05/04/2014
Histoires de femmes
Elles sont trois. Trois femmes (Magali Bros, Pauline Devinat, Aude Kerivel), délurées et avides d’amour. Elles n’ont pour tout bagage qu’un grand sac. Magali s’accroche à ses téléphones, Pauline à ses perruques, et Aude à sa liberté. De quoi parlent-elles ? De leurs désillusions. Qui les a déçues, blessées, humiliées, trahies et quelquefois brisées ? Des hommes à qui elles s’étaient données totalement, et qui ont trahi leur confiance, méprisé leur dévouement. Leurs Histoires d’hommes sont des confidences de femmes, sans hypocrisie.
La sensuelle Aude, la fragile Pauline, et l’inquiète Magali incarnent les femmes, toutes différentes, mais solidaires. Prêtes à tous les sacrifices parce qu’elles vivent plus intensément quand elles brûlent d’un « grand amour », elles restent lucides : « je sens bien que le voyage touche à sa fin », dit celle qu’on va larguer. Sans hommes, elles « tournent en rond » ; leur existence se ternit, le temps se traîne. Mais « faut pas confondre l’espace et le temps » dit une de leurs chansons.
Xavier Durringer avait écrit ces textes pour Judith Magre, sous forme de monologues et de chansons. Christophe Luthringer en a fait un spectacle pour trois comédiennes qui s’interpellent, se soutiennent, s’encouragent, exaltent leurs passions, analysent leurs faiblesses. Elles chantent, elles dansent, elles interpellent le public. Les mots sonnent juste, la musique d’Elsa Quignard embellit les paroles, les lumières d’Alexandre Ursini ponctuent les séquences.
Le spectacle est malicieux, pétillant de désirs, et je ne sais pourquoi me revenait en mémoire un refrain de Willemetz ainsi modifié : « Elles sont épatantes ces petites femmes-là et y en a trois comme ça ! »
Trois raisons de le découvrir …
Photo © Alexandre Ah-Kye / Herblay Culture
Histoires d’hommes de Xavier Durringer
Mise en scène de Christophe Luthringer
Théâtre de Poche-Montparnasse
Jusqu’au 1er juin 2014 2
01 45 44 50 21
www.theatredepoche-montparnasse.com
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04/04/2014
La faute à qui ?
En 1991 Jean-Jacques Prévand s’était taillé un beau succès avec Voltaire Rousseau, la rencontre, en 1765, d’un Voltaire triomphant (Jean-Paul Farré) et d’un Rousseau amer (Jean-Luc Moreau).
La pièce est reprise, avec les mêmes comédiens, au Poche-Montparnasse. Le texte a peu changé, le décor de Charlie Mangel a été simplifié, les lumières de Jacques Rouveyrollis l’enrichissent toujours.
Voltaire vient d’obtenir la réhabilitation de Calas, il s’est installé à Ferney, « chambres en France et potager en Suisse », et depuis sept ans il transforme non seulement sa propriété, mais également le village. Il en est devenu une sorte de patriarche bienfaiteur. Rousseau vient d’être chassé de son refuge en Suisse et, à pied, comme un vagabond, quitte Bienne pour gagner l’Angleterre par Bâle, Strasbourg, Châlons-en-Champagne, Épernay, Paris avant de s’exiler.
Passe-t-il par Ferney ? C’est peu probable. Cependant, tout ce qu'ils disent a bien été réellement pensé et écrit. Et quelle délectation de voir et d’entendre ces deux hommes si différents dans leurs conceptions, mais dont les œuvres ont préparé la réflexion des révolutionnaires de 1789 et les fameuses accusations des réactionnaires : « C’est la faute à Voltaire ! C’est la faute à Rousseau ! »
Voltaire est anticlérical, voire athée. Pour Rousseau, Dieu existe. L’un est porté par « la reconnaissance de ses concitoyens, l’autre est banni, incompris, et se dit persécuté. L’un est habillé de lin écru et de soie, l’autre vêtu d’oripeaux couleur terre. L’un est affable, sarcastique, l’autre triste et aigri.
Jean-Paul Farré jubile, Jean-Luc Moreau désespère. La faute à qui ?
Que le spectateur juge ! Il découvre, dans leur affrontement tout ce qui génère les tensions de nos sociétés : fanatisme religieux, intolérance, ignorance, violence, richesse et pauvreté, culture et nature. Éternel combat !
Il peut aussi, y trouver et c’est si rare aujourd’hui : une morale : « Nous sommes responsables ».
Photo © Brigitte Enguérand
Voltaire Rousseau de Jean-François Prévand
Mise en scène : Jean-Luc Moreau et Jean-François Prévand
Théâtre Poche-Montparnasse
Du mardi au samedi à 19 h,
Dimanche , 17 h 30
01 45 44 50 21
www.theatredepoche-montparnasse.com
21:28 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, Histoire, Littérature, Livre, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, littérature, poche-montparnasse, voltaire, rousseau | Facebook | | Imprimer
03/12/2013
Science et conscience
Fritz Haber (Xavier Lemaire) était un chimiste allemand qui mit sa science au service de l’industrie, si bien qu’il permit de fabriquer des engrais afin de nourrir la planète, et des gaz asphyxiants pour faire mourir l’ennemi.
Pour la première utilisation il reçut le Nobel en 1918, mais comment accepter la seconde. Sa femme, Clara Immerwahr (Isabelle Andréani), chimiste elle-même est révoltée par les premiers essais, à Ypres, en 1915, sur le front de la Somme, d’un gaz mortel baptisé « ypérite ». D’où ce cri désespéré qu’elle lance à celui en qui elle avait toute confiance : « Qui es-tu Fritz Haber ? ». Elle ne reconnaît plus le jeune chimiste, prénomme Jacob, brillant chercheur qu’elle a épousé et qui, pour se faire accepter dans la société allemande, s’est converti au protestantisme, et la confine au foyer alors qu’elle était la première femme à recevoir un doctorat en chimie.
Elle argumente de la morale, « science sans conscience n’est que ruine de l’âme » comme le disait Rabelais. Elle raisonne, il impose, elle supplie, il ordonne, elle pleure, il ricane. En une nuit, seront détruits quinze ans de confiance, de bonheur construit sur des affinités, une ascension sociale partagée. Il est devenu un Prussien intraitable, et il ne voit plus en elle qu’une « mama » juive. Il part vers d’autres expériences. « Un savant appartient au monde en temps de paix et à son pays en temps de guerre. » affirme-t-il. Elle se suicide.
L’auteur, Claude Cohen montre l’affrontement du couple dans cette effroyable soirée. Lui aveuglé de nationalisme hautain, elle, admirable d’humanité. La mise en scène de Xavier Lemaire nous plonge au cœur du désarroi de cette femme. Les lumières de Stéphane Baquet les isolent autour d’une table encore dressée. Il porte fièrement l’uniforme, elle est vêtue d’un gris fané (costumes de Rick Dijkman), en deuil de ses illusions. Dans la petite salle où ils jouent, pas un battement de cils n’échappe au spectateur.
Après l’ypérite, Haber mit au point un puissant insecticide, le zyklon B, et même s’il n’en connut pas les applications que les nazis en firent, la pièce de Claude Cohen pose de vraies questions sur la science.
Photos © Laurencine Lot
Qui es-tu Fritz Haber de Claude Cohen
Théâtre de Poche-Montparnasse
Du mardi au samedi à 21 h, dimanche à 17 h
01 45 44 50 21
17:40 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, Histoire, Science, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, poche-montparnasse, isabelle andréani, xavier lemaire, claude cohen | Facebook | | Imprimer