30/01/2012
Le triomphe de Goldoni
Dans la Trilogie de la Villégiature, Goldoni abandonne Venise pour la Toscane et envoie ses personnages de Livourne à Gênes, quand lui-même s’apprête à partir pour Paris.
La Manie de la villégiature présente une société de jeunes bourgeois prodigues, singeant les aristocrates, dans ce qu’ils ont de plus affligeant, le mépris de classe, leur penchant au « paraître », la dissipation de leurs biens. Plus soucieux de suivre la mode que de s’occuper de leurs affaires, ils courent à la faillite.
Leonardo (Laurent Stocker) s’endette pour maintenir un train de vie dispendieux au grand dam de son valet Paolo (Éric Ruf). Sa sœur Vittoria (Anne Kessler) se sentirait déshonorée de ne pas aller en « villégiature » à Montenero, et de ne pas y étrenner une toilette à la mode. Une seule solution : épouser Giacinta (Georgia Scallet) la fille de Filippo (Hervé Pierre) dont la dot permettrait de régler ses factures. Mais la belle a un autre prétendant, Guglielmo (Guillaume Gallienne), et Filippo est un père qui « a trop de bonté ». Sous le regard impitoyable de Ferdinando (Michel Vuillermoz), le parasite qui profite de la situation, ces personnages se surveillent, plus attentifs aux comportements qu’aux sentiments.
Le seul honnête homme de cette société frivole, est Fulgenzio (Bruno Raffaelli). Lui, n’allant à la campagne que « pour s’occuper de ses intérêts », c’est-à-dire, pour toucher les revenus de ses domaines et non pour se divertir, essaie paternellement de mettre un peu de plomb dans les têtes écervelées de tous les jeunes gens.
Puis il y a les serviteurs, Brigida (Elsa Lepoivre), Cecco (Jérôme Pouly) et Paolo, lucides, généreux, patients, dévoués, qui observent les faiblesses des maîtres et essaient de résister à la ruine annoncée.
Les Aventure de la villégiature et Le Retour de la villégiature précipiteront cette débâcle, en y entraînant d’autres figures de la société, Madame Costanza (Florence Viala), et sa nièce Rosina (Adeline d’Hermy), Sabina (Danièle Lebrun), Tognino (Adrien Gamba-Gontard).
La fin est mélancolique. Il y est beaucoup question d'argent, de renoncement à l’amour, de résignation à l'exil, et de promesses. Pour morales que soient ces réflexions, corrigeront-elles les protagonistes ? C’est le but de la comédie…
Dans cette nouvelle mise en scène signée Alain Françon on ne sait ce qu’il faut admirer. La scénographie de Jacques Gabel ? Elle est en congruente au texte. Les lumières de Joël Hourbeight ? Elles s’y accordent sublimement ! Les comédiens ? Ils sont parfaits dans leurs costumes splendides (Renato Bianchi), adaptés à leur condition, aux couleurs en harmonie. Un miracle de beauté et d’intelligence pour le triomphe de Goldoni.
La Trilogie de la villégiature de Goldoni
Traduction de Myriam Tanant
Théâtre éphémère de la Comédie-Française
Jusqu’au 12 mars
0825 10 1680
22:51 Écrit par Dadumas dans Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : théâtre, goldoni, comédie-française, alain françon | Facebook | | Imprimer
Les dessous du gala
Frédéric (Flannan Obé) était chanteur lyrique. Il formait avec Elisabeth (Florence Andrieu), un de ces duos fameux comme on en voyait naguère au Châtelet, à la Gaîté-Lyrique ou à Mogador. À la ville comme à la scène, ils étaient merveilleux dans leurs « duos d’amour ». Mais lassé par l’existence bohème, il a abandonné élisabeth pour se marier, faire des enfants et des affaires.
Sept ans plus tard, le partenaire d’élisabeth ayant eu un accident, il doit le remplacer au pied levé un soir de gala. Il n’a pas le costume adéquat, il a oublié quelques enchaînements, il faut répéter avant le spectacle. Et élisabeth se méfie des sentiments toujours vivaces qu’elle dissimule sous des tonnes de fermeté maussade.
La dispute se joue à fleurets mouchetés, en coulisses, dans les loges et sur la scène, sous les yeux du pianiste (Yves Meierhans) prêt à tous les sacrifices pour honorer la soirée. La mise en scène de Florence Andrieu et des deux comédiens est efficace, les lumières de Stéphane Balny aussi sémillantes que les comédiens. Le spectateur s’aperçoit vite que les dessous du gala sont un peu décousus.
Cette comédie renouvelle l'éternel débat du "jouer d'âme ou jouer d'intelligence" du Paradoxe sur le comédien de Diderot, repris dans Pas de tango d’Israël Horovitz. Ici, les protagonistes chantent et dansent l’amour tout en essayant d’éviter de se toucher, et en se lançant quelques méchancetés masquées par un sourire de circonstances. La chorégraphie d'Estelle Danière et Philippe Fialhsouligne les effronteries.
C’est pétillant, plein d’audace et d’humour. On en a besoin dans la morosité actuelle…
L’Envers du décor de Florence Andrieu et Flannan Obé
Théâtre du Ranelagh
Jusqu’au 17 mars
Du mercredi au samedi à 21 h
Dimanche à 15 h 30
11:50 Écrit par Dadumas dans danse, Littérature, Musique, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, littérature, muique, danse, théâtre du ranelagh | Facebook | | Imprimer
15/01/2012
L’éveil des sens
« L’éveil du printemps, paru en 1891, suscita un scandale lors de sa création en 1906. La pièce fut même interdite parce qu’elle choquait la morale. En effet, elle met en scène des adolescents qui s'éveillent à la sexualité, et se posent des questions sur leur corps, leurs études, leur avenir, le sens de la vie, et auxquels les adultes ne donnent « pas l’ombre d’une explication claire ». La pièce interdite en 1908, fut autorisée en Allemagne en 1912, avec des coupures.
Elle est reprise aujourd’hui dans une mise en scène d’Omar Porras, créée, l’automne dernier à Genève et reçue au Théâtre 71. Le texte est adapté. Neuf comédiens se partagent quelque dix-sept rôles. Jeunes et adultes sont donc joués par les mêmes, avec ces curieux masques qui portent la griffe du metteur en scène. Certains passages sont chorégraphiés, chantés sur des musiques d’aujourd’hui (Alessandro Ratoci) et l’esprit corrosif du texte de Wedekind est totalement respecté, mieux, il est servi avec intelligence.
Wendla Bergmann (Jeanne Pasquier) souhaite apprendre de sa mère (Olivia Dalric) les mystères de la naissance, mais cette dernière, par pruderie, les cache à sa fille : « enfant tu es, enfant tu resteras ». étrange amour maternel qui tait les secrets de la vie mais n’hésite pas à livrer sa fille à faiseuse d’anges !
Les autres adolescents, filles ou garçons ne sont pas mieux éclairés, sauf Melchior (Paul Jeanson), déjà nietzschéen, rebelle et averti qui a rédigé un essai sur le « coït ». Moritz (François Praud), plus soumis, angoissé par l’échec finit par se suicider. Martha (Anna-Lena Strasse) se résigne à être battue. Ilse (Sophie Botte) abandonne l’école et la vertu, pose pour des peintres, en attendant d’être, un jour, « jetée aux ordures ». Otto (Adrien Gygax) et Hans (Alexandre Ethève) ricanent de tous avant de s’apercevoir qu’ils s’aiment. Les adultes auraient pu les guider. Mais ni M. Gabor, ni la directrice de l’école (Peggy Dias), ni le pasteur, ni aucun professeur ne sauront les aider, les apaiser. Au nom d’une religion étouffante, prisonniers d’une morale étroite, ils condamnent les enfants qui leur sont confiés. Fanny Gabor (Sophie Botte) qui entourait son fils d’une douce confiance, devra céder à la rigueur. Melchior s’échappe de la maison de correction où son père l'avait fait incarcéré et rencontre un « personnage masqué », ange ou démon d’une « nuit de Walpurgis » dont il sera le nouveau Faust. Imaginaire et réalité s’enchâssent dans une superbe mise en scène.
L’histoire se joue dans un décor unique : un pan de ruine romantique dans la nature : au lointain des arbres, au sol, un humus sombre, terre riche, matière organique dont la chair est faite et où on plante aussi les croix des tombes. Deux portes, l’une basse, qui s’ouvre sur les choix de Wendla. L’autre à hauteur d’homme pour les adultes. Les jeunes entrent par la forêt, ou grimpent sur le mur. L’amour et la mort défient la société policée. La jeunesse ne craint ni l’une, ni l’autre. C’est la vie avec ses injustices et ses contradictions qu’elle appréhende.
Si Frank Wedekind peint le désarroi des adolescents, il pose également les problèmes d’une éducation austère, d’une intransigeance qui « juge un jeune homme sur son livret scolaire ».
A-t-on évolué depuis 1891 ? Ou Wedekind serait-il un précurseur ?
L’éveil du printemps de Frank Wedekind
Mise en scène et adaptation d’Omar Porras
Théâtre 71 jusqu’au 28 janvier
01 55 48 91 00
22:02 Écrit par Dadumas dans éducation, Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : théâtre 71, littérature, wedekind, omar porras | Facebook | | Imprimer