu’elles ne paieront pas ! Antonia est de ces révoltées, « pour une fois, on était toutes ensemble ! ». Elle a donc rempli ses sacs. Elle demande à Margherita de l’aider à les cacher car Giovanni est un « légaliste » qui veut demeurer « pauvre mais honnête », et elle ne pourra pas lui faire croire qu’il s’agit de « bons d’achats ».
Mais la police perquisitionne, Giovanni rentre plus tôt, et après avoir dissimulé quelques sacs sous le lit, Antonia n’a qu’une solution, cacher celui qui reste sous le manteau de Margherita. Elle sera « enceinte ». Surprise de Giovanni, soupçons du brigadier (François Nadin qui joue le policier, le gendarme, puis le père), panique de Luigi, le mensonge grossit, la démesure enfle, les protagonistes courent, le plateau bascule (Scénographie : Christian Taraborrelli), la société tangue et les spectateurs hurlent de rire.
Tout est gris sur scène, les costumes (Claude Rueger) et le décor métallique, tout s’assombrit (Lumières : Allegra Bernacchioni) peu à peu quand « le capitalisme croule » sur les travailleurs, les premières victimes. Giovanni et Luigi se retrouvent au chômage. Alors qui va payer ? Qui doit payer ?
Dans la version française de Toni Cecchinato et Nicole Colchat, le metteur en scène ajoute une référence au Quatrième Etat, ce tableau de Pelizza de Volpedo, auquel Bernardo Bertolucci empruntait son image pour Novecento (1900) en 1976. La mise en scène de Joan Mompart montre ainsi crûment la régression de nos sociétés.
Dario Fo n’hésitait pas à rappeler la peinture de la misère chez Ruzzante, et, dans la commedia dell’ arte, les terribles faim du Zanni (diminutif de Giovanni) ou d’Arlequin. Ces derniers mangeaient des mouches, Giovanni et Luigi, qui ont des vies de chien, finissent par dévorer des boîtes de pâtées pour animaux.
Les femmes trouvent des expédients à défaut de solutions car Dario Fo ne prétend pas résoudre la crise. Il appelle à la réflexion, à la critique, à l’union, contre la passivité, la crédulité, la résignation.
Et si les seuls remèdes étaient la désobéissance civile et le rire ?
Photo ©Carole Parodi.
On ne paie pas ! On ne paie pas ! de Dario Fo
version française de Toni Cecchinato et Nicole Colchat,
Théâtre 71 jusqu’au 25 avril
01 55 48 91 00
« Autour du spectacle »
Le 20 avril au foyer-bar, à 17 h, lecture d’Histoire du tigre dirigée par François Leclère, avec Gérald Maillet
17:44 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, Histoire, humour, Littérature, Politique, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, dario fo, théâtre 71, politique | Facebook | | Imprimer
20/02/2013
Drôles de vivants !
On connaît la verve grotesque de Gogol dans Le Revizor (1836), où il brosse un tableau au vitriol d’une société provinciale corrompue avec ses hobereaux vaniteux, ses fonctionnaires vindicatifs et ses moujiks misérables, abrutis par des siècles d’obéissance apeurée.
Quand il écrit Les Âmes mortes, Gogol cultive cette vis comica.
De ce roman dont la deuxième partie demeura inachevée, Anton Kouznetsov et Laurent Lejop tirent une adaptation théâtrale réjouissante, à la fois récit et jeu avec trois comédiens pour interpréter une quarantaine de personnages.
La scène commence avec Hervé Briaux incarnant l’auteur, inconsolable de la mort de Pouchkine, son maître, à qui il voue un véritable culte. Dans le mur du fond une femme chante sur un balcon. Elle sera la Femme universelle, lui sera l’incarnation de la Russie éternelle avec tous ses propriétaires terriens possesseurs d’esclaves. Puis entre en scène, accompagné d’une musique clownesque, le protagoniste de la fable, Tchitchikov (Laurent Manzoni), un escroc en costume de shantung rouge vif aux reflets sombres.
Tchitchikov a imaginé une arnaque infaillible. Comme le recensement terrien ne se fait que tous les cinq ans, qu’entre les deux moments où les listes sont enregistrées, des serfs mâles que la loi appellent « âmes » meurent, il suffit à celui qui ne possède pas de terres de racheter, à vil prix, si ce n'est pour rien, ces « âmes », et de les déclarer « vivants » sur une terre lointaine ou imaginaire pour se dire « propriétaire ». Drôles de vivants que ces « âmes mortes » ! Mais on peut alors demander une hypothèque sur ce domaine et toucher une certaine somme de l’État.
Prévarication ? Le vilain mot ! Disons que Tchitchikov se débrouille.
Cauteleux avec les puissants, il sait se faire ouvrir toutes les portes, et à coups de flatteries parvient à duper son monde. Défile alors une troupe insensée de propriétaires : l’imbécile prétentieux, la vieille méfiante, le joueur, l’avare, l’ours, et la filouterie manque de peu le succès.
Il paraît que Pouchkine, qui avait soufflé le sujet à Gogol, s’était inspiré d’un fait divers.
Belle mentalité que ces Russes décadents !
Et belle occasion de rire, car la ronde infernale de Tchitchikov avec ses deux protagonistes transformistes ne manque ni de rythme, ni de saveur.
Photo : © Victor Tonelli / artcomart
Les Âmes mortes d’après Gogol
Traduction d’André Markowicz,
mise en scène d’Anton Kouznetsov
jusqu’au 23 février
Théâtre 71 à Malakoff
mardi, vendredi à 20 h 30
mercredi, jeudi, samedi à 19 h 30
01 55 48 91 00
18:06 Écrit par Dadumas dans culture, humour, Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : théâtre, théâtre 71, littérature, gogol, kouznetsov | Facebook | | Imprimer