14/04/2008
Entre toutes les femmes
Sophie Artur nous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître : l’époque où les mamies s’appelaient « Bonne Maman » et n’étaient pas toujours des parangons de Bonté.
Dans la famille de Marie, la grand-mère était catholique intégriste : « Noël est une fête religieuse », - donc pas de cadeaux,- monarchiste : « le 14 juillet nous faisions maigre », raciste, antisémite. Marguerite, c'était la grand-mère, menait tout son monde au rythme des messes et des examens de conscience. Six filles et un fils, un mari militaire, Marguerite exigeait l’obéissance jusqu’à la soumission, et ne reculait devant aucune humiliation pour l’obtenir. Mais dans ses mains, le martinet et le cabinet noir étaient moins terrorisants que la menace de l’enfer éternel. Elle professait « l’horreur du corps », et étaient proscrits tous les mots qui le désignaient entre le cou et les genoux.
Justine Heynemann met son interprète en scène dans un bric-à-brac de malle, cantine, landau, tableaux décrochés, poupées, marionnettes, jouets d’enfants : grenier réel pour figurer celui de la mémoire, chaise houssée de toile écrue pour désigner la grand-mère qui n’offrait aucun pardon chrétien et punissait pour une peccadille. C'est l'évidence même ! Tout sonne juste. Sophie Artur est seule en scène, robe rouge, bouche gourmande et regard mutin. Elle a dû beaucoup souffrir. Il lui en a fallu du courage et du temps pour se libérer de tous les préjugés dont on l’avait guindée !
Entre toutes les femmes de sa famille, aujourd’hui, après avoir accompli son chemin de croix et trouvé celui de Damas, en grand-mère moderne, elle respecte la petite fille qui dort à côté, et à qui elle donnera un doudou, elle qui n’avait, pour se consoler que la pensée du Petit Jésus.
Naturellement, les jeunes penseront qu’elle exagère. Ils auront tort. Même si elles n’étaient pas toutes comme Marguerite, vous en avez sûrement connu, de ces aïeules intraitables qui vous massacraient une tendre jeunesse…
Aujourd’hui où l’on traîne un enfant chez le pédopsychiatre pour un cauchemar, et des parents devant les tribunaux pour une gifle, il est intéressant de comparer les deux mondes !
En ce qui concerne les rigueurs inhérentes à la condition des femmes, il paraîtrait que dans certains pays, on les considère encore comme impures et inférieures. Y aurait-il encore des traditions mutilantes ? Des opinions meurtrières et erronées ? Des inégalités ?
Je vous salue Mamie de Sophie Artur et Marie Giral
Théâtre La Bruyère
Depuis le 8 avril
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16:45 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Théâtre | Facebook | | Imprimer
L’imagination en liberté
Cyrano n’était pas du tout celui que l’on pensait. Sa passion platonique pour sa cousine Roxane ? Une invention toute pure ! L’auteur loue « les jeunes garçons » qui, pour l’endormir, lui chatouillaient les cuisses « avec minoteries et délicatesse ». Sa mort au crépuscule dans les jardins d’un couvent parisien ? Une métaphore romantique. Cyrano mourut à trente-six ans chez un cousin à la campagne. Cependant, Rostand ne ment pas, il édulcore. Cyrano avait bien été assommé dans une rue parisienne sans qu’on sût si c’était un accident ou une attentat. Il avait aussi imaginé ces voyages dans la lune dont il entretient de Guiche pendant que, chez Rostand, Christian épouse Roxane. Seulement, dans la réalité, ces voyages étaient moins une fiction scientifique que le moyen de critiquer « l’orgueil insupportable des humains » et d’attaquer « les prêtres (qui) brident si bien la conscience des peuples. »
Cyrano était un libertin subversif, fin connaisseur de Giordano Bruno, Copernic, Galilée et « hérétiques », et autres apostats condamnés par l’Eglise romaine. Savinien de Cyrano de Bergerac entretient le rêve d’un « pays où l’imagination est en liberté ». Autant vous le dire tout de suite, ses écrits furent censurés, passant sous le manteau dans un cercle d’amis, on les publia bien après sa mort.
Benjamin Lazar les réunit à la scène pour jouer lui-même un spectacle qui se veut délicieusement archaïque. Une rampe de vraies chandelles éclaire le jeune Cyrano qui entre avec une lampe sourde à la main. À jardin, deux musiciens, Florence Bolton (dessus et basse de viole), et Benjamin Perrot (Théorbe, guitare et luth) : Instruments baroques bien entendu, accrochés à un portant. Ils vont accompagner le récit de Cyrano, le ponctuer, en souligner les épisodes en interprétant des « sarabandes », « musette », « prélude », « allemande », « bourrée » et autres, tous morceaux du xviiesiècle.
Benjamin Lazar raconte ses voyages. Il parle en accentuant « roi » en « roué », et en prononçant toutes les lettres, même les muettes, "les fumées", se dit les "fuméeeesss", comme le veut son maître Eugène Green. Le procédé peut paraître amusant, il devient vite artificiel et ralentit l'action. Dommage, car la mise en scène est soignée, subtile avec son jeu de lumières. Une telle profération met trop de distance dans la précieuse et insolente parole de Cyrano qui, par l’absurde, s’en prend aux rois, aux prêtres, à toutes les religions : si un chrétien « mange un mahométan », l’enfant à naître sera-t-il « un beau petit chrétien » ? Très actuelle aussi est la dénonciation de toute autorité, y compris celle des parents : - « Je voudrai bien savoir si les parents songeaient à vous quand ils vous firent ! » . Le droit de ne pas naître, vous connaissiez ? Et le droit, pour les fils de désobéir à la loi, puisque ceux qui les ont faites « étaient des vieillards ».
C'est donc un spectacle iconoclaste à conseiller aux commémorateurs et héritiers de mai 68... On pourrait affirmer que Cyrano les a inspirés.
Photos de Nathaniel Baruch
L’Autre monde ou Les États de la Lune d’après Savinien de Cyrano de Bergerac
Adaptation et mise en scène de Benjamin Lazar
Théâtre de l’Athénée-Louis Jouvet
Jusqu’au 26 avril
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11:15 Écrit par Dadumas dans Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, théâtre | Facebook | | Imprimer
13/04/2008
On s’éclate au Roi Carotte
Les caisses sont vides au royaume de Fridolin (Éric Vignau), même pas de quoi se payer à dîner au Fouquet’s !
Non, il ne s’agit pas d’une nouvelle fable critique contre Sarko, mais d’une opérette signée Sardou et Offenbach qui s’attaquaient au prince de Fish-Ton-Kan, surnommé encore Napoléon le Petit, j’ai nommé… Napoléon III.
Pour trouver des sous, une seule solution : épouser la princesse Cunégonde (Anne Barbier) qui est, dit-on, fort riche. Cunégonde a du tempérament et plaît à ce viveur de Fridolin, mais le beau-père refuse que la dot serve à payer les dettes d’un gendre « flambeur » qui .proclame : « Quelle que soit votre opinion, je n’obéis qu’à moi-même ! » Ministres et conseillers (Jean-Claude Saragosse, Jean-Pierre Chevalier, Philippe Pascal, Yassine Benameur) incitent le roi à « privatiser les armures ancestrales ». C’est alors que surviennent des gens bizarres : « Ah ! Quels drôles de costumes/Ils ont tous l’air de légumes ». Ce sont en effet de grosses légumes protégés de la sorcière Coloquinte (Nathalie Schaaff), dont un certain roi Carotte (Frédéric Saraille) qui usurpe le pouvoir, tient la cour entière sous son empire (les conseillers déjà nommés et les femmes, Flore Boixel, Fabienne Masoni, Caroline Bouju) et s’empare aussi de la belle Cunégonde.
Impuissante et désespérée, une ravissante princesse, Rosée du soir (Cécile Limal), aux allures d’Alice au pays des merveilles, voit « (s)on prince » banni, tandis qu’elle est prisonnière de la sorcière. Heureusement, Robin-Luron (Agnès Bove), un lutin malin qui se dit étudiant, protège Fridolin.
Vous voyez ce qui va arriver ? Après l’épreuve de l’exil - « la meilleure école des rois, c’est l’exil » -, et du voyage initiatique, Fridolin retrouvera l’anneau de Salomon qui achèvera les sortilèges et remettra de l’ordre dans le royaume
Comment remettre au goût du jour cette « féerie » très parodique de 1872 ? En modifiant à peine quelques répliques. Que voulez-vous c’est pain bénit de trouver intactes celles des « caisses vides », des « éléphants chassés du palais », du « ministère de plus, pour gagner plus », des « bling ! bling ! », d’« il fallait museler au lieu de cette ouverture ». Alors, ajouter par ci, par là, c’était tentant. Olivier Desbordes s'est "arrangé" avec le livret de Sardou. Ainsi, le Roi demande à ses féaux « d’embrasser (sa) botte » et « de faire un jogging avec (lui) », et le « fameux enchanteur » Quiribibi (Christophe Lacassagne), avec son costume blanc, son catogan et ses lunettes sombres, ressemble à Karl Lagerfeld comme deux fibres de soie.
Costumes délirants (Jean-Michel Angays), mise en scène de virtuose (Olivier Desbordes), toute la troupe de l’Opéra éclaté accomplit des prouesses pour endosser plusieurs dizaines de rôles. Avec une formation orchestrale de moins de dix musiciens, logés sur la scène même, les inventions se multiplient (décors et lumières de Patrice Gouron).
Avec cette production de l’Opéra éclaté, c’est toute la salle qui s’éclate !
Le Roi Carotte de Jacques Offenbach
au Théâtre Silvia Monfort
Mercredi 16 avril à 19 h
17 ,18 avril et 19 avril à 20 h 30
01 56 08 33 88
18:25 Écrit par Dadumas dans Musique, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Musique, théâtre | Facebook | | Imprimer