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16/11/2007

Si Guitry m’était conté

Lucien Guitry, était un grand acteur, et son fils né en Russie, en 1885, reçut un prénom de tsar. La mère était comédienne et quand le bébé la vit, il comprit « que la vie était belle ». Lorsqu'il débuta comme comédien, il n’osa pas prendre le même nom que son père mais il n’hésita pas à lui prendre sa jeune maîtresse, Charlotte Lysès, dont il fit sa femme, enfin, une de ses femmes. Il était, entre temps, devenu Sacha Guitry, à vingt ans avec Nono. Et jusqu’en 1957, il occupa la chronique des célébrités, car on ne disait pas encore « people ». Heureusement ! Je pense que ça l’aurait fâché, lui qui aimait tant la langue française, ses nuances, sa richesse, et ceux qui illuminaient la France de leur gloire. Sarah Bernhardt, Anatole France, Claude Monet, filmés en 1916 « pour fixer la trace du geste créateur », ou, parmi ceux que son génie ressuscita : la Fontaine, Pasteur, Napoléon (le I et le III), Talleyrand, Louis XIV.

Dans une superbe exposition, à la Cinémathèque française, Noëlle Giret et Noël Herpe commémorent Sacha Guitry, mort il y a cinquante ans. Si Guitry m’était conté, il ne pouvait pas mieux l’être…

Entouré d’artistes dès l’enfance, le jeune homme cultive leur amitié, et ses amis comédiens, peintres, sculpteurs, écrivains se prêtent au jeu des entretiens et des images. Devenu auteur, Il leur écrit des rôles magnifiques et eux le magnifient, louant comme Cocteau, non sa « facilité », mais son « essence divine ».

On les retrouve dans l'exposition, interprétant les personnages créés par Guitry auteur, croqués par Guitry caricaturiste, ou filmé par Sacha cinéaste. Il les admirait, ils l’aimaient. C’est aussi de cet échange-là que l’exposition est empreinte. On y parle peu des jaloux qui le poursuivirent de leur haine. Car son talent immense agaçait autant qu’il fascinait. « Le nom grandit quand l’homme tombe ». François Truffaut, jeune critique, l’arracha à son purgatoire et cette saison, à Paris, trois pièces de Guitry rameutent le public, au théâtre comme à la télévision.

C’était un touche-à-tout lettré et spirituel, Guitry comédien, Guitry clown, mime, publiciste, parolier, chroniqueur, feuilletoniste, il enjoliva cette première moitié du vingtième siècle par ses bons mots, ses pensées et ses cent trente pièces, (dont des opérettes) et quelque vingt films. Les Arts de la scène et du spectacle, la Cinémathèque lui devaient bien cette exposition.

 

 

 

Jusqu’au 18 février

Cinémathèque française

51, rue de Bercy

Paris xiie

 

15/11/2007

Celui qui ne disparaîtra pas

Il n’a que trente-quatre ans et son monde « va disparaître » ou plutôt, c’est lui qui va disparaître.

Louis (Hervé Pierre) va mourir bientôt. Il a pris conscience, un matin, qu’il devait retourner dans ce « pays lointain » qu’il a quitté un jour pour accomplir sa vocation. Confusément, il sait qu'il doit « les voir », leur annoncer « avec soin, avec précision » sa mort prochaine. À qui ? Aux  siens, ceux de sa famille qui le comprenaient mal.

Le comédien, au proscénium, désigne du pouce, ceux qui sont derrière le rideau, et se retourne lentement tandis que les rideaux s’écartent.

Ils sont là, rassemblés et touchants, immobiles et émus : Des comédiens bouleversants, parfaitement dirigés, et qui deviennent avec naturel ceux qu’ils incarnent : la mère (Danièle Lebrun), plus remuée qu’elle ne voudrait paraître, Suzanne, la sœur (Elizabeth Mazev) qui "se donne l'air", Antoine (Bruno Wolkowitch), le « petit » frère brutal, et sa femme Catherine (Clotilde Mollet) que Louis ne connaît pas. Louis leur sourit, mais les mots viennent toujours à contretemps.b42e5ee46cb8a4962555aa16138196fb.jpg

« Dire » ce qu’il éprouve, « dire » ce qui les étreint ? « Dire », maître-mot chez Lagarce, dont la parole se libère avec des hésitations, des retraits, des rajouts, des précipitations, des répétitions, des digressions, des heurts.

« Dire », mais à quel temps ? Présent ? Futur ? Conditionnel ? Passé récent ? Imparfait ? Impératif ? Infinitif ? Les temps se bousculent dans les souvenirs de celui qui parle et de celui qui écoute. Chacun exprime son désarroi, sa peur d’être mal compris, et Antoine, plus qu’un autre, s’emporte.

   

Est-il donc resté absent si longtemps ? Les enfants de son frère ont huit ans, l’autre dix ans. L’un porte son prénom : Louis. Et Louis ne les connaît pas, ne les connaîtra jamais puisqu’au bout du dimanche, il repartira sans avoir rien dit.

Et pourtant, ils s’aiment. On le sent aux blessures anciennes qui saignent à nouveau, aux colères, aux sourires, aux excuses qu’ils présentent, maladroits et tendres.

François Berreur inscrit ce temps des retrouvailles indécises dans une scénographie d’Alexandre De Dardel éclairée par les lumières de Joël Hourbeight. Sur un parquet central, une table et quatre chaises. L’espace du fond est découpé en trois ouvertures, une porte et deux fenêtres posées sagement, bien symétriques et ouvertes sur un ciel de nuages blancs sur fond de nuit américaine.

1e7feaf8671461ced87350c6ed5ed638.jpgRappel des couvertures éditoriales des Solitaires intempestifs ? Évocation sentimentale d’une amitié indéfectible ? Lien avec Le Voyage à La Haye ? Délicate manière de dire à Jean-Luc Lagarce qu’on ne l’oublie pas, et que dans ce lieu où il joua, on pense à lui, on parle de lui, et qu’enfin, il est reconnu et ne disparaîtra jamais. 

 

photo © Jean-Pierre Maurin.

Juste la fin du monde

De Jean-Luc Lagarce

Jusqu’au 25 novembre

Théâtre de la Cité Universitaire

01 43 13 50 50

09/11/2007

Des corps endiablés

La chair n’est pas triste quand Andréa de Nerciat la raconte, et nous n’avions pas lu ses livres… Nous avions des excuses, ils étaient séquestrés dans L'Enfer de la Nationale ! C’est dire combien sont polissonnes les rencontres qui se succèdent sur la scène du Théâtre Essaïon !

Marquise, Comtesse, petit Page, Chevalier, Prélat ou Marquis, les quatre comédiens (Liliane Nataf, Cécile Sanz de Alba, Samuel Bonnafil, Antoine Segard) qui les interprètent sans faiblir un seul instant, endossent des identités qui annoncent leurs états et leurs fonctions : Madame Durut, Comtesse de Motte-en-Feu, Vicomte de Culigny, Belamour, etc. Ils sont nés pour satisfaire leurs sens et n’ont qu’une seule occupation : jouir. Donner du plaisir, s'en donner, sans jamais faire souffrir l'Autre, les autres. Généreux de leur corps, ils se donnent entièrement, immédiatement, et simultanément. Dom Juan recensait 1000 et trois conquêtes, la comtesse en consigne cinq mille cinquante-six... Quelle santé !

Peintre assez leste d’un XVIIIe siècle libertin, Andréa de Nerciat est « l’envers solaire de Sade », dit Jean-Louis Thamin, le metteur en scène, adaptateur avec Liliane Nataf de ces Dialogues libertins regroupés sous le titre Le Diable au corps. Sa maison de plaisir, « Temple des Aphrodites », n’a rien d’un jardin des supplices. On ne sacrifie ici qu’à la « jouissance ». Quand on apprend que ce diable d’homme écrivit son texte en 1792, on se dit qu’il y avait donc des thébaïdes en pleine Terreur !

Mais ce sera la seule réflexion un peu philosophique qu’on avancera, car, pour l'essentiel, seul compte le corps . Les zones érogènes remplacent l’âme. Pas une ombre de tristesse, une esquisse de culpabilité. L’érotisme se satisfait du frottement des peaux, des pénétrations joyeuses, de la caresse des mots crus, de l’aimantation des regards. On fornique, on ne pense pas. Il n'y a que le paravent-miroir qui réfléchisse... On s'amuse jusqu'à la dernière nuit. Tenez ! Madame de la Bistoquière, quatre-vingts ans sonnés, toujours en lice pour essayer sept champions en deux heures.462e579c098cd34b3b0e84706f2cfef0.jpg

Sur scène ? Rassurez-vous, pas d’exhibition, tout est mimé bien sûr !

Un fauteuil solide supporte tous les assauts, et un rideau se lève pour voiler sans trop de pudeur les copulations à deux, à trois, à quatre, et même à huit, quand des mannequins grandeur nature, le "boute-joie" déployé, doublent les personnages dans une gaillarde partouze de corps endiablés…

Ces facéties n’ont pas lieu à La Feuille de Rose, mais au théâtre Essaïon…

Jusqu’au 17 novembre

Théâtre Essaïon

à 21 h 30

01 42 78 46 42

19:05 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Théâtre |  Facebook | |  Imprimer