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02/10/2007

Messe noire

 

Tout commence par une vision d’une grande beauté : autour d’une table juponnée de blanc, dressée comme un autel, boivent, mangent et paradent des « figures » aux uniformes médaillés, aux toilettes en lamé, aux bijoux clinquants. Une cariatide vivante porte la lumière tandis que la fête nocturne résonne de feux d’artifices, et qu’une musique d’opéra accompagne les gestes ralentis. Mais l’apparente sérénité ne dure pas, la violence surgit, le militaire frappe avec sa cravache, les convives se battent, et « la cérémonie » peut commencer.

Car, dans le théâtre de Genet, la représentation est un rituel que les personnages suivent dans un ordre bien défini, pour faire théâtre sur le théâtre. Dans Les Bonnes, les protagonistes jouent à être « Madame », dans  Les Nègres, les comédiens jouent à être des « nègres », tels que les Blancs les imaginent. Il s’agit comme disait Bernard Dort « d’exalter le faux ».

Archibald (Jean-Baptiste Anoumon), meneur de jeu prévient : « les spectateurs nous observent », et pour  la « mise à mort imaginaire d’une Blanche », il choisit un travesti noir, Diouf (Jean Bediebe). Les Nègres montrent les actes comme une commémoration du crime et  de la justice, avec parade des comédiens, introït, communion, sacrifice, enquête, délibération, exécution, rédemption.

Cette messe étrange dans une Afrique irréelle est superbe, et la metteur(e) en scène (Cristèle Alves Meira) tire de sa jeune compagnie Arts-en-sac, le meilleur parti. Il faut les nommer tous : Cédric Appietto en juge délirant, Julien Béramis en gouverneur cauteleux, Mata Gabin en Neige hiératique, Juliette Navis-Bardin en Reine démoniaque, Francisco Pizarro en Village arlequinesque, Tella P. Kpomahou en Vertu dévergondée, sans oublier  Olivier Dote Doevi, Marie-Jeanne Owono, Olivier Parisis, Sarah Pratt, Pablo Saavedra, tous forment une troupe cohérente dans un texte baroque difficilement accessible. La scénographie et les masques d’Yvan Robin, les lumières de Jean-Luc Chanonat, les costumes de Benjamin Brett complètent l’effet choral du « simulacre ».

Ce théâtre-là n'est peut-être pas engagé politiquement contre le racisme, Genet s'en défendait, mais il affirme un combat esthétique puissant.

Les Nègres de Jean Genet

Athénée-Louis-Jouvet

Jusqu’au 20 octobre

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28/09/2007

Figaro en excellence

     Après l’époustouflante Confrérie des farceurs (voir note du 21/09), la Comédie-Française donne un Mariage de Figaro éblouissant.

     Rappelons-nous toujours que Le Mariage de Figaro, est aussi intitulé La Folle Journée et que l’individu Figaro (Laurent Stocker, impétueux) qui lutte contre son seigneur, contre le droit coutumier et le droit écrit, apparaît comme un rebelle. Anne Ubersfeld qualifiait la pièce de Beaumarchais, de « première pièce romantique ». Christophe Rauck, le metteur en scène à qui nous devons, ces années passées, un inoubliable Dragon de Schwartz, et un insigne Revizor de Gogol, a tout perçu de l’atmosphère de la pièce et de la profondeur des personnages.

     Le trouble de la Comtesse (somptueuse Elsa Lepoivre) devant Chérubin (Benjamin Jungers fragile et tendre) n’est plus un simple attendrissement mais un véritable émoi sensuel qui laisse pressentir La Mère coupable. L’agilité joyeuse de Figaro cache un vrai désespoir. De l’audace respectueuse de Suzanne (délicieuse Anne Kessler) monte une vraie révolte, et les appétits du Comte (Michel Vuillermoz redoutable de puissance) révèlent une vraie perversité. Les revendications de Marceline (Martine Chevalier digne et douloureuse) exposent les justes doléances que la révolution entendra.  

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     Car le sujet du Mariage est bien l’abolition de ce droit féodal nommé « droit de cuissage » par le peuple, droit qui permettait au seigneur de goûter la primeur de tous les fruits de son domaine, y compris le fruit défendu. Michelet écrivit des pages sublimes sur les humiliations faites ainsi aux paysans. Et ces fêtes autour de la cérémonie du mariage, ces déguisements, ces chansons, ces danses, ce toro de fuego, traduisent parfaitement l’affolement des esprits et des corps.

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Le metteur en scène mène Michel Robin (Brid’oison), Christian Blanc (Antonio ), Bakary Sangaré ( Bartholo), Grégory Gadebois (Bazile), Prune Beuchat (Fanchette), Dominique Compagnon (l’huissier), Pédrille (Nicolas Djermag) et Gripe-Soleil (Imer Kutlovci) comme un corps de ballet autour des protagonistes. Avec des entrées par la salle, des sorties par l’avant-scène, des rideaux qui s’abattent à l’allemande, des robes qui s’envolent (costumes de Marion Legrand) , tout s'enchaîne allegro ma non troppo autour d'un Figaro en excellence.

     Et Beaumarchais se passe fort bien de Mozart…  

 

 

 

 

Le Mariage de Figaro de Beaumarchais

 Comédie-Française

 0825 10 16 80

www.comedie-francaise.fr

 

 On lira avec profit le N° 2 des Nouveaux Cahiers de la Comédie-Française entièrement consacré à l'oeuvre de Beaumarchais, 10 €

21/09/2007

La confrérie des rieurs

Les farceurs sont revenus ! Ils ne s’appellent plus Gros-Guillaume, Gauthier-Garguille, Jodelet ou Turlupin.  Ce ne sont pas les Enfants-de-sans-soucy. Ils ne jouent plus sur les places publiques, ni les carrefours. Ils sont installés au Vieux-Colombier et ils vous accueillent dès l’entrée, visage enfariné et oripeaux bigarrés. Sociétaires et pensionnaires du Français, compagnons du  Théâtre de Bourgogne, jeunes comédiens, les voici réunis « en confrérie » par deux « chefs de troupe : François Chattot et Jean-Louis Hourdin, afin de faire revivre les farces médiévales dans leur franche obscénité…Quelque chose a changé dans le royaume de la Comédie-Française !

La farce, vos études vous l’ont appris est un genre populaire grossier. On y montre des gens peu distingués : paysans et boutiquiers, qui osent railler leur seigneur, parlent un langage vulgaire et font ensemble des choses que la morale réprouve et que le corps adore. Ventre et sexe sont les deux mamelles de la farce… Avant que Malherbe vînt, on appelait un cul, un cul, et les couilles allaient par paires. Depuis que Bernard Faivre a retraduit Les Farces*, l’octosyllabe chante et danse sans pudibonderie ! On ne pétrarquise plus, on pète !

Ah ! Les tréteaux ne distillent pas cet ennui solennel qui fait croire à M. Prudhomme qu’il convient d’être grave. François Chattot et Jean-Louis Hourdin ont choisi de faire rire les abonnés, et les autres. Et pour montrer que la farce n’a jamais quitté la littérature, ils donnent en prologue La Naissance du jongleur de Dario Fo. Comment résister à la truculence de Catherine Hiegel qui avant que le spectacle  necommence, a déjà interpellé les spectateurs, rabroué les retardataires, fait dégager des places pour ceux qui sont encore debout, bref, assumé la connivence avec le public. Qu’elle soit Mère dans Mahuet, Commère dans Frère Guillebert, ou narratrice dans La Naissance du jongleur de Dario Fo, elle est cette maîtresse femme qui empoigne la réalité pour la rendre moins triste qu’elle n’est car « c’est par le rire qu’on fait baisser culotte au patron ».

Avec elle au milieu des panières, et autour du tréteau de foire que des rideaux  masquent le temps d’un changement,  sociétaires, pensionnaires et comédiens de Dijon et du JTN deviennent « farceurs », c’est-à-dire « trompeurs »… et trompés. Personne n’est à l’abri ! Tous tentent de se sortir de situations délicates où des femmes brûlantes les ont coincées : « Quand on se trouve en plein danger », il faut savoir « se sauver comme un malin » dit L’Amoureux du Retrait (Félicien Juttner), vainqueur grâce à la ruse des femmes dans Frère Gullebert, vaincu dans Le Gentilhomme et Naudet, comme Naudet et Mahuet (Stéphane Szestak), comme Pierre Vial, mari trompé dans Le Retrait, gaillard trompeur dans Le Pourpoint rétréci, comme Roger Mollien complice dans le même Pourpoint  et qui joue les cocus dans Frère Guillebert. Jacques Fornier cumule les deux, dans un seul rôle, celui de Thierry dans Le Pourpoint.

Loin de toute morale austère, il n’en existe qu’une qu’on répète à l’envi : « A trompeur, trompeur et demi ». Les femmes s’en tirent toujours mieux. Belle plante sensuelle comme Eloïse Brunet, ou péronnelle piquante  comme Priscille Cuche, elles ont la ruse des diablesses…On n’est pas misogynes, mais on redoute leur intelligence…

Ajoutez à toutes ces malices Stéphane Varupenne, un chef de chœur, qui sait aussi jouer les valets et mimer le cheval, pimentez avec un chanson populaire « Allons en vendanges », et  une autre de ce galopin de Brassens, saupoudrez de musique vivante et vous aurez un plat succulent, pas étouffe-chrétien pour deux liards, de quoi rire à satiété sans remords. Rejoignez donc la confrérie des rieurs !

 

* Imprimerie nationale, 1997.

Une confrérie de farceurs

Du 19 septembre au 27 octobre

Vieux-Colombier

01 44 39 87 00/01