22/03/2008
Chantez !
Depuis 1985, créé à l’initiative d’Olivier Desbordes, l’Opéra éclaté rayonne de la décentralisation vers le monde entier. Venu pour la première fois au Théâtre Silvia Monfort 1995, il y réinstalle régulièrement ses quartiers.
Cette année, il présente trois spectacles, et, certains soirs, il prélude la soirée par un « apéritif concert ». La forme est conviviale, populaire et poétique, un rien nostalgique.
Jeudi 20 mars, dans le hall du théâtre transformé en « café », Éric Pérez, accompagné, au piano, par Roger Pouly, chantait Léo Ferré. À la veille des commémorations des « événements de 68 », les chansons du poète anarchiste résonnaient avec authenticité. Chemise et pantalons noirs, aucun décor, leur sobriété avait un charme fou. Pendant quarante-cinq minutes sans faiblesse, ces « graines d’ananar », nous ont fait retrouvé les ardeurs et les mélancolies de la jeunesse.
La seconde partie de la soirée se passait dans un Cabaret interlope et dans la grande salle. Sur la scène, toujours au piano, Roger Pouly, unique accompagnateur, déroule musique et arrangements au rythme de véritables numéros de music-hall. Un orchestre à lui tout seul, et quel prodige ! Au centre de la scène, un rideau pailleté noir ferme l’escalier traditionnel, - mais modèle réduit. Nous ne sommes pas aux Folies-Bergère, mais dans quelque salle de province où l’on vient chercher un peu de rêve, un peu de rire. Voilà pour le « cabaret ». Anne Barbier et Agnès Bove bas résille et plumes colorées entament les rengaines de Mistinguett, bientôt rejointes par Jean-Pierre Descheix, Éric Vignau et Éric Pérez, boys élégants ou travestis felliniens, voici pour « l’interlope ».
Ambigus les personnages de cette revue ? Pas vraiment. Juste un peu roublards, tout à fait canailles, osés dans l’impudeur et la parodie (Il m’a vue nue, Je m’aime), ils se moquent des regrets, et ne pervertissent que les clichés. La chanson réaliste de Suzy Solidor (Escale) redevient poème, et les couplets grivois (La Tour Eiffel, Bouffémont, le Tsoin-Tsoin), perdent leur sens caché. Maquillages outrés, perruques démesurées (La reine adorait la java), caleçonnades en tout genre (Le Fils père), les numéros comiques (Simplet, Cousine) succèdent aux mélancoliques romances. Ceux qui ont aimé les Frères Jacques ont adoré Le chaland qui passe, interprété à cinq voix et a capella. Mais ils ne sont pas là pour attrister, et, avec J’ai du swing, la gaieté revient. Le summum est sans doute ce numéro de flamenco, où les trois hommes, en robes andalouses égrènent des couplets en espagnol. Il faut voir et entendre Éric Pérez, qui, après avoir chanté Mon homme « es mi hombre ! » apostrophe, cinglant, Éric Vignau ou Jean-Pierre Descheix, toujours en espagnol : « Ahora levantate ! ».
Quand ils nous invitent, pour le finale, à un joyeux « Chantez ! », on les suit. C'est un conseil avisé pour « être heureux », , alors pourquoi s'en priver ?…
Opéra éclaté au Théâtre Silvia Monfort
Café concert à 19 h
les : 27 mars (chansons françaises de 1900 à nos jours)
29 mars (répertoire de Piaf)
3 avril (Éric Pérez chante Léo Ferré)
10 avril (tango autour de Piazzolla
17 avril (Paris en chansons)
Cabaret interlope : les 22, 23, 25, 27, 30, mars et 4, 5, 11, 12, 20 avril
en alternance avec Dédé et Le Roi Carotte, dont nous reparlerons.
Renseignements et location : 01 56 08 33 88
12:45 Écrit par Dadumas dans cabaret, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Cabaret, Théâtre | Facebook | | Imprimer
18/03/2008
Les deux soeurs
Elle sont sœurs à la ville, et Pierre Notte leur offre à la scène le rôle de leur vie dans Deux petites dames vers le Nord. Annette (Catherine Salviat), et Bernadette (Christine Murillo) doivent enterrer la vieille mère dont elles ont filialement pris soin. Pas de simagrées, pas de choeur de pleureuses.Toutes deux savent que chacune est mortelle et Maman avait « quatre-vingt dix-sept ans, tout de même ! », alors, leur deuil n'est-il pas déja fait ? Presque. Car, si elles respectent les volontés de la mère : « être incinérée », elles n’ont pas prévu l’endroit où déposer l’urne qu’on allait leur remettre. Ni que « Maman (ferait) cling ! » quand on la transporte.
De ce petit bruit incongru surgit le passé… Ce cliquetis bizarre ? Une broche en titane que la crémation n’a pas réduite en cendres. Et cette broche ? Un cadeau du père, mort il y a plus de vingt ans, le seul homme que la mère « ait jamais aimé ». Mais voilà ! « On n’a jamais bien su où il était enterré ! ». L’aînée a un vague souvenir de l’endroit. Près d’Amiens, des tombes tranquilles, une allée ombragée de hêtres. Qu’importe ! quand on aime, on vient à bout de toutes les difficultés. On appelle ça « des preuves d’amour ».
Et les deux petites dames, qui ne sont plus des tendrons, partent à la recherche du cimetière. Pas de taxi à l’arrivée en gare d’Amiens, mais un car de soixante places avec les clés sur le tableau de bord. Annette conduira. La pérégrination, après quelques bières, devient virée. Et, au bout d’un circuit pittoresque, après pas mal de carambolages, elles trouveront la tombe et y laisseront Maman avec Papa. « On reviendra ! » promettent-elles avant de frôler la catastrophe et de terminer dans un commissariat de police.
Patrice Kerbrat, le metteur en scène a tout compris. Il dirige ses comédiennes avec un bonheur évident. Il ne s’embarrasse pas de multiples décors. Edouard Laug a choisi un cyclo gris s’ouvrant en deux portes qui s’écartent sur des fonds colorés. Au centre un coffre, objet polysémique, que les comédiennes manipulent et déplacent : banquette, cercueil, car, tombe, réserve d’outils, au gré du voyage…
Bernadette revendique le droit de « rire de la mort ». Elle peut être satisfaite, on n’a jamais autant ri en suivant un cortège funèbre. La vie exulte chez ces deux femmes que l’âge, la silhouette, le caractère, la couleur des costumes (signés Pascale Bordet) opposent et qu’une certaine ressemblance à leur mère réunit : « Toi les yeux, moi la bouche ».
Malgré leurs petites querelles, elles sont unies par les liens indissolubles. L’une s’exaspère, l’autre s’écroule. « L'une est en cendres, l'autre en miettes ». Et elles affrontent ensemble les tempêtes…
On reconnaît ici la délicate palette de l’auteur. Pierre Notte excelle à peindre les familles. Dans l’amour qu’on porte aux siens, les tendres sentiments brassent des rages violentes. On voudrait que sa mère, son père, ses sœurs (ou ses frères) soient intelligents, beaux, irréprochables, enfin, meilleurs qu’ils ne sont. Le sont-ils ? Ils nous agacent. Hélas ! Les êtres humains sont imparfaits. Heureusement le théâtre est là qui nous aider à comprendre les comédies de la vie.
Pierre Notte, pièce après pièce, et sous des allures légères, - vous ai-je dit qu’il écrit aussi les chansons, paroles et musique ? – approfondit ses thèmes et construit une œuvre forte. Il fut un temps critique dramatique et il n’hésite pas à chicaner les engouements de ses confrères. Dans Deux petites dames vers le Nord, au cours d’une scène hilarante - parce qu’en situation, - il montre comment le théâtre anglais peut être lourd, ennuyeux quoi qu'on en dise. Il faut de l’audace pour désacraliser un prix Nobel.
Les yeux de l’auteur pétillent, et comme le jeune Rimbaud, il a « le bleu regard – qui ment », mais c’est de l’ironie, mon enfant… Allez vite découvrir cet iconoclaste !
Deux petites dames vers le Nord de Pierre Notte
Théâtre Pépinière Opéra
01 42 61 44 16
18:40 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Théâtre | Facebook | | Imprimer
Sacrées familles
Prendre Ionesco à la lettre est une œuvre à hauts risques. On en découvre le résultat quand le rideau s’ouvre pour Jacques ou la soumission, dans une scénographie de Chantal Thomas. La maison des Jacques a littéralement implosé sur deux étages. Le plafond est éventré, les lattes du plancher du premier étage pendent, carbonisées. Jacques fils (Jérôme Ragon) gît au rez-de-chaussée. La famille, au premier s’accroche aux murs, à la table encore occupée par la grand-mère (Charlotte Clamens) qui en profite pour liquider toutes les assiettes. La mère (Christine Gagnieux) hurle, véhémente. Le père (Pierre Aussedat), maudit le fils. Jacqueline, la sœur (Fabienne Rocaboy) renchérit. Le grand-père (Rémi Gibier) entonne une chanson égrillarde.
Dès cette première vision, Laurent Pelly (mise en scène et costumes), témoigne de la violence de la déflagration qui vient d’avoir lieu. Qu’est-ce qui a pu dynamiter la douce paix du foyer ? Jacques !
Jacques est un fils dénaturé, il a refusé de manger « les pommes de terre au lard » et la maison est détruite ! Jacques a toujours été un enfant terrible. Il a refusé de naître pendant quatorze ans, alors, « pour (l)’amadouer », ils (lui) ont menti ». « Ils avaient tous le mot bonté à la bouche, le couteau sanglant entre les dents ».
Ainsi, le monde de Ionesco se structure dans ces oppositions de langage, d’où l’absurdité. Au nom de l’adage populaire « qui aime bien, châtie bien », la mère se complaît dans le sadisme « arrachant les petites dents mignonnes », et « les ongles » des « orteils », « pour faire gueuler comme un petit veau adorable », son « fils ingrat ». Et dans ces contradictions, les mots se dérobent et dérapent. « Malgré tout l'immense amour que j'ai pour toi, qui gonfle mon coeur à l'en faire crever, je te déteste, je t'exertre », dit la sœur qui mélange les mots de l’affection et déforment ceux de la haine. Quant au père qui traite sa famille « d'idiots et d'imbéciles », mais il en fait « l’égloge ».
Et de ces apories, naît le tragique des personnages.
Jacques est seul, déshérité, maudit. Pour mériter les siens, il doit se soumettre, manger des pommes de terre au lard, épouser Roberte (Charlène Ségéral) qui a trois nez et neuf doigts à la main à gauche (Perruques et prothèses Pierre Traquet), afin de reproduire à l’identique, une famille selon les schémas existants.
Il n’y a pas d’amour chez les Jacques, mais des règles qui dénaturent les rapports. Les êtres ne se parlent pas, ils s’agressent. Les familles sont des sociétés closes où l’on doit reproduire à l’identique les schémas existants. Chez les Robert, Robert père (Eddy Letexier) et Robert mère (Christine Brücher) veillent à ce que rien ne change. Sacrées familles, que Ionesco massacre !
L’avenir est dans les œufs vient donc naturellement comme un deuxième acte, (dramaturgie Agathe Mélinand) puisque les patronymes ne changent pas et que, une fois mariés, Jacques et Roberte doivent « assurer la continuité de l’espèce ». Dans une construction délirante, la pauvre Roberte est transformée en pondeuse, et Jacques en « couveur ».
Pour faire passer le cocasse de cette vision cauchemardesque où les jeunes gens sont « victimes du devoir », les comédiens jouent en hallucinés. Une mécanique diabolique les conduit, les agite. Christine Gagnieux est une mère extravagante qui donne le frisson, et au ballet qu’elle mène autour de Jacques et de Roberte, on reconnaît en elle une danseuse étoile.
Photos de Brigitte Enguerand
Jacques ou La Soumission et L’avenir est dans les œufs
Deux pièces d’Eugène Ionesco
Jusqu’au 5 avril
Théâtre de l’Athénée Louis-Jouvet
01 53 05 19 19
09:10 Écrit par Dadumas dans Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, théâtre | Facebook | | Imprimer