01/09/2011
Face à la folie
L’espace scénique est dans l’ombre. Le patient (Arnaud Denis) apparaît, à l’extrémité du plateau, cerné dans une douche de lumière, l’œil aux aguets, l’attitude est figée, méfiante. Il est vêtu de blanc. Une voix off l’interroge, insiste pour qu’il dise ce qu’il ressent, ce qui l’apaise, ce qu’il redoute et ce à quoi ses hallucinations le poussent. Puis le noir se fait lentement sur lui, et quand la lumière revient, il est assis face à une chaise vide. Il est pieds nus. Il maîtrise un léger spasme de la jambe, de la main, de la voix. Il expose lentement ses souffrances. Il décrit l’invisible. La voix tremble, s’affirme, la bouche se contracte un peu, un sourire ironique affleure, la main prend des poses. Il paraît tout à fait raisonnable, et pourtant il se dit fou. Il semble normal, logique. Il en devient maniaque, les idées s’accélèrent, la parole bute, le cri jaillit.
Arnaud Denis connaît l’art de troubler le spectateur. Car ce qui peut inquiéter, c’est cette apparente normalité que quelques signes dérangent, imperceptibles puis récurrents. Qui est fou ? Qui est sage ? Comment franchit-on la limite ? Comment rester « sage dans un monde de fous » ?
De grands philosophes, Erasme, Montaigne, Kant, Nietzsche, ont analysé ces domaines.
Arnaud Denis choisit des romanciers, des poètes, des dramaturges : Maupassant, Flaubert, Lautréamont, Michaux, Shakespeare, Karl Valentin. Il nous révèle un étrange texte méconnu du jeune Flaubert (Mémoire d’un fou) qu’il interprète avec un feu intérieur qui brûle le spectateur.
Les séquences, ponctuées par l’obscurité, s’enchaînent sur des musiques de Requiem, ou de films, ou des chansons réalistes (Fréhel). Le spectacle se clôt d’ailleurs sur une chanson de Francis Blanche : « Ça tourne pas rond », où l’angoisse se cache derrière un humour noir dévastateur. Face à la folie, quelle raison pouvons-nous garder ?
Le monde du patient s’obscurcit, les objets diminuent comme sa perception. L’hôpital l’enchaîne. Arnaud Denis comédien est notre frère qui souffre, il est aussi un passeur de mots, d’idées, un artiste essentiel.
Photos : © Lot
Autour de la folie, textes présentés par Arnaud Denis
Jusqu’au 16 octobre
Théâtre du Lucernaire,
Du mardi au samedi à 20 h
01 45 44 57 34
18:57 Écrit par Dadumas dans culture, Littérature, Poésie, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : folie, arnaud denis, lucernaire | Facebook | | Imprimer
25/06/2011
Festival Obaldia
La rentrée s’annonce talentueuse. Et pas triste ! Du moins au Théâtre du Ranelagh. Catherine Develay qui le dirige, va célébrer René de Obaldia.
Rendre un hommage à un poète vivant ? Avouez que c’est bien plus plaisant pour l’auteur qui avoue : « se griser à sa propre source » ! Depuis qu’il est devenu Immortel, (en 1999) ce diable d’homme a rajeuni. Depuis la saison dernière, il tient l’affiche avec Obaldia sur scène. Une vraie gageure ! Une heure sur les planches à deviser élégamment (et malicieusement) de son œuvre, le regard amusé, le sourire aux lèvres, et, d’anecdotes, en lectures, il nous livre son œuvre.
Il participera donc en personne à ce Festival René de Obaldia. Et, parce qu' il jubile d'être ainsi fêté, il vient voir les compagnies, précise , explique (quand on lui demande), assiste aux répétitions, accepte les propositions, et les metteurs en scène, les comédiens sont tous devenus obaldiens !
Dès le 9 septembre, soyez prêts ! Entrez dans son univers espiègle avec Du vent dans les branches de sassafras où les joyeux cow-boys de Thomas Le Douarec vont prendre les armes contre le chef comanche Œil de Lynx…
Il y aura aussi L’Amour à trois, toujours sous la direction de Thomas Le Douarec. Puis Stéphanie Tesson dirigera Brock dans Au bal d’Obaldia à partir du 21 septembre. Pierre Jacquemont fera chanter Les Innocentines dès le 1er octobre et les Fantasmes des demoiselles à partir du 26 octobre.
Pour compléter ce cycle, le lundi à 21 h, les amis de René de Obaldia, viendront dire, lire et chanter, ce qui n’a pas pu être programmé.
De belles soirées en perspectives ! Qu'on se le dise : Monsieur le Comte est servi !
Photo © Lot
Festival René de Obaldia
Théâtre du Ranelagh
01 42 88 64 44
Du 9 septembre au 19 novembre
13:44 Écrit par Dadumas dans culture, humour, langue, Littérature, Musique, Poésie, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : obaldia, théâtre du ranelagh, le douarec, stéphanie tesson, pierre jacquemont, brock | Facebook | | Imprimer
07/06/2011
Des peuples qu’on dit ennemis
La pièce a été publiée en 1989. Elle a été jouée dans le monde entier. On la croirait écrite de la veille, tant elle touche à toutes les guerres dites « saintes ». Prétextes religieux, prétextes fallacieux pour écraser son voisin. « Tu ne tueras point » dit la Bible. « Celui qui tue un homme tue tous les hommes », dit le Coran, et pourtant, depuis que les prophètes les ont abandonnés, les peuples frères sont ennemis.
Dans Croisades, Michel Azama ne dénonce pas les coupables. Il peint les dégâts. Il désigne les victimes. Il montre l’enchaînement des malentendus, des préjugés, de l’ignorance.
Dans un univers atemporel, « là-bas », trottine un personnage sans âge : « Maman Poule ». Elle est depuis huit siècles à la recherche de ses enfants, dix garçons et quatre filles embrigadés dans la Croisade des enfants en 1212 ou celle des Pastoureaux, en 1251. Un moine avait prétendu que « seuls les pauvres, les humbles, les bergers » qui plaisaient à la Vierge, pourraient délivrer Jérusalem, car les chevaliers orgueilleux avaient déplu à Dieu. Pour pallier le « silence éternel de la divinité », on peut lui faire dire tout ce qu’on veut et on peut faire croire n’importe quoi aux enfants illettrés. Des milliers de jeunes prirent la croix, d’abord soutenus par Blanche de Castille. Mais prélats et chevaliers jugèrent le mouvement dangereux. Peu de pastoureaux arrivèrent à Jérusalem. Et ceux qui embarquèrent n’en revinrent pas.
Michel Azama reprend ce thème de la crédulité des enfants, toujours victimes de la parole de ceux qui les envoient au casse-pipe pour en tirer les bénéfices. Sur une idée de Lauren Houda Hussein (qui joue aussi) et Ido Shaked (qui met en scène), la pièce est créée avec des comédiens, israéliens, palestiniens, franco-libanais, franco-iraniens, franco-algériens et espagnols : Guy Elhanan, Hamideh Ghadirzadeh, Doraid Liddawl, Sheila Maeda, Ghassan El Hakim. Elle a été jouée à Saint-Jean d’Acre, et à Beer Sheva, Jérusalem, Jaffa. On y parle en hébreu, en arabe, en français, en anglais, en espagnol. Des sur-titres en français projetés permettent de suivre. Mais en réalité ces acteurs formés à l’école de Jacques Lecoq, font passer l’émotion sans qu’on comprenne toutes les paroles.
Sur l’espace sacré de la scène s’affrontent les enfants martyrs, les adolescents que des adultes manipulateurs, transforment en cibles, et des morts en errance qui cherchent en vain l’apaisement.
Le théâtre Majâz a exaucé un des rêves de Michel Azama : la réconciliation entre des peuples qu’on dit ennemis. Le Théâtre Majâz (métaphore en arabe) établit le dialogue entre les patries de la Méditerranée, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus qu’une nation : « l’humanité ».
Croisades de Michel Azama
Salle de répétition de la Cartoucherie
Jusqu’au 3 juillet
Lundi, mercredi, jeudi, vendredi à 20 h 30
Samedi à 14 h et 20 h 30
Dimanche à 14 h
01 43 74 24 08
Texte publié aux éditions Théâtrales
12:15 Écrit par Dadumas dans culture, Histoire, Littérature, Livre, Politique, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, langue, littérature, livre, théâtre majâz, michel azama | Facebook | | Imprimer