08/10/2017
Mère et fille
Elle (Dominique Valadié) siège sur un petit divan raide et inconfortable. Elle vilipende les artistes de son époque, critique les mœurs et la société, humilie celle qu’elle appelle : « mon enfant » (Léna Breban), une grande fille sans âge, qui, mutique, va et vient, préparant, comme une servante, les valises pour la villégiature. La Mère est royale, désabusée, cynique, odieuse. La Fille est soumise. Dominique Valadié est souveraine. Léna Breban lui tient tête avec patience. Elles sont impressionnantes.
La Mère persifle, cinglante, insensible aux autres, à la littérature, à sa Fille qu’elle juge « insignifiante ».
On voudrait qu’elle se taise, que sa fille proteste, qu’elle cesse de plier avec soin les nombreuses robes et manteaux de sa mère, elle qui n’a qu’une seule toilette à emporter. Mais Thomas Bernhard n’est pas de ceux qui croient à la catharsis du tragique. Il appuie sur les travers de l’humanité, il rouvre les plaies, les fait suppurer. Il « jette à la tête des gens leur propre saleté. » Il analyse avec pertinence les rouages de cette relation : mère mauvaise et fille victime.
La Mère a pourtant invité le jeune auteur (Yannick Morzelle) dont elle critique l’œuvre et que sa Fille admire.
Pour quelles raisons ? Dans quel but ?
Ce frêle jeune homme saura-t-il lui résister, ou simplement la faire taire ?
Et c’est au spectateur d’imaginer la suite…
Tout grince dans Au but. Tout est souillé dans les rapports humains. L’humanité de Thomas Bernhard est perverse et l’horizon est noir.
Christophe Perton nous fait entrer sans ménagement dans cet univers cruel. Et les comédiens en montrent l’authenticité atemporelle.
On en sort la gorge serrée, le désespoir au cœur, mais les sens en éveil.
Au but de Thomas Bernhard
Mise en scène de Christophe Perton
Jusqu’au 5 novembre
Théâtre de Poche-Montparnasse
01 45 44 50 21
www.theatredepoche-montparnasse.com
19:02 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, théâtre de poche-montparnasse, thomas bernhard, dominique vaadié, christophe perton | Facebook | | Imprimer
22/09/2017
Un partage avec Jupiter
Les puissants ont toutes les audaces. Rien ne les arrête. Pas même les liens sacrés du mariage. Ainsi, le roi David n’hésite pas à envoyer Urie, le mari de Bethsabée se faire tuer pour lui au combat, et Louis XIV renvoie le marquis de Montespan dans ses terres afin de garder la marquise auprès de lui. Ils ont un grand exemple. Jupiter ! Oui Jupiter, le Dieu suprême chez les Grecs ! En voilà un que les scrupules n’étouffaient pas. Tombé amoureux de la belle Alcmène, le dieu se fit homme et Jupiter prit la figure du mari adoré, Amphitryon, pour la posséder sans entrave.
De cette histoire d’adultère, Plaute fit Les Sosies, Rotrou, La Naissance d’Hercule, et Molière, Amphitryon, une pièce à machines et à effets spéciaux.
Stéphanie Tesson qui met en scène Amphitryon, n’emploie nulle machine pour faire descendre les dieux sur la scène. Elle a raison. Tout y est juste, mordant et éblouissant.
Jupiter (Benjamin Boyer), et Mercure (Guillaume Marquet en alternance avec Laurent Collard) investissent l'espace avec naturel. Ils sont chez eux, car la scène les rend divins. Les toiles de Marguerite Danguy des Déserts déploient des ciels mordorés et changeants comme l’âme des dieux et des hommes. Magnifique transposition métaphorique des mystères du monde ! La « charmante » Nuit (Christelle Reboul), véritable Reine mozartienne sort de ces voiles quand elle suspend sa marche pour complaire à Jupiter, et le brave Sosie (Nicolas Vaude) y pénètre, sa lanterne à la main.
Et, sortis de « l’étoffe de nos rêves », les personnages vont prendre chair, grâce à des comédiens exceptionnels. C’est d’abord Sosie, qui va ressentir les coups de bâton dans la sienne, car Mercure, qui a volé son apparence n’hésite pas à le rosser. Le voilà, contre son gré, serviteur de deux maîtres, lui qui n’en connaît qu’un. Au jeu des doubles, s’affrontent l’incrédulité de Sosie et la malignité de Mercure, le désarroi de l’homme et la cruauté du dieu. C’est ainsi, les dieux sont injustes et sans pitié.
Pauvres hommes, marionnettes des dieux ! Voici maintenant Alcmène (Odile Cohen), épanouie, tendre, tout de blanc vêtue, confiante, heureuse avec celui qu’elle croit être son époux et qui n’est qu’un vil séducteur. Elle aussi, un jouet du destin. Jupiter, le maître de l’Olympe ? Qu’on ne s’étonne pas que Stéphanie Tesson lui donne la physionomie du jeune Louis XIV, teint rose, perruque blonde et rhingrave pourpre et or, tel qu’il parade dans les ballets de Lully. Les mauvais esprits déjà, en 1668, ne manquent pas de voir dans la pièce une allusion à ses amours avec la Montespan, car voyez-vous, « parfois, on en cause. » Et Jupiter, n’est-ce pas, traverse les siècles…
Christine Reboul qui joue aussi Cléanthis, la prude épouse de Sosie ne comprend plus son Sosie de mari. Amphitryon (Jean-Paul Bordes), qui doutait de son valet, doute maintenant autant de lui-même que de son Alcmène, et les capitaines et archontes thébains Naucratès et Posiclès (Mathias Maréchal), Argatiphontidas et Polidas (Anthony Cochin et Yannis Baraban) convoqués pour confondre les coupables n’ont plus qu’à se prosterner devant Jupiter !
Amphitryon doit admettre « un partage avec Jupiter ». Mais chut ! N’en disons pas plus ! Quand ce sont des grands qu’il s’agit : « Tout ce qu’on fait est bel et bon », et « sur de telles affaires, toujours, /Le meilleur est de ne rien dire »…
C’est pourquoi j’en appelle à tous les profs blasés, dépités, sceptiques, pédagogistes ou traditionnels, militants freinetistes et même syndicalistes ! Vous voulez que vos élèves comprennent le génie de Molière? Emmenez-les voir cet Amphitryon. Vous voulez leur faire entendre la beauté de leur langue, sa souplesse, sa musique ? Emmenez-les voir Amphitryon ! Qu’ils distinguent l’allégorie du symbole ? Emmenez-les voir Amphitryon ! Vous voulez qu’ils aient l’esprit critique sans acrimonie ? Qu’ils rient sans vulgarité ? Amphitryon ! Amphitryon vous dis-je…
Photos : © Pascal Gély
Amphitryon de Molière
Mise en scène de Stéphanie Tesson
Théâtre de Poche-Montparnasse
Du mardi au samedi à 21 h
Dimanche à 15 h
01 45 44 50 21
www.theatredepoche-montparnasse.com
09:46 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, humour, langue, Littérature, peinture, Politique, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, théâtre de poche-montparnasse, littérature, humour, molière, stéphanie tesson | Facebook | | Imprimer
La Huchette en balade
09:02 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, Histoire, humour, Littérature, Livre, Poésie, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, théâtre de la huchette, humour, culture, littérature | Facebook | | Imprimer