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09/11/2013

Cet effronté de Maupassant

  

Il n’était pas un écrivain « convenable ». Quand parut, en feuilleton, Une vie (1883), La Jeune France, l’appela « cet effronté de Maupassant ». Mais, lors de la sortie du livre d’Armand Lanoux Maupassant le Bel-Ami, en 1979, le président Giscard d’Estaing, déclara, dans l’émission Apostrophes, qu’il était « un des plus grands écrivains français ». Depuis longtemps déjà le cinéma adaptait ses nouvelles[1] et ses romans[2].

théâtre,théâtre du lucernaire,maupassant,philippe honoréAujourd’hui, Philippe Honoré choisit d’éclairer « Maupassant et les femmes » sous le joli titre de Maupassant(es). Il montre, à travers les nouvelles, la correspondance, les chroniques (car l’auteur fut aussi journaliste) comment Maupassant, jugea son époque. Car, naturellement en peignant les femmes, Maupassant n’épargne ni les hommes, ni la société bourgeoise et hypocrite. Il est lucide,  sans complaisance, sans remords, mais pas sans crainte. En effet, atteint de syphilis, le jeune écrivain va rapidement connaître la souffrance et l’angoisse. Les derniers textes choisis, la manière dont Philippe Honoré les articulent, plongent le spectateur dans « l’interminable agonie asilaire[3]» de l’auteur qui mourut à quarante-trois ans dans la clinique du Docteur Blanche.

Dans la mise en scène subtile de Philippe Person, une seule comédienne incarne toutes les femmes. Anne Priol tour à tour petite bourgeoise, ou femme du monde, coquette, perverse ou naïve, en jupon fleuri, robe rouge échancrée et brodée (Costumes Emmanuel Barrouyer et Anne Priol), affole, en souriant, l’air coquin, deux représentants de la gent masculine : Emmanuel Barrouyer qui porte beau en militaire, et Pascal Thoreau en bourgeois  égrillard. Elle est fine, ils sont dominateurs, elle se vend, ils sont sans scrupules. Et on rit de la mascarade qu’ils se donnent. Puis  un extrait de l’émission où Armand Lanoux affirme la grandeur de l’écrivain, et l’analyse se fait plus profonde. Les volets des paravents érotiques qui servent de décors (Vincent Blot) et de limites à l’espace scénique se tournent, et le séducteur devient inquiet.

Entre les séquences jouées, les figures monstrueuses de Freaks, « peut-être fabriqués au corset »**[4], surgissent et les cauchemars remplacent les poèmes érotiques. Tout devient sombre (Lumières : Alexandre Dujardin) et les « hallucinations effrayantes » cernent l’homme dont le visage seulement est éclairé. On entend des verrous qui se ferment et le jeune auteur si doué, si insolent, glisse dans les ténèbres de la démence.

Ni sa mère, ni son père ne se dérangeront pour l’enterrement.

 

 

Maupassant(es)

Texte de Philippe Honoré d’après l’œuvre de Maupassant

Théâtre du Lucernaire

Du mardi au samedi à 20 h

Dimanche à 15 h

01 45 44 57 34

www.lucernaire.fr



[1] - Christian-Jaque, 1945, Boule de Suif.

[2] - Astruc  Alexandre, 1957, Une Vie.

[3] - Lanoux Armand, Maupassant le Bel-ami, Grasset.

[4] - Maupassant (de) Guy, in La Mère aux monstres, 1883 publiée dans Gil Blas.

 

27/10/2013

Olympe l’utopiste

 

 

 


Théâtre, Histoire, Théâtre du Lucernaire, Elle n’avait peur de personne, Marie Olympe Gouze, veuve Aubry, dite Olympe de Gouges.  On la disait bâtarde, fille naturelle du marquis Le Franc de Pompignan disaient les uns, de Louis XV, disaient les autres. Elle avait été mariée à seize ans, et veuve à dix-huit. Une chance pour elle de s’émanciper et de quitter Montauban avec son fils. Peu d’instruction, mais une intelligence remarquable, elle écrit. Les salons s’ouvrent, et en 1774, elle est déjà une figure de L’Almanach de Paris. On l’accuse de mener une vie galante  car elle a refusé de se remarier, le mariage étant pour elle : « le tombeau de la confiance et de l’amour. » Elle préfère sa troupe de théâtre itinérant et une de ses pièces,
Zamore et Mirza, ou L’heureux naufrage est reçue à la Comédie-Française en juin 1785. Mais comme elle dénonce (déjà !) l’esclavage des noirs, en réclame la suppression, et vilipende « l’injuste et puissant intérêt des blancs », les comédiens tergiversent et il faudra attendre 1792, pour qu’elle soit publiée et…jouée sous le titre L’Esclavage des nègres.

Elsa Solal a choisi de montrer Olympe (Anne-Sophie Robin), dans les derniers mois de son existence, en 1793, sous la Terreur. Elle a quarante-cinq ans. Sylvie Pascaud choisit un espace vide, sorte de ring où Olympe subit comme Théroigne de Méricourt, l’humiliation de la « correction publique », administrée par celui qui joue aussi l’accusateur public, Fouquier-Tinville (Gilles Nicolas). Théâtre, Histoire, Théâtre du Lucernaire, Elle est aussi admonestée par Louis-Sébastien Mercier (Martial Jacques) qui fut un temps son amant, et qui s’inquiète pour elle, lui conseillant la prudence et le silence : « je vous supplie d’arrêter vos lettres publiques ». Et elle, se préoccupe du sort des détenus, et affirme : "ma voix ne se taira pas."

L’espace est gris et vide, (scénographie de Valérie Jung) meublé seulement de trois sièges, l’un, vaguement Louis XVI, l’autre moderne, chaise de bureau à roulettes, le troisième en forme d’escabeau de bibliothèque de bois chantourné. Des piques, surmontées de perruques complètent le décor. Tout est sobre, impressionnant. Les jeux de lumières de Patricia Godal soulignent les affrontements.

Théâtre, Histoire, Théâtre du Lucernaire, Olympe, en corset et jupon pantalonné, est presque nue devant ce pouvoir mâle. Fragilisée, elle résiste, elle tient tête. Louis-Sébastien Mercier parle comme l’Arlequin du Jeu de l’Amour et du hasard qui prétend aimer Lisette « en dépit des fautes d’orthographe ». Lui le littérateur confirmé, auteur d’une utopie Uchronie (qu’il situe en 2440) rêvait d’un monde où le mérite remplacerait les privilèges. Olympe l’utopiste, demande pour les femmes les mêmes droits que les hommes, et d’abord le droit de vote : « puisqu’elles ont le droit de monter à l’échafaud, elles doivent avoir également celui de monter à la tribune ». Elle imagine des hôpitaux-maternités pour les femmes, le droit de s’instruire, de divorcer, de faire reconnaître leurs enfants nés hors mariage, des caisses de solidarités, l’impôt sur la fortune. Elle crie son rejet des fanatiques, de la peine de mort, du sang versé, de l’esclavage.

Pour la faire taire, Fouquier-Tinville la fit condamner à mort, elle fut guillotinée le 3 novembre, dix-sept jours après Marie-Antoinette, à qui elle avait adressé le Préambule de sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne.

Aujourd’hui, enfin, l’Histoire et le Théâtre la réhabilitent. 

 

 

Terreur-Olympe de Gouges d’Elsa Solal

Théâtre du Lucernaire à 18 h 30

01 45 44 57 34

Jusqu’au 4 janvier 2014

 

 

 

22/10/2013

Sacré William !

 

 

- Je ne comprends pas votre mauvaise humeur. Ce n’est pas la première fois que nous voyons un classique « dépoussiéré » !

- Dépoussiéré ? Transposer la chronique du XIIIe siècle d’un Danemark convoité par le royaume de Suède dans un « club-house » du XXe, c’est travestir les enjeux politiques qui se profilent derrière les querelles intestines. Dépoussiéré ! Vous voulez dire « dénaturé » ! Dans ce lieu unique et complètement fermé où se joue la « tragédie », où se trouve l’espace scénique ouvert que propose Shakespeare ? Ce voyage qui va des remparts d’Elseneur aux différentes salles du château, de la chambre de la Reine à la plaine, au cimetière et retour au château ? On  enterre Ophélie dans la cave du club ? Et vous n’êtes pas étonné d’y trouver le crâne de Yorick ? Ce n’est plus une tragédie, c’est une farce, une parodie de potache ! Dépoussiéré ! Vous voulez dire « dégradé » !

- Ah ! Je reconnais bien là votre démesure ! Tout de même,  il me semble qu’Hamlet n’était pas si mal interprété.

- Heureusement ! C’est vrai, et là, vous avez raison, les comédiens ne sont pas en cause. Denis Podalydès est un Hamlet poignant, Eric  Ruff, qu’il soit le fantôme du feu Roi, le premier comédien, ou Fortinbras, joue la grandeur, la noblesse et atteint le sublime. Hervé Pierre est parfait en Claudius, usurpateur hypocrite, manipulateur repu, conspirant la mort de ses adversaires, Alain Lenglet fait un Horatio fidèle en qui on a confiance, Jérôme Pouly donne le ton exact du frère protecteur, du fils respectueux puis de l’homme exaspéré de désespoir. Gilles David est un Polonius convaincant, et Elliot Jennicot pourrait donner un Rozencrantz irréfutable, si son compère Guildenstern n’avait été transformé en marionnette pour numéro de ventriloque !

- Mais vous savez bien que Rozencrantz et Guildenstern ne sont que des marionnettes entre les mains du Roi.

- Vous oubliez qu’ils sont aussi manipulés par Hamlet. Et que ce dernier leur fait avouer qu’ils sont aux ordres de Claudius. Et qui le premier mange la grenouille ? « the gentle Guildenstern » comme l’appelle la Reine ! « Monseigneur, on nous a fait venir » avoue-t-il. Décision solitaire ? Pas du tout, mais après un aparté où Rozencrantz lui demande « Qu’en dites-vous ? ». Car ce couple de « clowns » aristocratiques, forme avec le couple de « clowns » populaires, les fossoyeurs, les personnages qui donnent la respiration comique entre les scènes tragiques.

- Comique ?

- Les discussions, socio-physico-politico-mystiques, empreintes de bon sens ou teintées d’absurde, commentent et éclairent les événements, et souvent, redonnent le sourire au spectateur. Rappelez-vous Rosencrantz et Guilderstern sont morts de Tom Stoppard. Voilà un Britannique, - d'adoption, d'accord, mais ce sont les plus fidèles - qui, en 1966, avait bien compris l’importance de ces personnages secondaires.

- J’y vois surtout des personnages ballottés par les puissants et contraints d’obéir à leurs caprices.

- Bien sûr ! Et c’est en eux que le plus humble des spectateurs peut se reconnaître. C’est l’essence même de leur rôle. À moins qu’on n’ait pas les moyens de payer deux comédiens, - ce qui ne me semble pas être la raison au Français - je ne vois aucune logique à supprimer Guildenstern ! Aucune de faire de la Reine une pocharde !

- Le remords peut-être… Ou la conscience de sa culpabilité.

- Et d’autre part, je me demande pourquoi, après avoir vu Ophélie absorber des barbituriques dans les toilettes des dames, on garde le récit de sa mort, « drown’d », « in the weeping brook ». On pouvait se contenter de « muddy death », au point où on en était ! 

- Vous avouerais-je que je vous rejoins sur cette représentation d’Ophélie. La voir se dénuder sans pudeur m’a choqué.

- Eh bien ! Pas moi, voyez-vous ! Car je vois en elle une fille devenue folle parce que séduite et abandonnée. Ses chansons sont claires : « Let in the maid, that out a maid/never departed more », puis, plus loin : « before you tumbled me/You promised me to wed », et le galant répond : « I ha’done », « thou hadst not come to my bed ». Elle s’est donnée à Hamlet, c’est évident. Elle a transgressé l'interdit de son père et de son frère. Et Hamlet l'a repoussée après être venu l'adorer. Les lettres, les serments, les caresses, puis, plus rien : "le couvent!" dit-il... Son désarroi tourne à l'obsession. N'oubliez pas que parmi les fleurs qu’elle offre, dans cette scène, il y a la rue. La rue à fleurs jaunes, plante réputée abortive…

- Là, c’est vous qui « déformez »…

- À peine ! Mais soyez tranquille, ce sacré William survivra au massacre. Depuis des siècles, il en a vu d’autres. Et nous avons, pour nous, les souvenirs vivaces des Hamlet mis en scène par Vitez, Huster et Chéreau. Autrement plus poétiques, plus fidèles à l'auteur et à son traducteur.

- Oui, tout n’est pas pourri dans ce royaume !